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 [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser

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Henri de Champagne
Warrior ébouriffé (perv)
Henri de Champagne


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MessageSujet: [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser   [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser EmptyMar 2 Sep - 23:29

Fin de l'année 1149 – Terres de Châteauroux

Le froid s'était abattu sur le royaume de France et tout qui se trouvait autour d'eux semblait baigner dans une lumière grisâtre qui suspendait le temps. Comme si la nature avait retenu son souffle pendant leur longue absence et s'était figée en attendant qu'ils retournent chez eux pour reprendre possession de leurs trônes et de leurs donjons. La neige n'allait sans doute pas tarder à faire son apparition dans les jours à venir et parmi la petite troupe qui avançait lentement, la mesure étant battue par le pas des chevaux, on sentait bien naître une certaine impatience, malgré le silence qui régnait depuis plusieurs heures, depuis qu'ils s'étaient remis en marche. Ils avaient quitté des contrées chaudes au soleil brûlant – et d'ailleurs sans doute rapportaient-ils avec eux quelques grains de sable dans ces bagages portés par les mulets – des semaines auparavant, traversé des mers et milles dangers pour se trouver jusqu'ici. Le jeune fils du comte de Blois et de Champagne, Henri, avait parfois encore du mal à le croire. Comme si finalement, le rêve n'avait pas été la croisade, comme s'il avait laissé toute la réalité derrière lui, au pied des murs de Jérusalem, dans le désert où le Christ avait souffert le martyre. Comme si l'illusion, c'était ici, dans ce royaume où il avait pourtant grandi et dont il servait le souverain. Mais le froid piquant, qui traversait sa fourrure et les cuirs, qui gerçait ses lèvres et glaçait ses joues rougies lui rappelait avec cruauté qu'il était bel et bien plongé dans la réalité.

- Monseigneur ! Regardez, voici Châteauroux ! S'exclama soudain une voix rauque pleine d'excitation.

Henri, sorti avec brusquerie de sa somnolence, leva soudain la tête pour suivre du regard l'horizon que lui désignait le doigt du chevalier. En effet, apparaissait dans le lointain, sur une motte naturelle, un château de pierre de la même couleur que le ciel duquel il se détachait avec difficulté. Mais on pouvait néanmoins distinguer les tours crénelées et une bannière aux armes de la famille de Déols qui, en l'absence de vent, pendait tristement le haut d'une fenêtre. Des mouvements de joie apparurent dans la petite troupe et Henri concéda un sourire devant les congratulations que se lançaient les hommes d'Abo de Châteauroux qui avaient fait le voyage avec lui. Depuis la mort de leur maître, ils avaient accompagné celui qui avait été l'ami d'Abo et qui leur avait promis de les conduire jusqu'à chez eux pour annoncer la nouvelle à la veuve d'Abo. A ce souvenir, le sourire d'Henri se figea un instant mais la douleur d'avoir perdu celui qui avait été un vrai camarade n'était plus aussi vive qu'auparavant. Des mois avaient passé depuis. Tant de batailles et tant de morts. Il posa de nouveau les yeux sur le château et n'eut aucunement l'impression d'être arrivé à destination. Il n'avait pas eu le temps de rentrer chez lui, de retrouver sa famille qu'il n'avait pourtant pas vue depuis des années désormais. Thibaud avait-il encore grandi ? Guillaume s'était-il engagé dans les ordres ? Isabelle avait-elle épousé le duc d'Apulie ? Ils lui avaient tous manqué et il savait qu'ils seraient aussi tous impatients d'avoir de ses nouvelles et de pouvoir le serrer dans leurs bras. Mais il voulait remplir son devoir auprès de la dame de Déols avant tout. Elle avait le droit de savoir ce qu'était devenu son époux. Après tout pendant des jours, elle avait sans doute prié pour qu'il lui revienne alors qu'il était déjà allé rejoindre le Seigneur. L'attente pouvait être bien cruelle.

- Geoffroy, va donc en avant prévenir ta dame qu'elle va recevoir le fils du comte de Champagne et qu'il a une mauvaise nouvelle à lui annoncer, commanda-t-il d'une voix ferme, tandis que les hauts murs fortifiés se rapprochaient de plus en plus et qu'ils parvenaient aux premières maisons du village qui enserrait le château.

Déjà un petit attroupement de paysans se formait pour regarder passer les chevaliers et des cris retentissaient pour saluer des têtes connues mais si les cous se tendaient pour tenter de l'apercevoir, le seigneur Abo était introuvable. A sa place, chevauchait un jeune homme inconnu, à la barbe de plusieurs jours et visiblement fatigué du voyage au sein d'un escadron de cavaliers et d'écuyers sur des mulets. Sentant la fin proche, Henri mit son cheval au trot et pénétra à cette allure sur le pont-levis abaissé pour lui avant de pénétrer dans une cour intérieure dans laquelle il se laissa glisser à terre. Un homme âgé venait vers lui :

- Vous êtes Henri le fils aîné de Thibaud de Blois ? Vous revenez de croisade ? Je suis Jehan d'Ambrault, j'ai la confiance du seigneur Abo pour conseiller son épouse en son absence.
- Je suis navré..., commença Henri en tendant les rênes de son étalon à un valet puis en se tournant vers le chevalier qui, à l'expression attristée de son visage venait de comprendre de quoi il était question, la dame de Déols est-elle prévenue de ma venue ? Je voudrais le lui dire la nouvelle moi-même.

Ambrault hocha la tête et fit signe à Henri de le suivre dans le donjon du château. Pendant plusieurs mètres, il resta silencieux, accusant sans doute toujours le choc puis promit au jeune homme de fournir à lui et à ses hommes un toit pour le temps qu'il le souhaiterait.

- Je resterai peu, répondit Henri tout en observant les lieux avec retenue, ma propre famille m'attend. J'ai promis à votre seigneur de veiller sur sa veuve, je remplis là mon devoir. J'avais une profonde amitié pour Abo.

Ils étaient arrivés devant une porte et le vieil homme hésita un instant à l'ouvrir :

- Abo était un homme courageux, il n'a jamais hésité à prendre la croix. Mais comprenez que vous avons vécu plus de deux années en son absence, la dame Sybille de Déols a déjà de l'expérience et connaît les tâches qu'il lui faudra accomplir désormais seule.

Puis sans un mot de plus, il ouvrit les battants et Henri, un peu perplexe, pénétra dans une salle de réception dans laquelle brûlait un feu rougeoyant. Devant lui se trouvait une toute jeune femme blonde, petite et menue. Et surtout très jeune. Il ne s'était jamais plu à imaginer à quoi ressemblait l'épouse d'Abo mais s'il l'avait fait, elle n'aurait pas été cette petite dame encore moins âgée que lui. Elle n'avait pas été savamment apprêtée, sans doute trompée par le fait qu'elle n'espérait aucune visite et ses boucles blondes n'avaient pas été dissimulées sous une coiffure qu'affectionnaient les dames de la cour. Loin de baisser les yeux, elle le fixait, l'examinant de haut en bas puis ses yeux bleus rencontrèrent enfin le regard d'Henri. Celui-ci se sentait terriblement mal à l'aise. Non à cause de la dame ou de son inspection – il en fallait bien plus pour l'impressionner – mais parce qu'il se demandait s'il y avait une bonne manière de dire à une femme que son époux était mort loin d'elle, dans une terre qu'elle ne connaîtrait probablement jamais. Il avait pourtant eu le temps de réfléchir à la question depuis qu'Abo était mort dans ses bras en lui arrachant cette promesse de protéger la dame et son fils (à cette pensée, un éclat de douleur passa dans ses yeux) mais il avait toujours remis cela à plus tard. Tout lui avait semblé si lointain quand il combattait les Sarrasins dans le royaume du Seigneur, quand il avait navigué pour revenir en France ou qu'il avait traversé la Provence et la Bourgogne pour venir jusqu'ici. Mais Henri était bien conscient de la réponse à cette interrogation. Il n'y avait pas de bonne manière de le dire.

- J'admets être surprise d'une telle visite, s'impatientait Sybille de Déols.
- Je suis navré, ma dame, s'inclina Henri, je suis Henri, le fils du comte de Blois-Champagne... Je... Je ne viens pas porteur d'une bonne nouvelle.
- Ne vous encombrez pas de détours, parlez.

Il y avait une force dans sa voix qui contrastait avec sa silhouette gracile. Henri ignorait quelles avaient été ses relations avec Abo mais elle était la mère de son fils... Un petit garçon dont il était désormais responsable. Il baissa un instant les yeux, prit une profonde inspiration pour se donner du courage et releva la tête pour la regarder droit dans les yeux, l'air profondément désolé :
- Votre époux est mort, madame.

C'était désormais lâché. Dire ces mots, c'était rendre les choses bien trop réelles. Châteauroux n'avait plus besoin d'espérer, elle ne pouvait désormais que pleurer, avec beaucoup de retard, son maître qui ne reviendrait pas. Henri, en regardant la pièce dans laquelle il se trouvait, ne put s'empêcher de se demander si Abo aimait venir ici, où il s'installait, s'il prenait son fils sur ses genoux, là au coin du feu ou si, comme pendant la croisade, il était l'un de ces hommes toujours actifs, toujours prêts à mettre en application de nouveaux projets. Mais quelle importance désormais ?

- Il est mort courageusement en combattant les Infidèles, continua Henri d'une voix ferme et calme, sentant qu'il devait des explications face au silence de la jeune femme, il était un homme d'honneur. Je n'ai pu que rapporter son épée pour la transmettre à son fils. J'étais l'un de ses amis, peut-être le plus proche. Je devais donc venir vous prévenir.

Si Henri s'en doutait bien, Sybille ignorait encore que cette visite n'était que le début d'une longue série.
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Sybille de Déols
Petite boudeuse <3
Sybille de Déols


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MessageSujet: Re: [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser   [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser EmptyMar 2 Sep - 23:32

Il y avait longtemps déjà que le silence était revenu dans la grande salle, et pourtant, il y résonnait toujours les notes éteintes de la ballade que l’on y avait déclamée. Celles-ci, comme un éternel écho, semblaient encore murmurer leur triste mélancolie, dont le ton languissant seyait si bien aux longues journées qui s’étiraient en cette fin d’année. L’hiver, gris et froid, pesait de tout son poids sur Châteauroux, ternissait même l’âme de ses brillants poètes, et assombrissait leurs vers. Mais si ceux-ci évoquaient la saison, la froide et implacable saison, ils chantaient également l’absence, et l’interminable attente. La croisade avait bonne place dans les chants et partout, sa glorieuse mais triste figure se rappelait à ceux qui, restés loin de la Jérusalem captive, ne pouvaient que prier pour le retour de leurs chevaliers. A cette règle, les poètes de Châteauroux ne faisaient pas exception ; et c’est l’impatience inquiète de terres privées de leur maître qu’illustrait la chanson dont les derniers échos se faisaient entendre.
Sybille, appuyée à une fenêtre, les entendait encore distinctement quoi qu’elle fût seule dans la pièce silencieuse depuis un moment déjà. Les sourdes incertitudes dont étaient empreints ces vers, elle n’en était pas épargnée. Le retour ou non de son époux, Abo, préoccupait la très jeune châtelaine tout autant que beaucoup de ceux qui l’entouraient, mais c’était un fait, de façon sans doute bien moins noble que ce poète dont elle avait pu apprécier le talent un peu plus tôt. Les rumeurs le voulaient : la croisade, sans succès, touchait à sa fin et l’on disait même que quelques hommes avaient déjà entrepris le long voyage de retour. Abo était-il de ceux là ? Des prochains ? Ou de ceux dont le sang souillerait à jamais le sable brûlant de la Terre Sainte ? Ces questions, Sybille se les posait comme tout le monde, mais les craintes qu’elle en tirait, en revanche, lui étaient propres.

En effet, le retour du seigneur de Déols, la jeune femme y pensait de façon bien contradictoire. Elle ne pouvait réellement souhaiter la mort de cet homme qu’elle ne haïssait pas. Avec le temps, les deux époux avaient fini par nouer entre eux une forme d’amitié distante, mais certaine, si bien que Sybille s’était parfois prise à l’espérer faisant bonne, et surtout vivante figure dans les rangs des croisés. Mais il une chose de certaine : s’il revenait, Abo reprendrait sa place à la tête du domaine, place que la demoiselle n’avait pas le moins du monde envie de lui abandonner. Elle régentait Châteauroux depuis deux ans, deux ans qui avaient suffi à faire se craqueler les fragiles remparts savamment érigés autour de son ambition et de sa soif de liberté. Le retour d’Abo mettrait un terme à tout cela, il n’y avait pas à en douter, et Sybille ne s’imaginait pas retourner dans l’ombre d’où le départ de son époux l’avait tirée. Quand on a goûté au pouvoir, quel qu’il soit, difficile de revenir en arrière. Telles étaient les questions qui la troublaient à l’idée de cette croisade - questions que personne sinon Jehan, sans doute, n’avait encore su lire dans les éclats qui allumaient parfois ses yeux songeurs. Car si l’on attendait le retour du chevalier, on n’en appréciait et respectait pas moins la châtelaine qui, durant cette absence, n’avait pas démérité - bien au contraire. Châteauroux rayonnait, et elle n’y était pas étrangère. À cette idée, un sourire rêveur de dessina sur les lèvres de Sybille. S’il revenait, Abo saurait apprécier à sa juste ce qu’elle avait fait de ce domaine. Mais cela compterait-il à ses yeux ? Rien de moins sûr. Cette fois, ce fut un soupir qui échappa à la jeune femme : il n’était pas encore temps d’y penser. Pour l’heure, aucun retour n’avait été annoncé.

Le hasard fit bien les choses ce jour là, car elle sortait à peine de ces longues réflexions que des éclats de voix attiraient son attention. Bien vite, la porte s’ouvrit, et Sybille put voir Jehan rentrer dans la pièce, poussant devant lui un jeune garçon qu’elle reconnut pour être le fils de l’un des serviteurs travaillant au château. Surprise, elle fronça les sourcils.
« Des cavaliers approchent, annonça Jehan avant qu’elle eût prononcé le moindre mot. Répète ce que tu m’as dit, mon garçon.
- Depuis deux jours on surveille la route pour être les premiers à voir les chevaliers rentrer. Y’a Pierre, et Martin avec moi et on a un signe. Pierre, il guette et moi j’suis celui qui cours le plus vite, j’étais un peu plus loin et j’devais prévenir ici si ils voyaient quelque chose, lança précipitamment le jeune garçon.
- Ces cavaliers, tu les as vu ? Combien sont-ils ? demanda Sybille qui s’était approchée de lui.
- J’sais pas moi, ma dame... C’est Pierre qui les a vu. Tout c’que je sais c’est qu’ils viennent !
La châtelaine esquissa un sourire et posa un instant la main sur l’épaule de l’enfant avant de le laisser filer. Aussitôt, son regard croisa celui de Jehan.
« Abo... ? souffla-t-elle. »
Le chevalier haussa les épaules. Il n’en savait pas plus qu’elle. Elle resta un instant songeuse, songeant non sans ironie aux réflexions qu’elle se faisait quelques instants plus tôt. Glissant un regard par la fenêtre, elle vit indistinctement un cavalier arriver.
« Fais en sorte qu’ils soient accueillis. »

Jehan tourna les talons, et fut bientôt suivi par la jeune femme qui gagna rapidement les chambres réservées aux enfants.
« Marie, où est Aymeric ?
- Avec le père Antoine, ma dame.
- Tiens le prêt, nous avons de la visite.
- Dois-je préparer Guillaume aussi ? »
Sybille hésita un instant. Elle avait décidé, dès la naissance du garçon, d’être franche avec Abo s’il revenait. Mais maintenant que le moment semblait venu... Lucide, toutefois, elle hocha positivement la tête. Ce secret là ne pouvait le rester, et elle ne voulait pas qu’il l’apprenne d’une autre bouche que la sienne. Là-dessus, elle descendit, cherchant à deviner à l’avance une voix, une silhouette connue.
Ce ne fut pas le regard d’Abo qu’elle croisa, mais celui de Geoffroy, l’un des jeunes chevalier partis à sa suite à la croisade. Jehan se trouvait déjà à ses côtés.
« Geoffroy ! s'exclama-t-elle dans un sourire sincère qui masquait sa soudaine tension. Quel plaisir de vous revoir parmi nous ! Revenez-vous avec mon époux ?
- J’accompagne le fils du comte de Champagne, répondit sobrement le chevalier sur les traits duquel une ombre était passée. Il m’a demandé de vous prévenir de son arrivée, qui n’est pas porteuse de bonnes nouvelles...»
À ces mots, Sybille sentit son coeur battre une mesure plus rapide. Sans chercher à en savoir plus, elle lui permis de se retirer et pénétra dans la pièce de réception non loin, tandis que Jehan sortait accueillir les nouveaux venus. Là, elle se prit à parcourir la salle de long en large, l’esprit bouillonnant. A la question de savoir pourquoi c’était le fils du comte de Blois-Champagne qu’accompagnait Geoffroy, elle n’osa répondre d’elle-même, quoi que la réponse lui semblât évidente. Ça n’est que lorsqu’elle entendit des pas derrière la porte qu’elle s’interrompit, debout à côté d’un fauteuil, pour se composer un visage neutre.

Les deux battants s’ouvrirent sur Jehan, qui s’écarta bien vite, et un jeune homme que Sybille n’avait jamais vu auparavant. Elle le dévisagea sans vraiment s’en cacher, notant ses traits tirés, témoins, sans doute, des fatigues du voyage. Elle l’inspecta de haut en bas, avant de croiser son regard - semblait-il - empreint d’une tristesse qui venait corroborer les pensées contradictoires de Sybille. C’est en rencontrant ces yeux bruns qu’elle comprit. Inutile de chercher à repousser plus longtemps l’évidence : même blessé, Abo n’aurait jamais laissé qui que ce fut prendre sa place à la tête de ses chevaliers. Le malaise, palpable, qui s’était installé en même temps que le silence en était une autre preuve : si Abo n’était pas là, c’est qu’il n’était plus nulle part.
« J’admets être surprise d’une telle visite, lança-t-elle, parce qu’il fallait bien que l’un d’entre eux se décide à parler.
- Je suis navré, ma dame. Je suis Henri, le fils du comte de Blois-Champagne... Je... Je ne viens pas porteur d’une bonne nouvelle.
- Ne vous encombrez pas de détours, parlez. »
Il y avait dans la voix de Sybille une fermeté, sinon une dureté qui rendait assez mal l’état dans lequel étaient plongées ses pensées. Pas un instant elle ne détourna les yeux du chevalier face à elle. Il fallait qu’il le dise. Malgré toutes ses certitudes, elle avait besoin de l’entendre.
« Votre époux est mort, madame, lâcha-t-il enfin, regard planté dans le sien. »

Si la jeune femme parut se raidir à cette annonce, elle ne put toutefois pas ignorer le poids dont était soudain débarrassée sa poitrine. Le visage fermé, elle fit quelques pas dans la salle, tournant un instant le dos à Henri. Elle chercha, maintenant que la chose était certaine, la tristesse ou l’angoisse dont elle aurait dû être saisie. Elle chercha toutes ces émotions auxquelles elle semblait être tenue, mais ne trouva en son être rien qu’un peu de peine, de celle que l’on ressent lorsque disparaissent les grands hommes. Rien de plus. C’est néanmoins ce qu’elle s’appliqua à laisser paraître lorsqu’elle fit à nouveau face au jeune homme qui reprenait las parole.
« Il est mort courageusement en combattant les Infidèles, il était un homme d'honneur. Je n'ai pu que rapporter son épée pour la transmettre à son fils. J'étais l'un de ses amis, peut-être le plus proche. Je devais donc venir vous prévenir.
- Et je vous en remercie, souffla Sybille en se laissant tomber dans un fauteuil. »
Ça n’était pas de l’abattement feint. A vrai dire, elle n’eut pas besoin de feindre quoi que ce soit. Si le peu de peine que lui inspirait cette nouvelle était sincère, elle parut toutefois plus songeuse qu’attristée.
« Nous l’attendions encore... Quand j’ai été prévenue de votre arrivée, c’est lui que je pensais accueillir, confia-t-elle comme un simple constat. »
À nouveau, elle leva les yeux sur le fils du comte de Champagne, dont elle ne savait rien sinon les conflits qui opposaient leurs pères. Elle se prit à se demander ce qui avait pu rendre ce jeune chevalier - quoi qu’il fût un peu plus âgé qu’elle - si proche, à en croire ses dires, d’un homme tel qu’Abo, les circonstances qui avaient su les rapprocher, les combats qu’elle supposait menés ensemble mais garda pour elle toutes ces questions, qui relevaient d’une curiosité déplacée en un tel moment. Elle se contenta plus tôt d’un sourire pâle.
« Si j’en crois vos dire, il a eu la mort qu’il était parti chercher, reprit-elle. »
Si Sybille se sentait depuis ces quelques instants bien plus libre qu’elle ne l’avait jamais été, elle ne songea pas sans une tendresse amusée - les morts avaient toujours droit à bien plus de sentiments que les vivants - aux promesses de gloire qu’avait fait Abo avant son départ. Une gloire au nom du Seigneur, qu’elle fût dans ses actions ou dans sa mort. D’une certaine façon il avait trouvé sur la Terre Sainte à laquelle il appartenait maintenant entièrement ce qu’il avait souhaité y trouver. Si elle avait pu se montrer plus cynique, Sybille aurait sans doute pensé que finalement, chacun y trouvait son compte.
« Une mort digne de lui, n’est-ce pas ? continua-t-elle en renfermant ces pensées loin en elle. Étiez-vous là ? »
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Henri de Champagne
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Henri de Champagne


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MessageSujet: Re: [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser   [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser EmptyMar 2 Sep - 23:33

Tout le temps où il s'était adressé à elle pour lui annoncer la mort de son époux, Henri de Champagne n'avait pas quitté Sybille du Déols du regard, étudiant les gestes de la jeune femme ou les expressions de son visage. Il n'avait pas un instant détourné ses yeux bruns car il devait se montrer fort et ferme devant elle : il devait cela à Abo. Depuis que son camarade tombé face aux Sarrasins lui avait fait promettre de prendre soin de son épouse, jamais Henri n'avait imaginé autrement cette scène. C'était à lui d'annoncer, d'expliquer, d'assumer les possibles pleurs, les possibles cris. C'était en lui qu'elle pouvait trouver du réconfort si elle en avait besoin et non l'inverse, à lui de supporter de devenir un porteur de mauvaises nouvelles, auteur de mauvais présages. De fait, elle ne l''avait guère accueilli favorablement et le considérait avec une froideur qui pouvait laisser penser qu'elle était à l'image des paysages qui s'étaient figés sous les effets du givre malgré le feu qui crépitait dans la large cheminée de la grande salle du château fort de Châteauroux, paysages qui avaient attendu le retour des enfants du pays. Rien n'était plus faux, personne sans doute n'avait autant changé que Sybille de Déols pendant ces longues années loin de son époux mais Henri qui n'avait fait la connaissance d'Abo que lors de la croisade ne pouvait le deviner. Quand on part pendant si longtemps, on aime à imaginer que rien ne change, que l'on retrouvera tout exactement à l'endroit où l'on l'a laissé. Et pourtant, son père allait avoir plus de rides et d'inquiétudes, sa mère aurait de nouveaux sujets de préoccupation mais sans doute toujours aussi futiles, ses frères et sœurs de nouvelles aspirations. Le temps ne se fige pas, hélas. Mais en cet instant, Henri était loin de le regretter car il ressentait pleinement le malaise qui s'était installé dans la pièce, sans pour autant se trouver particulièrement mal à l'aise. Il était là où il devait être et ce sentiment-là dissipait la tension qui aurait pu s'emparer de la scène. La dame de Déols avait deviné, évidemment, de quoi il en retournait mais elle parut attendre les mots de Henri pour que la disparition d'Abo prenne tout son sens. Henri attendit sa réaction avant d'avancer des explications. Son regard s'était posé sur la jeune femme qui lui semblait si blanche et si fragile à cet instant mais il ne fit pas un mouvement dans sa direction par peur de la brusquer, la laissant se détourner de lui. Alors qu'elle était de dos, alors que ces boucles blondes tombaient en cascade sur ses épaules, il avait peine à imaginer qu'elle avait été l'épouse de ce grand gaillard d'Abo, toujours le rire et les exclamations à la bouche et déjà mère, elle ne semblait être qu'une jeune fille presque une enfant à qui on annonce qu'elle se retrouve seule au monde. Mais quand elle lui fit de nouveau face, son visage était rempli d'une résolution qui n'avait rien à voir avec celle d'une enfant. Non, elle avait la dignité d'une femme qui a déjà trop vécu.

Peut-être avait-il espéré avoir quelqu'un avec qui partager sa peine mais il fut néanmoins soulagé, un peu lâchement, de la voir dans de telles dispositions. Abo n'avait pas fait un mariage d'amour mais l'abattement dont témoignait la façon dont elle se laissa tomber sur sa chaise semblait l'avoir saisie. Certes, de la part d'une épouse, on aurait pu attendre plus d'affliction mais cela faisait déjà deux ans qu'elle avait vécu loin d'Abo, comment lui en vouloir ? Henri se prit à penser que le jour où il venait à disparaître, il aimerait être pleuré par son épouse et par sa famille. Mais il chassa rapidement ces pensées pour replacer son attention sur la jeune femme de laquelle il s'approcha légèrement pour s'arrêter à quelques pas afin de continuer à lui faire face.
- Nous l’attendions encore... Quand j’ai été prévenue de votre arrivée, c’est lui que je pensais accueillir.
- C'est la raison pour laquelle nous nous sommes rendus à Châteauroux dès notre arrivée dans la région, répondit Henri en hochant la tête pour faire signe qu'il comprenait. Il faillit ajouter quelques mots pour lui faire comprendre que l'attente était souvent bien cruelle mais il préféra garder le silence pendant qu'elle mettait de l'ordre dans ses pensées. Rien de plus difficile que de se composer une attitude lorsque la surprise s'empare de vous.
- Si j’en crois vos dires, il a eu la mort qu’il était parti chercher..., reprit la jeune femme, une mort digne de lui, n'est-ce pas ? Étiez-vous là ?
Il suffit de ces quelques mots pour qu'en un éclair, des images de l'Orient resurgissent dans l'esprit de Henri. Il n'avait pourtant pas souvent repensé aux instants où Abo, mourant, s'était confié à lui, privilégiant les souvenirs plus heureux des moments qu'ils avaient passé ensemble à échanger des anecdotes autour des feux de camps ou à s'entraîner au combat, Abo étant un chevalier émérite. Toutes les scènes qu'ils avaient vécu là-bas semblaient plus brillantes, plus éclatantes dans sa mémoire comme si le soleil de l'Orient avait recouvert ces événements d'une aura dorée ou comme si son esprit avait déjà idéalisé et effacé les aspects sombres de tout ce qu'il avait fait durant cette croisade. Un simple instant, il retourna sur la terre promise dans cette atmosphère de camaraderie qui lui avait tant plu, à peine gâchée par les problèmes du couple royal et un mince sourire lui échappa. Mais ce ne dura qu'un bref instant puis il fut de nouveau dans cette grande salle sombre toute en pierre et en boiseries, froide malgré la cheminée, terriblement grise comme l'était tout ce qu'il voyait depuis son retour dans le royaume de France. De nouveau, il se força à revenir au présent, tandis que les grands yeux bleus de Sybille le fixaient toujours avec cette sorte de franchise un peu déconcertante. Henri se demanda ce qu'elle voulait vraiment entendre. Voulait-elle avoir les détails de la mort de son époux ? C'était particulièrement morbide. Voulait-elle juste la confirmation qu'il s'était comporté honorablement jusqu'à son dernier souffle ? Comment en doutait-elle ? Le jeune homme ne sut quel ton adopter et garda le silence quelques secondes le temps de trouver quoi répondre à cette question. Il devait la vérité à cette épouse.

- J'étais présent en effet ce jour-là, j'étais auprès de lui. Nous... Abo avait été placé sous mes ordres mais c'est lui qui m'a beaucoup plus apporté que je ne l'ai fait, il avait beaucoup d'expérience, bien plus que je n'en avais du haut de mes vingt ans. Et nous étions côte à côté lors de la bataille de Méandre que nous avions lancé conjointement avec le comte de Flandres, Thierry d'Alsace. Et nous nous sommes perdus de vue au cours des combats, continua-t-il d'une voix ferme tout en continuant à épier les réactions de son interlocutrice pour voir comment elle réagissait à ce discours, quand l'un de vos chevaliers m'a appelé, après que nous avons mis en déroute les Sarrasins, il était trop tard. Abo était déjà mourant. Il est mort l'épée à la main, en combattant les Infidèles et en défendant le Saint-Sépulcre, il est mort dans la gloire et il est enterré dans la terre promise, non loin de Jérusalem et des lieux saints.
Sa voix était devenue un peu plus vibrante à cette évocation et pour la première fois depuis le début de la discussion, il détourna le regard pour dissimuler sa gêne et son chagrin. La croisade n'avait pas été une réussite non à cause des Turcs mais bien de la discorde qui était née au sein des principaux chefs chrétiens mais au grand jamais, Henri n'aurait pu regretter cette expérience qui lui avait offert une rédemption pour les fautes qu'il avait commises lors de la guerre contre le roi et dont le souvenir continuerait longtemps à le hanter. Mais s'il lui fallait retenir un épisode douloureux, c'était sans nul doute la mort d'Abo même si tout chevalier digne de ce nom rêvait de voir s'ôter la vie dans la guerre la plus juste qui soit en arborant la croix rouge des croisés. S'était repris, il fixa de nouveau la jeune femme blonde et songea que décidément le destin prenait des directions étranges. Cette croisade de deux ans avait changé tout le monde, la vie de Sybille de Déols tout comme la sienne. Il ignorait encore à quel point leur rencontre à eux deux dont la vie avait été si bouleversée allait se révéler décisive dans le cours futur de leur existence.
Il avait fait entrer un peu d'Orient dans cette pièce triste mais il ne put s'empêcher de se demander ce qu'elle imaginait. Tout cela était si lointain de cette vieille France, il avait connu le luxe époustouflant de la cour de Constantinople et les brûlures du désert, était-ce seulement atteignables par l'imagination ?
- Cette mort était digne de l'homme qu'il était et sachez que nous lui avons rendu tous les hommages qu'il méritait... Hélas, même s'il était allé chercher la gloire et qu'elle lui est désormais éternelle, il aurait sans doute voulu voir son fils grandir comme tout père... J'en suis terriblement navré et je... Si vous avez besoin de soutien, je suis là.
En cet instant-là, il n'était plus Henri de Champagne et elle n'était plus Sybille de Déols, née dans cette famille d'Amboise que Thibaud IV détestait tant, ils n'étaient que deux jeunes gens réunis autour de la perte d'un homme qui leur avait été proche combien même ils ne l'aimaient pas assez pour ne pas accepter cette manière qu'il avait eue de partir. Il se détacha du regard bleu de Sybille pour poursuivre de façon plus assurée :
- A vrai dire, Abo était toujours en vie et j'ai pu assister à ses derniers instants. Il a pu me transmettre ses dernières volontés. Sachez que ses dernières pensées ont été pour vous et pour son fils. Il redoutait de vous abandonner seule avec un si jeune garçon. Je sais que vous saurez lui donner l'éducation qu'il mérite pour le faire digne héritier de son père. Il peut d'ors et déjà récupérer son épée que nous avons ramené avec nous, la seule chose qui nous reste de lui. Mais..., il hésita un instant sur la manière de l'annoncer, il m'a également demandé d'être le parrain du petit car il savait pouvoir avoir confiance en moi pour veiller sur lui et le protéger comme s'il était mon propre enfant... En sa mémoire.
Doucement, il s'approcha de la dame de Déols et prit sa main :
- Je serai également là pour vous épauler quand vous le désirerez. Je veux faire honneur à la promesse que j'ai faite à Abo. Je suis un homme de parole et d'honneur.

Sentant une porte s'ouvrir dans son dos, il relâcha la paume de Sybille non sans lui adresser un mince sourire chaleureux qui flottait habituellement sur ses lèvres et se retourna, en passant la main sur son visage dans l'espoir d'en faire disparaître la fatigue afin de faire bonne figure. Une servante entra, tenant par la main un tout jeune enfant dont les cheveux blonds indiquaient sans peine de qui il tenait son physique. Le petit se dissimula dans les jupes de la demoiselle, ayant soudainement peur de ce grand seigneur encore en tenue de voyage qu'il n'avait jamais vu. Mais au moment où Henri allait s'accroupir pour espérer s'accorder ses faveurs, un geignement le fit dresser l'oreille et prendre conscience du bébé que la femme tenait dans ses bras. Un tout petit bébé qu'elle tendit à Sybille de Déols. En un éclair, Henri comprit ce dont il en retournait et il ne put dissimuler la stupéfaction qu'il ressentait. Au bout de quelques secondes de silence où Sybille paraissait le considérer avec défi et où le bébé continuait à gazouiller, Henri se reprit et demanda :
- Qui est cet enfant ? Il s'agit de... Votre enfant ?
Il n'y avait pas besoin de demander l'âge pour savoir que s'il était bien le fils de Sybille... Il ne pouvait en aucun cas être celui d'Abo.
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MessageSujet: Re: [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser   [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser EmptyMar 2 Sep - 23:34

C’est un curieux tableau qu’offraient les deux jeunes gens ; bien trop jeunes semblait-il pour ce qu’ils étaient contraints de se dire, et pour la gravité de ce que ces dires impliquaient. Pourtant, Henri avait déjà eu plus que le temps d’être plongé dans les affres de la guerre, et Sybille, celui de prendre en main et de régenter son domaine. Tous deux étaient d’un monde qui ne laissait nulle place à l’innocence ou la naïveté, aussi la dame de Châteauroux prenait-elle très bien, du haut de ses dix-neuf ans, la mesure de la nouvelle qu’était la mort de son époux. Elle était désormais seule, sans la protection - tacite, mais réelle - qu’offrait un probable retour d’Abo contre les opportunistes ou les ambitieux qui ne tarderaient pas à tourner comme des vautours autour de la place laissée vacante. Ses deux fils étaient à peines des enfants, et il était de notoriété publique que le second n’était pas celui du seigneur. En somme, si elle n’avait pas eu de son côté les deux années qui venaient de s’écouler, Sybille aurait sans doute réellement pu s’inquiéter de la disparition d’Abo, mais elle avait beaucoup fait pendant tout ce temps pour que cela ne se produise pas. La châtelaine, si jeune fut-elle, avait pris son rôle à coeur, non pas par ambition - du moins, dans un premier temps - mais parce que là était son devoir, envers son mari, mais également, s’il ne devait pas revenir, envers son fils à qui elle s’était promis de laisser le meilleur domaine possible. Et si les motivation de l’opiniâtre mère n’étaient plus aussi nobles qu’elles avaient pu l’être, elle n’en avait pas moins veillé à se garantir des conséquences possibles de la croisade.

Aussi n’est-ce pas avec autant d’angoisse - sans parler d’un chagrin à peine visible - que  l’on aurait pu l’attendre que Sybille accusa la nouvelle, et avec plus d’assurance qu’elle n’aurait dû en faire preuve qu’elle leva à nouveau les yeux sur Henri. Depuis le fauteuil dans lequel elle s’était laissée tombée, la jeune femme posa sur lui un regard franc, et ne le détourna plus un instant alors qu’elle posait les questions qui lui semblaient être de circonstances. À dire vrai, elle ne doutait pas réellement des réponses qui lui seraient faites. Elle connaissait Abo, quoi qu’ils ne se fussent jamais vraiment ouverts l’un à l’autre, et elle le connaissait assez pour savoir avant d’en avoir la confirmation qu’il s’était illustré aux combats, et avait fait honneur au personnage qu’il avait toujours campé, fidèle à lui-même. C’est bien ce qu’il avait fermement annoncé en partant rejoindre ses hommes, comme une promesse qu’il aurait tenu à faire à la jeune fille de seize ans qu’elle était alors, et Abo était un homme de parole. Elle le savait aujourd’hui, et lors de son départ, comme elle l’avait toujours su dès l’instant où, ayant obtenu d’elle ce qu’il désirait - un fils - il l’avait laissée sortir du pâle rôle de l’épouse dévouée auquel, malgré tous les efforts de sa mère, elle n’aurait pu se cantonner. L’honneur, dans la victoire ou dans la mort, les mots résonnaient encore à l’oreille de Sybille.
« J'étais présent en effet ce jour-là, j'étais auprès de lui, repris enfin Henri après quelques secondes de silence. Nous... Abo avait été placé sous mes ordres mais c'est lui qui m'a beaucoup plus apporté que je ne l'ai fait, il avait beaucoup d'expérience, bien plus que je n'en avais du haut de mes vingt ans. Et nous étions côte à côté lors de la bataille de Méandre que nous avions lancé conjointement avec le comte de Flandres, Thierry d'Alsace. Et nous nous sommes perdus de vue au cours des combats. Quand l'un de vos chevaliers m'a appelé, après que nous avons mis en déroute les Sarrasins, il était trop tard. Abo était déjà mourant. Il est mort l'épée à la main, en combattant les Infidèles et en défendant le Saint-Sépulcre, il est mort dans la gloire et il est enterré dans la terre promise, non loin de Jérusalem et des lieux saints. »

Pas un instant ils ne s’étaient quittés du regard. Sybille, dont les traits semblaient s’être figés dans une neutralité pensive, ponctua les paroles du chevalier d’un pâle sourire, songeur lui aussi. Un instant, elle se représenta l’Orient, Jérusalem, les batailles acharnées pour ce que la Terre portait de plus saint, et aux pieds de ces monuments pour lesquels tant étaient glorieusement tombés, Abo, dormant de l’éternel sommeil du brave. Elle réalisa que jamais elle ne l’aurait imaginé mourir autrement. Il était de ceux que l’approche des combats animaient - en cela, elle l’avait toujours rapproché de son père - et qui ne pouvaient se satisfaire d’une autre façon de quitter ce monde. Lorsqu’elle revint à la réalité, Henri, lui, avait détourné le regard, ce qui ne put empêcher Sybille de lire dans ses yeux le chagrin qui ne se trouvait pas dans les siens. De nouveau elle l’observa, avec ces deux grandes prunelles qui ne semblaient pas souffrir le moindre détour. Elle essaya de l’imaginer loin en Orient, aux côtés d’Abo, de se représenter amis, camarades dans les grands déserts que la croisade lui évoquait, de comprendre ce qui avait pu faire que le jeune homme soit visiblement bien plus affecté qu’elle par la mort de cet homme alors presque vieillissant. Mais bien loin de voir quoi que ce soit de la sorte, elle se prit à détailler Henri, ses traits avenants auxquels le malaise et la peine ne pouvait totalement retirer leur air avenant, ses yeux bruns ; sans chercher plus loin les réponses à des questions qui n’avaient désormais plus grande importance.
« Je suppose qu’on n’aurait pu lui souhaiter meilleure fin, souffla-t-elle presque distraitement.
- Cette mort était digne de l'homme qu'il était et sachez que nous lui avons rendu tous les hommages qu'il méritait... Hélas, même s'il était allé chercher la gloire et qu'elle lui est désormais éternelle, il aurait sans doute voulu voir son fils grandir comme tout père... J'en suis terriblement navré et je... Si vous avez besoin de soutien, je suis là. »

C’est à cet instant précis qu’aux yeux de Sybille, la conversation prit un nouveau tour, dont elle ne pouvait imaginer toutes les conséquences à venir. Il n’y avait rien de plus sincères que les mots d’Henri, qu’elle remercia tout aussi sincèrement, non sans qu’un indéfinissable éclat n’allume un instant ses deux yeux, mais elle sentit qu’il y avait quelque chose, autre chose à dire. Était-ce ce simple mot de «soutien» qui avait soudain rappelé la jeune femme au présent ? Elle avait depuis longtemps appris à s’en méfier, ayant, tout au long de ces deux années, reçu toute sortes de proposition du même nom. Ce mot là, chacun s’en faisait aisément sa propre définition et étrangement, Sybille n’avait jamais la même que ses généreux... soutiens.
« Vous avez déjà fait beaucoup, répondit-elle prudemment. De là où il se trouve maintenant, mon époux vous est sans doute aussi reconnaissant que je le suis moi-même.
- A vrai dire, Abo était toujours en vie et j'ai pu assister à ses derniers instants. Il a pu me transmettre ses dernières volontés. À ces mots, la jeune châtelaine fronça une seconde, une courte seconde les sourcils. C’était donc cela. Imperceptiblement, Sybille se mit sur ses gardes. Sachez que ses dernières pensées ont été pour vous et pour son fils. Il redoutait de vous abandonner seule avec un si jeune garçon. Je sais que vous saurez lui donner l'éducation qu'il mérite pour le faire digne héritier de son père. Il peut d'ors et déjà récupérer son épée que nous avons ramené avec nous, la seule chose qui nous reste de lui. Mais..., il hésita un instant tandis qu’elle posait sur lui un regard perçant, il m'a également demandé d'être le parrain du petit car il savait pouvoir avoir confiance en moi pour veiller sur lui et le protéger comme s'il était mon propre enfant... En sa mémoire. Il s’approcha, et lui prit une main qu’elle ne lui refusa pas, trop occupée à laisser se formuler dans son esprit cette seconde nouvelle. Je serai également là pour vous épauler quand vous le désirerez. Je veux faire honneur à la promesse que j'ai faite à Abo. Je suis un homme de parole et d'honneur. »

Aussitôt, elle sourit - peut-être moins sincèrement que plus tôt, mais elle sourit, dissimulant à merveille comment, de touchée par la peine du chevalier, elle était soudain devenue bien moins prompt à se laisser attendrir, et presque sur la défensive.
« Je n’en doute pas un instant, lança-t-elle en se levant, et je suis honorée que vous acceptiez cette charge. »
En effet, Henri n’était pas n’importe qui, de cela aussi elle en était consciente. Elle savait pertinemment qui étaient les Blois-Champagne, et savait surtout combien son père se plaisait à provoquer Thibaud IV afin de s’en émanciper, comme il avait toujours voulu le faire des Angevin. Sybille était parfaitement capable de s’affranchir des inimitié de son querelleur de père (elle n’avait pas contre ce Thibaud vieillissant les griefs qu’elle devait trouver plus tard) et de voir les avantages d’un tel lien. Mais elle était avant tout terriblement méfiante dans ce domaine, et avait pris goût à l’indépendance presque totale dont elle avait joui durant les deux dernières années. Ce que proposait aujourd’hui le jeune homme était sans doute dépourvu de la moindre arrière pensée, mais elle était trop peu naïve, et trop initiée pour croire que cet état de fait durerait.
Elle allait reprendre lorsqu’une porte grinça légèrement sur ses gonds. Elle répondit moins chaleureusement au sourire d’Henri, mais uniquement parce qu’elle savait déjà qui se trouvait derrière la porte, et ce qui allait se passer dans les secondes à venir. Marie entra, et avec elle Aymeric qui se hâta de se dissimuler dans les jupes de la gouvernante - gouvernante qui portait également, comme Sybille le lui avait demandé, un très jeune nourrisson. La jeune dame ne dit rien, mais épia chacune des réactions d’Henri, qui ne tarda évidemment pas à comprendre. Alors que Marie déposait Guillaume dans les bras de sa mère, il se figea, sans pouvoir masquer sa surprise, alors qu’elle dardait sur lui un regard perçant, qui n’était pas exempt d’une lueur de défi.

« Qui est cet enfant ? Il s'agit de... Votre enfant ? »
Si elle avait su qu’il ne s’agissait pas d’Abo, Sybille aurait sans doute réfléchi plus longuement avant de révéler ce secret-là. Mais puisqu’elle n’avait pas eu la présence d’esprit d’empêcher que cet incident ne se produise, elle ne se démonta pas. Tant qu’on ignorait qui était le père de cet enfant, sa présence ne portait pas à conséquence.
« En effet. Son nom est Guillaume, il est né il y a quelques mois. Un regard entendu ponctua ces paroles, alors qu’elle posait une main sur l’épaule de son aîné. Et voici Aymeric, votre filleul. »
Elle ne pouvait aller à l’encontre des dernières volontés d’Abo, et, ne voulait pas causer d’incident diplomatique - genre d’incident qui, elle en avait fait l’expérience à maintes reprises dans son enfance, restait rarement diplomatique. On outre, elle n’avait en soi rien contre cette dernière décision. Elle devait bien cela à Abo.
« Vous êtes mon père ? bredouilla timidement le garçon qui s’exprimait honorablement pour son âge. »
Sybille esquissa un sourire sans joie. Cet enfant n’avait pas le moindre souvenir de son père, il était bien trop jeune lorsqu’il avait quitté la cour de ce château, et ne pouvait se rappeler de cette froide journée d’adieux. Lorsqu’il avait commencé  à poser des question, sa mère lui avait avec bienveillance raconté à quels exploits avait été appelé cet homme dont on lui parlait beaucoup, mais qu’il ne connaissait pas. Si elle n’était certainement pas la plus affectueuse des mères, et encore moins la plus dévouée qui fût, elle avait néanmoins veillé à entretenir le souvenir d’Abo auprès de son fils. Ne serait-ce que par respect. Laissant Guillaume s’agiter vaguement dans ses bras, la jeune femme adressa un regard indéfinissable à Henri puis se baissa afin de se trouver à la hauteur d’Aymeric. Il y avait peut-être plus difficile que d’annoncer à une veuve la mort de son époux.
« Il s’agit de ton parrain... Ton père ne reviendra pas de son voyage, lui expliqua-t-elle avec une douceur qui ne lui était pas coutumière, en effleura l’une de ses joues. Tu te souviens de ce que je t’ai dis sur ton père, n’est-ce pas ? De toutes les grandes batailles, des chevaliers ? Le garçon, qui ne pouvait comprendre totalement, hocha la tête. Et bien ton parrain, ici, qui était son ami, est aussi un chevalier. »

Aymeric opina du chef une seconde fois, et leva à nouveau deux yeux timides sur Henri. Sybille, elle, se redressa et choisit de ne pas insister. Il était inutile de chercher à lui en dire plus pour l’instant, le garçon était bien trop jeune pour réaliser ce qui venait de se passer. Elle laissa un instant errer son regard sur le nourrisson qui la fixait de ses grands yeux bleus et décida d’aller le déposer dans le berceau qui se trouvait non loin. Dans son dos, elle sentit qu’Aymeric, ayant perdu la protection de sa robe, voulut d’abord la suivre puis se retourna finalement vers cet inconnu auquel il manquait l’armure pour avoir l’air d’un chevalier, mais ayant toute confiance en sa mère, il ne fit aucune remarque. Tout en installant Guillaume, celle-ci suivit la scène du coin de l’oeil. Elle entrevit le jeune garçon s’approcher d’Henri à petits pas et enfin, sa voix timide s’élever.
« Vous avez combattu des dragons ? demanda-t-il de but en blanc, avec sérieux, comme s’il s’agissait là d’une question bien autrement importante que ce qu’il avait entendu jusque là. »
Sybille, qui leur tournait le dos, sourit en l’entendant confondre légendes merveilleuses et croisade, mais se garda bien d’intervenir dans leurs discussions. Elle fit même légèrement durer cette aparté, non parce qu’elle tenait particulièrement à ce qu’Aymeric fasse connaissance avec son parrain, mais pour réfléchir à la suite de cette conversation. L’entrée des enfants l’avait coupée, mais elle n’avait pas oublié les mots du jeune homme, et se demanda s’il fallait louvoyer, ou lui faire comprendre dès maintenant quel soutien elle n’attendait pas. Un instant, elle baissa les yeux sur Guillaume qui l’observait toujours avec cette curiosité que semblent avoir les nourrissons pour tout ce qui les entoure. Une fois de plus, elle trouva qu’il ressemblait à son père - ce qui, vu qu’elle était aussi blonde que lui, ne portait heureusement pas à conséquence. Pour le moment.

Rappelée à la réalité par un éclat de rire, elle leva les yeux au ciel, adressant à Abo une moue mitigée pour lui signifier ce qu’elle pensait de ses dernières volontés, puis rejoignit Aymeric et Henri.
« Aymeric, va demander à Marie de s’assurer qu’on prépare les chambres, et qu’on serve un dîner, demanda-t-elle au garçon qui fila non sans gratifier Henri d’un regard curieux. »
Sybille l’observa s’éloigner, avant de revenir au chevalier. Elle avait pris sa décision : inutile de faire traîner en longueur un quiproquo qui desservirait tout le monde. Sulpice raisonnait toujours de la sorte, ce qui n’était pas forcément un gage de bonne idée, mais à ses yeux, il fallait tout de suite qu’Henri sache à quoi s’en tenir. Elle l’invita à s’asseoir, tout en reprenant son propre siège.
« Je pense que vous lui plaisez. Elle laissa passer un silence. Sachez que je comprends, et évidemment que je respecte les dernières paroles d’Abo. Il a toujours agi au mieux, dans l’intérêt de tous. Mais, elle darda sur lui son regard franc, beaucoup de choses ont changé ici depuis son départ. Guillaume laissa échapper un éclat de voix, comme pour confirmer les dires de sa mères. Châteauroux, nos terres, nos hommes sont prospères, sans  doute au-delà de ce que mon époux avait imaginé. »
Un instant, son regard se perdit sur la petite fenêtre face à elle. Elle disait vrai, et n’exagérait pas ses mérites : le domaine que lui avait laissé son époux se portait réellement à merveille, malgré sa position délicate.
« Ce que je veux vous faire comprendre, seigneur, c’est que vous n’êtes pas le premier, ni le dernier sans doute à me proposer votre... soutien - et je vous en remercie, et vous serez toujours le bienvenue ici - mais que je n’ai pas besoin d’être épaulée. »
Le mot était lâché, sans détours, avec cet air décidé auquel Henri, mais ils ne pouvaient le savoir, se heurterait encore de bien nombreuses fois.
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Henri de Champagne
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MessageSujet: Re: [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser   [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser EmptyMar 2 Sep - 23:35

Le jeune Henri de Champagne n'était pas homme à juger sans connaître, à se forger une opinion négative ou positive sur la base d'un fait sans avoir pu discerner les motivations qui avaient poussé les personnes autour de lui à agir. Du haut de ses vingt-deux ans, il avait assez vécu pour savoir de quel fer était faite la nature humaine, que la bassesse y côtoyait sans cesse la plus haute noblesse d'âme. Dans un monde où la moindre maladie pouvait vous condamner à rejoindre le Seigneur, où la violence physique ou morale était continuelle, on grandissait vite, on atteignait rapidement une maturité forgée dans le souffle des épreuves et malgré sa condition de fils aîné de comte, Henri en avait eu son lot. La croisade elle-même avait su cristalliser les passions, les vertus mais aussi les vices qui résidaient en chacun comme si on pouvait encore moins les dissimuler lorsqu'on se trouvait en terrain inconnu, comme si le soleil impitoyable d'Orient révélait tout ce qu'on avait pris soin de laisser dans l'ombre, les jalousies, les désirs, les haines à l'image de ce qu'il s'était produit pour le roi et son épouse. Mais s'il avait appris à toujours réserver son jugement comme il devrait le faire en tant que comte qui avait l'obligation de trancher en ayant compris les raisons de chacun et en contentant toutes les parties, Henri ne put s'empêcher d'avoir un mouvement de surprise et presque de désapprobation quand Sybille de Déols prit le tout jeune bébé dans ses bras. Il avait évidemment compris de quoi il en retournait dès l'instant où la servante était entrée, où il avait entendu les gazouillis de l'enfant. Il était évidemment le sien et la manière dont elle se saisit de lui, avec une sûreté que lui donnait l'expérience, la manière surtout dont elle fixa son interlocuteur, une lueur de défi brillant dans son regard d'un bleu intense ne laissèrent aucune place au doute. Henri se surprit à se sentir blessé de cette nouvelle comme si c'était lui qu'elle avait trompé, lui dont elle avait profité de l'absence pour rompre les vœux d'un mariage sacré. Comme s'il venait enfin de comprendre que la peine qu'il avait ressenti à la mort d'Abo n'était pas partagée par l'épouse de celui-ci. Peut-être était-elle même soulagée que le chevalier sans reproche qu'avait été le seigneur de Châteauroux ne soit jamais revenu ? Mais il se rappela qui il était, il se rappela que jamais il ne devait préjuger de quelqu'un. Que savait-il, lui, parti si longtemps dans des contrées éloignées du possible isolement d'une femme abandonnée seule sur ses terres ? Que savait-il des choix qu'elle avait pu faire, des obstacles qu'elle avait du surmonter ? Qui était-il pour oser désapprouver la conduite d'une personne qu'il ne connaissait pas ? Après tout, tout reposait désormais sur la conscience de la jeune femme et seulement sur la sienne. Et puis, il avait assez bien connu Abo pour savoir qu'il avait un cœur généreux. Il aurait été un comble de ne pas se montrer digne de lui.

- Son nom est Guillaume, il est né il y a quelques mois. Et voici Aymeric, votre filleul.
Sybille de Déols avait changé de sujet sans plus insister sur le thème du dernier bébé et Henri choisit de faire de même. Puisqu'il était là désormais, on s'en accommoderait. Son regard se posa sur le premier enfant, un tout jeune garçon encore frêle, d'une blondeur angélique mais qui n'osait s'approcher de lui par timidité. Pour un petit de cet âge-là, Henri devait bien avoir l'air impressionnant même s'il ne portait aucun signe de pouvoir qui pouvait indiquer son statut. Il avait laissé son armure et son épée dans les bagages que transportaient les chevaux et les baudets car il ne venait là qu'en ami et n'avait certes pas à user de la force pour s'introduire dans les murs de Châteauroux. Il était même loin de l'idée qu'un enfant pouvait se faire d'un chevalier avec sa mine fatiguée, ses vêtements de voyage simples, élimés et poussiéreux même si sa prestance naturelle, acquise il y avait tant d'années quand il accompagnait son père dans ses campagnes indiquait bien assez que ce n'était pas les armes ou les bannières qui faisaient le chevalier.
- Vous êtes mon père ? Demanda le petit garçon en s'adressant à lui directement non sans continuer à se dissimuler derrière les jupes de sa mère.
Henri eut un léger sourire désabusé. Évidemment qu'Aymeric allait avoir cette réaction. Il était bien trop jeune pour avoir connu Abo et pour comprendre ce qui s'était passé et cette injustice frappa le fils du comte de Blois. Il était parfois bien cruel pour un père de rentrer dans sa demeure et ne pas être reconnu par ses propres enfants car le devoir l'avait maintenu éloigné trop longtemps. Mais lequel d'entre eux pouvait se vanter d'avoir plus de souvenirs de leur père sinon cette silhouette aux larges épaules, revenant victorieux d'une bataille où il avait épuisé ses forces mais continuant à lever la tête fièrement ? Henri avait eu la chance d'être l'aîné et d'avoir été la pièce d'échecs de Thibaud IV, celui que l'on s'acharnait à modeler, celui qui irait jusqu'au bout des ambitions des Blois-Champagne. Il savait quelles pensées traversaient l'esprit de son père, quels étaient ses désirs. Combien d'enfants dans ce monde où l'on perdait parfois son père avant de pouvoir graver ses traits dans son esprit pouvait en dire autant ?
- Non, Aymeric, je ne suis pas ton père, répondit-il d'une voix ferme en baissant son regard franc et clair vers l'enfant, sans s'apercevoir que Sybille le fixait avant de se pencher vers son fils pour lui expliquer :
- Il s’agit de ton parrain... Ton père ne reviendra pas de son voyage. Tu te souviens de ce que je t’ai dis sur ton père, n’est-ce pas ? De toutes les grandes batailles, des chevaliers ? Et bien ton parrain, ici, qui était son ami, est aussi un chevalier.
Si Henri fut étonné de la facilité avec laquelle la dame de Déols avait accepté son nouveau titre de parrain tout comme de la tendresse dont elle faisait preuve avec son fils, il n'en laissa rien paraître et adressa un sourire fin mais chaleureux au petit qui gardait un air sérieux qui convenait fort peu à son âge et à ce qu'il devait comprendre de ce qui se jouait devant lui. Sa mère se détourna un instant et fit quelques pas pour se rendre jusqu'au berceau dans un coin de la pièce, non loin du feu. Aymeric hésita un instant quant à la marche à suivre – garder la protection de sa mère ou s'approcher de cet inconnu qui attirait sa curiosité néanmoins mais Henri, ayant l'habitude de s'occuper des jeunes enfants après avoir vu naître près de dix frères et sœurs dont la plus jeune avait à peine neuf ans, s'accroupit pour se trouver à sa hauteur. Le jeune homme avait conscience que tout se jouait là, que s'il voulait être accepté à Châteauroux, ce n'était pas à Sybille dont la mauvaise volonté serait bientôt démontrée qu'il le devrait mais bien à ce petit bonhomme timide mais qui était du sang d'Abo et que ce dernier lui avait demandé de protéger. Petit bonhomme qu'il allait devoir apprivoiser car désormais, selon la place que lui donnait son titre de parrain, il allait lui servir de père. Un sourire s'épanouit sur ses traits et il avança sa main droite pour pousser Aymeric à s'approcher de lui, ce que ce dernier fit à petits pas mesurés, comme s'il s'accordait le droit de prendre la fuite à tout instant.

- Moi aussi, j'ai fait de grandes batailles comme dans les histoires, je suis allé combattre les mauvaises personnes comme un chevalier doit toujours le faire et ton père était mon compagnon d'armes, tenta Henri d'une voix douce, dans l'espoir de lui faire perdre sa réserve.
Le petit garda le silence quelques instants, parut jauger du regard celui qui se trouvait devant lui ce que le fils du comte de Champagne observa faire avec un peu d'amusement. Mais il ne put s'empêcher de laisser échapper un éclat de rire quand Aymeric lui demanda avec le plus grand sérieux :
- Vous avez combattu des dragons ?
- Quelques-uns, en effet, répliqua-t-il au tac au tac, ils vivent dans le désert et crachent du feu pour empêcher qu'on ne les approche car ils se sont emparés de trésors qu'ils ne veulent pas rendre à leurs vrais propriétaires. Sais-tu ce qu'est le désert ?
Le petit fit un signe de dénégation, visiblement fasciné par tout ce que pouvait raconter le chevalier qui parlait avec tant d'assurance et avec une certaine légèreté, ce qui faisait aussi du bien au jeune homme après la gravité des propos échangés avec Sybille de Déols. Il avait l'impression de retrouver dans ce petit les expressions avides d'aventures de ses frères quand il leur narrait ce qu'il voyait en accompagnant leu père dans ses voyages.
- C'est un endroit où il n'y a que du sable jaune à perte de vue, le sol est aride, cela veut dire que rien ne pousse, aucun arbre et aucun brin d'herbe pour nourrir les chevaux. Il n'y pas d'eau non plus, ni rien pour se nourrir car aucun animal ne peut y vivre.
- Est-ce parce que les dragons ont tout fait brûler en crachant du feu ? Le questionna Aymeric en fronçant le nez comme pour essayer de se former une image de cet endroit si éloigné de tout ce qu'il avait pu connaître.
De nouveau, Henri eut un petit rire et voyant approcher la mère d'Aymeric, il lui tapota doucement l'épaule en le gratifiant d'un « peut-être » avant de se relever pour faire face à Sybille qui ordonna au garçon de filer retrouver la servante. Déjà, il retrouvait son sérieux mais ne put s'empêcher de lancer en direction de la jeune femme, ses lèvres toujours couvertes de ce sourire éclatant :
- Votre fils est un garçon adorable, je suis persuadé que nous en ferons un chevalier digne de son père.
Henri eut pleinement conscience de la crispation de Sybille à la suite de ses paroles. L'atmosphère, dès qu'Aymeric quitta la pièce, changea brutalement. Mais le fils du comte de Blois, s'il avait appris à dissimuler ses intentions, n'avait pas envie de cacher ce que la promesse qu'il avait faite à Abo impliquait. Ce « nous » qu'il avait employé lui paraissait parfaitement de circonstance, il se devait désormais de veiller sur Aymeric et ce premier contact venait de lui prouver que ce ne serait pas une corvée. La dame de Déols, quant à elle, l'invita à s'asseoir à ses côtés. Henri ne fut pas fâché de s'exécuter et avant qu'il ne puisse prendre la parole, Sybille s'était lancée dans un discours qui lui parut un peu décousu... Mais dont l'objectif était clair.

- Sachez que je comprends, et évidemment que je respecte les dernières paroles d’Abo. Il a toujours agi au mieux, dans l’intérêt de tous. Mais, beaucoup de choses ont changé ici depuis son départ. Châteauroux, nos terres, nos hommes sont prospères, sans doute au-delà de ce que mon époux avait imaginé.
- Il serait sans nul doute fier de tout ce que vous avez accompli, répondit prudemment le jeune homme.
Il savait où elle voulait en venir avant même de la voir prononcer les mots fatidiques. Tout en elle indiquait qu'elle était taillée dans un bois qui aurait déplu à la mère d'Henri : son regard franc et plein de défi, son attitude même envers celui qui lui avait annoncé la mort de son époux, son attitude en apprenant cette disparition, cette façon de prendre sa vie en main, d'assumer un enfant qui n'était pas celui d'Abo. Elle n'était pas de celle qui accueillait les nouveaux venus à bras ouverts. Un instant, Henri pensa aux paroles de son propre père à propos de Sulpice d'Amboise, de son orgueil, de sa volonté d'indépendance à son égard ou de son incapacité à louvoyer. De fait, Sybille de Déols se montra digne de ce dernier en poursuivant :
- Ce que je veux vous faire comprendre, seigneur, c’est que vous n’êtes pas le premier, ni le dernier sans doute à me proposer votre... soutien - et je vous en remercie, et vous serez toujours le bienvenu ici - mais que je n’ai pas besoin d’être épaulée.
Pas un instant, Henri ne se départit de son calme ou de son sourire même si celui-ci se figea et devint plus ironique. Il comprit ce que Jehan d'Ambrault avait voulu lui dire quand il lui avait ouvert les portes de la grande salle. Elle venait tout simplement de rejeter ses propositions comme s'il n'était qu'un malpropre, comme si on pouvait refuser la volonté d'un Blois. Mais Henri n'en fut pas vexé pour autant, il se faisait juste la réflexion qu'il aurait plus de mal à remplir la promesse qu'il avait faite à Abo, plus bien qu'il ne l'avait imaginé. Si elle avait cet air buté, si elle pensait peut-être que cela suffirait à le faire se détourner de Châteauroux, elle se trompait lourdement. Elle avait peut-être une grande force de caractère mais il n'avait pour l'habitude de s'en laisser compter et il n'avait pas pour habitude de renoncer. Jamais.
- Je vous remercie, je suis heureux de savoir que ces portes me seront toujours ouvertes, ne put-il s'empêcher d'ironiser avant d'adopter un ton plus grave, mais vous devez comprendre que si je ne suis ni le premier ni le dernier... Votre situation à vous a considérablement changé avec le retour des croisés. Vous étiez l'épouse de l'un d'entre eux et vous gardiez le domaine en son absence. Aujourd'hui, vous n'êtes qu'une veuve sans défense avec un enfant qui ne portera l'épée que dans de longues années et les loups que sont les seigneurs de la région aiguisent déjà leurs dents et leurs griffes à cette idée, la prospérité de ce domaine n'est qu'un argument de plus pour eux pour armer leurs hommes. Croyez-vous que vous parviendrez seule à les arrêter ?
C'était évidemment une question rhétorique pour Henri qui n'avait pas pour habitude de discuter aussi directement de politique, surtout avec une jeune femme telle que Sybille, même s'il avait été mêlé depuis son plus jeune âge à ces questions. Certes, il serait amené lui aussi à réfléchir aux avantages que pouvait lui apporter une tutelle sur les vastes domaines des Déols, terres sous la souveraineté aquitaine mais il savait surtout qu'il avait raison sur un point : les ambitions allaient se déchaîner autour de Sybille quand il serait évident pour tous qu'Abo n'allait pas revenir. La dureté de la jeune femme repousserait les plus couards... Mais ne suffirait pas. Le fils du comte de Champagne se redressa et lança une dernière attaque d'un ton badin :
- Je ne vous offre mon soutien que pour l'amitié d'Abo qui n'aurait pas voulu voir s'éteindre cette prospérité que vous avez su apporter à ses terres. Réfléchissez soigneusement à ma proposition. Avec la protection des Blois-Champagne qui est toute naturelle puisque je suis le parrain d'Aymeric, les loups dont je vous parlais se tiendraient à distance plus raisonnable... Dans le cas contraire...
Conscient qu'il venait presque de la menacer sous le couvert de sa légèreté, Henri lui adressa un sourire désolé pour tenter de se faire pardonner puis se releva, passant de nouveau sa paume sur son visage fatigué et cerné :
- Je n'ai aucune intention de me mêler de la gestion de la seigneurie, si c'est cela qui vous inquiète, qui aurait-il à changer alors que les fermes sont prospères et que les hommes mangent à leur faim ? Je suis seulement venu vous apporter mon bras non pour que vous puissiez vous appuyer dessus mais pour que vous puissiez vous servir de lui pour vous défendre. Nous avons désormais une préoccupation en commun : donner à Aymeric le plein héritage de son père... Mais vous constatez vous-même mon épuisement, je vais devoir vous demander l'autorisation de me retirer.
Après que Sybille la lui ait accordée, Henri la salua avec le plus grand respect et la gratifia d'un dernier sourire avant de s'éloigner pour retrouver ses hommes, avec la satisfaction du devoir accompli. Néanmoins, cette première rencontre lui laissait un goût amer tout comme l'avait rendu perplexe. Il allait pouvoir prouver quelques années plus tard que son intuition en matière relationnelle n'avait rien à voir avec son intuition politique, toutefois, il savait qu'il n'avait pas terminé sa partie d'échecs avec Sybille de Déols. Et que celle-ci était un défi à elle toute seule. Parfait, il aimait les défis, pouvoir rendre possible ce qui paraissait ne pas l'être, sans jamais abandonner.

- Allons-nous rester longtemps, monseigneur ? L'apostropha l'un de ses hommes quand il arriva auprès de lui pour s'enquérir de la manière dont tout le monde allait être logé.
- Non, répondit-il avec chaleur, je suis aussi impatient que vous de revoir ma famille et notre contrée. Nous partirons dès demain matin, la dame de Déols nous offre l'hospitalité.
Avant de rejoindre Jehan d'Ambrault pour qu'il lui indique la chambre où il pourrait faire sa toilette, Henri glissa à son chevalier, d'un ton un peu songeur :
- Tente de me trouver quelqu'un qui ne serait pas contre livrer quelques informations sur Châteauroux en l'échange de quelques pièces.
Le sort en était jeté.
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Sybille de Déols
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MessageSujet: Re: [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser   [1149] Une promesse que l'on a fait à un mourant est de celles que l'on ne peut briser EmptyMar 2 Sep - 23:36

Ni la jeune dame de Déols, ni Henri de Champagne n’ignoraient les enjeux de toute cette scène. Souvent, lorsque ses longues nuits sans sommeil lui avaient laissé envisager la mort de son époux, Sybille avait tenté de se représenter à l’avance tous les scénarios possibles, elle avait soupesé ces enjeux, évalué les intérêts de son fils d’abord, puis les siens lorsque l’absence d’Abo s’allongeant, elle avait pris goût à sa position - mais n’étaient-ce pas les mêmes ? Plusieurs fois, elle avait fait face à quelques ambitieux trop pressés d’enterrer le seigneur de Châteauroux, tenus en respect par son éventuel - et selon sa femme (qui savait adapter ses convictions à la situation) très probable - retour, tandis qu’elle songeait déjà aux parades qu’il lui faudrait déployer s’il se trouvait un jour qu’il ne reviendrait effectivement pas. En deux ans, elle avait eu plus que le temps d’envisager les solutions qui s’offriraient alors à elle, de régler à l’avance les choix qu’il lui faudrait faire, et ceux-ci ne faisaient pas offense au sang paternel qui coulait dans ses veines, ainsi qu’à son ambition dont elle avait hérité une bonne part. Et si elle savait, contrairement au seigneur d’Amboise, où étaient les Rubiconds à ne pas franchir, dans la limite de deux-ci, Sybille était bien décidée à manoeuvrer comme bon lui semblait, et accepter une quelconque ingérence dans ses affaires était évidement exclu. Lorsque le moment viendrait, c’est un domaine entier, puissant et autonome qu’elle confierait à son fils, et un fils qui saurait quoi faire pour continuer dans cette voie.

La confiance et le crédit qu’elle plaçait déjà en ce futur homme qu’elle saurait façonner comme il convenait se lisait presque dans son regard lorsqu’elle l’observa s’éloigner et quitter la grande salle. La jeune dame savait que la tutelle du garçon ne serait pas moins courue que la place de châtelain dans les mois à venir. Si elle était bel et bien maîtresse des lieux, on n’en considérerait pas moins le jeune garçon comme la pièce reine de la partie qui s’ouvrirait. Une pièce d’autant plus précieuse que les ambitieux se rendraient vite compte du fer dans lequel était forgée Sybille qu’on ne manipulait ni ne forçait à quoi que ce soit. Il n’y avait pas à en douter : certains n’hésiteraient pas à tenter de se servir d’Aymeric. C’était ignorer quelle mère elle pouvait être - une lionne, veillant farouchement sur sa couvée qu’on ne saurait approcher de trop près sans risquer une morsure, ce qui valait pour les seigneurs alentours autant que pour Henri de Blois-Champagne, tout parrain qu’il fût. C’est pourquoi la dame de Châteauroux se raidit dès l’instant où ce dernier repris la parole, dissipant ainsi immédiatement la bouffée de légèreté qu’avait fait entrer Aymeric dans la pièce.
« Votre fils est un garçon adorable, je suis persuadé que nous en ferons un chevalier digne de son père. »
Sybille posa sur le jeune homme un long et perçant regard. Pour l’emploi de ce « nous », tout autre que lui aurait aussitôt été remis à sa place, sans détour, mais il y avait les dernières volontés d’Abo, et la veuve avait encore assez d’estime pour ce dernier pour ne pas revenir sur celles-ci. Du moins pas aussi directement qu’à l’ordinaire, aussi est-ce avec un sourire qu’elle répondit :
« Il en a déjà l’étoffe. Je veillerai à ce qu’il fasse honneur à son père, croyez-moi. »
Le ton avait quelque chose de sans appel, et si elle n’avait pas insisté outre mesure sur le fait qu’elle veillerai personnellement à faire d’Aymeric un grand seigneur, l’idée n’en était pas moins clairement compréhensible. Elle ignorait à quoi songeait le chevalier, ou s’il avait seulement quelque chose en tête, mais il lui paraissait nécessaire de ne pas laisser planer un malentendu entre eux. Un instant, elle laissa une moue ironique tordre ses lèvres, au souvenir de quelques mots surpris entre son père et sa mère, alors qu’Amboise entrait de nouveau en conflit ouvert avec ses voisins. « Je ne fais pas confiance aux Blois » avait lancé Sulpice. Elle n’avait jamais entendu la suite de la conversation, trop occupée à fuir la gouvernante qui l’avait surprise à écouter à la porte, mais ces quelques paroles, dans la situation actuelle, revêtaient presque l’allure d’un avertissement voilé. Elle ignorait encore, au même titre que Henri, à quel point la défiance de Sulpice était justifiée.

Mais Sybille ne pouvait juger le jeune chevalier sur un tel souvenir. Laissant les aînés à leur - désormais claire - inimitié, elle reprit la parole et lui expliqua, avec cette fermeté et cette franchise dont elle ne s’était jamais départie jusque là, qu’elle n’attendait rien de lui sinon qu’il ne poussât pas trop loin les promesses faites à Abo. Le ton était placé et une fois de plus, c’est un regard sans détour qu’elle darda sur Henri lorsqu’elle se tut. La suite ne dépendait que de ce qu’il allait répondre. Et de fait, les paroles qui suivirent ne manquèrent pas de confirmer ses premiers doutes.
« Je vous remercie, je suis heureux de savoir que ces portes me seront toujours ouvertes, lança-t-il avec une ironie marquée, mais vous devez comprendre que si je ne suis ni le premier ni le dernier... Votre situation à vous a considérablement changé avec le retour des croisés. Vous étiez l'épouse de l'un d'entre eux et vous gardiez le domaine en son absence. Aujourd'hui, vous n'êtes qu'une veuve sans défense avec un enfant qui ne portera l'épée que dans de longues années et les loups que sont les seigneurs de la région aiguisent déjà leurs dents et leurs griffes à cette idée, la prospérité de ce domaine n'est qu'un argument de plus pour eux pour armer leurs hommes. Croyez-vous que vous parviendrez seule à les arrêter ? »
La jeune dame esquissa un sourire désabusé. Elle ne craignait pas tant une prise d’arme ,qui n’aurait d’intérêt réel pour personne, qu’un appel à Poitiers qu’elle ne voulait pas voir intervenir dans ces affaires et dont elle ne pourrait contester la décision sans conflit ouvert.
« Vous n’imaginez pas, j’espère, que je n’ai pas déjà réfléchi à ces questions ? rétorqua-t-elle simplement. Je sais parfaitement à quoi m’attendre, et comment recevoir les loups de leur genre.
- Je ne vous offre mon soutien que pour l'amitié d'Abo qui n'aurait pas voulu voir s'éteindre cette prospérité que vous avez su apporter à ses terres, poursuivit néanmoins Henri. Réfléchissez soigneusement à ma proposition. Avec la protection des Blois-Champagne qui est toute naturelle puisque je suis le parrain d'Aymeric, les loups dont je vous parlais se tiendraient à distance plus raisonnable... Dans le cas contraire... »

Sybille se redressa à ces mots, et un éclat passa dans son regard dont l’expression s’était soudain durcie. Il pouvait bien être Blois, parrain et tout ce qu’il souhaitait, s’il imaginait qu’elle se plierait à la première menace - à peine voilée - venue, il se trompait lourdement. Elle n’était pas de celles qui se laissaient impressionner.
« Dans le cas contraire ? reprit-elle sèchement. Une offre, si généreuse soit-elle, ne s’appelle plus ni offre, ni soutien lorsqu’elle est accompagnée de menaces. Elle le jaugea, croisa son regard et son sourire désolé, avant de reprendre, sur un ton plus neutre. J’entends vos arguments, mais vous ne m’apprenez rien. Je régente ce domaine depuis deux ans, je sais à quoi m’en tenir et qu’Aymeric ait un parrain ne change rien... »
Elle n’avait pas idée du point auquel l’avenir ferait mentir cette affirmation, de quels évènements cette première rencontre était le prologue, des évènements qui porteraient bien plus à conséquence qu’elle ne pouvait l’imaginer.
« Je n'ai aucune intention de me mêler de la gestion de la seigneurie, si c'est cela qui vous inquiète, répondit le chevalier, qu’y aurait-il à changer alors que les fermes sont prospères et que les hommes mangent à leur faim ? Je suis seulement venu vous apporter mon bras non pour que vous puissiez vous appuyer dessus mais pour que vous puissiez vous servir de lui pour vous défendre. Nous avons désormais une préoccupation en commun : donner à Aymeric le plein héritage de son père... Mais vous constatez vous-même mon épuisement, je vais devoir vous demander l'autorisation de me retirer. »
De fait, il paraissait las, et Sybille sentit que cette conversation n’apporterait rien à s’éterniser. Soufflant le chaud après le froid, elle laissa un sourire plus avenant fleurir sur ses lèvres et se leva à son tour.
« Vous avez raison, il est inutile que nous nous attardions aujourd’hui sur ces détails, et le voyage a dû être long. Sachez que je vous suis reconnaissante d’être venu mettre un terme à notre attente, dit-elle sincèrement. Le seigneur d’Ambrault va vous conduire à vos quartiers. Je sais que vous avez encore une longue route devant vous, mais si vous souhaitez prendre quelques jours de repos ici, considérez-vous comme mon invité. »

Là-dessus, ils se saluèrent et fils du comte de Blois quitta la pièce, sous le regard songeur de la jeune dame. Elle resta quelques instant immobile, perdue dans ses pensées. Être enfin au faut du sort d’Abo semblé avoir ôté un poids de ses épaules mais elle réalisa, avec un peu de retard, que la disparition du seigneur la peinait sans doute légèrement plus qu’elle ne l’avait d’abord pensé. À moins qu’elle n’envisageât déjà les semaines à venir sous un angle moins assuré que ce qu’elle avait bien voulu faire croire au chevalier dont elle pouvait vaguement entendre l’escorte qui s’installait pour un nuit. C’est un gémissement de Guillaume qui la tira de ses rêveries. Un soupir discret lui échappa puis elle alla prendre l’enfant dans ses bras et sortit pour le confier à une servante. Le soir tombant, elle alla s’assurer auprès de Jehan et d’Henri que tout était arrangé puis se retira. La dame, qui dormait peu, ne dormit pas cette nuit-là, l’esprit fort occupé, plein de questions et d’hypothèses sur ce qui allait se passer par la suite.
Le lendemain matin, lorsque l’escorte aux armes des Blois-Champagne quitta la cour du château, Sybille se prit à songer que le chevalier et elle étaient loin d’en avoir terminé.

FIN
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