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 [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre

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2 participants
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Henri de Champagne
Warrior ébouriffé (perv)
Henri de Champagne


Messages : 41
Date d'inscription : 23/06/2013

[Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre Empty
MessageSujet: [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre   [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre EmptyMar 2 Sep - 23:52

Henri de Champagne poussa un soupir mi-exaspéré mi-soulagé en descendant de son cheval et en confiant les rênes à un jeune palefrenier en échange d'une piécette. S'il était heureux d'être enfin arrivé à la cour que tenait le roi Louis VII dans son palais de la Cité, il venait de passer de longues minutes dans une foule dense et compacte qui empêchait sa monture d'avancer à une allure plus rapide que le pas, sans pouvoir toujours éviter les invectives de ces habitants livrés à leurs activités quotidiennes. Paris était une ville aussi attirante que repoussante, bien plus extrême que les cités champenoises desquelles il parvenait à garder le contrôle et dans lesquelles il marquait son pouvoir par des immenses chantiers qui charriaient pierres, bois et bâtisseurs de rêves. Paris quant à elle était tentaculaire, étendait ses centaines de bâtisses fragiles dans un infini enchevêtrement de ruelles sombres, foyer à la fois de la culture la plus haute comme de la plus bête ignorance. Mais dans cette capitale où le cheval devait repousser les bourgeois du poitrail pour se frayer un chemin, brillait une cour éclatante où Louis VII tout comme son épouse Aliénor régnaient en maîtres, cour à la fois ivre de bons mots et de tournois grandioses et se complaisant aux paroles médisantes, laissant aux langues de vipères la première place. Le comte de Champagne avait grandi loin de cette ville et préférait bien plus Provins ou Troyes où il pouvait imposer sa marque sans jouer à l'homme de cour, sans craindre les regards et les rumeurs mais lorsque Louis VII l'appelait, il sautait avec complaisance sur son destrier pour rejoindre le palais de la Cité où il jouait le rôle qui lui était dévolu et que son propre père Thibaud avait toujours négligé en privilégiant sans cesse la confrontation. Il aimait la vie de cour, les festivités et il y faisait toujours bonne figure, son éternel sourire aux lèvres, laissant toujours échapper le bon mot pour plaire, aussi, sentant déjà l'exaspération qu'il avait éprouvée s'éloigner à mesure qu'il quittait les écuries, il retrouva rapidement un air réjoui. Il était bien loin de s'attendre à l'épreuve qui allait assombrir ce jour-là et qui se matérialisa sous la forme de Bernard de Clairvaux. Henri comprit pourtant vite que quelque chose n'allait pas car son vieux précepteur qui avait dû aller donner ses conseils au roi – il avait toujours des conseils à donner à tout le monde ou même son simple avis, son omniprésence était patente – avait le visage fermé et semblait marmonner quelques paroles amères dans sa barbe (qu'il n'avait pas d'ailleurs, l'ordre cistercien l'en empêchait). Il faillit d'ailleurs rentrer dans Henri sans même le voir et lorsqu'il leva la tête vers ce dernier, les pensées noires qui tournoyaient dans son esprit se reflétaient dans ses pupilles sombres.

- Oh Henri, s'exclama-t-il néanmoins tout en continuant son avancée, obligeant son protégé à trottiner derrière lui pour rester à sa hauteur avant de lancer des borborygmes incompréhensibles.
- Que se passe-t-il, mon père ? Vous avez appris de mauvaises nouvelles qui vous obligent à quitter la cour précipitamment ? Suggéra le jeune comte en le voyant récupérer un âne visiblement peu ravi de se voir privé de son auge et tenter de monter sur son dos, ce qui n'était pas forcément évident au vu de son grand âge, je peux éventuellement vous prêter un cheval, cela vous permettra d'arriver à destination plus rapidement même si je sais que vous êtes humble et...
- Ah oui, ce serait parfait, Henri, répliqua Bernard, faisant fi de son humilité et en faisant volte-face dans sa longue robe blanche, je me dois d'aller retrouver ton père le plus vite possible, son âme est en grave danger !
Henri de Champagne qui ne s'était pas imaginé ce genre d'urgence, pâlit brusquement et son sourire disparut car il ne savait que trop bien de quoi était capable son père lorsque ses colères l'étreignaient pour avoir grandi à ses côtés et avoir vu nombre de leurs ennemis faire les frais de l'impatience de Thibaud IV, de son « pétillement » comme disait Bernard quand il cherchait à le dédouaner. De quoi s'était-il rendu coupable pour l'abbé de Clairvaux en personne jugeât qu'il se devait d'écourter son séjour à Paris ?
- J'avais pourtant demandé aux moines de Lagny de le surveiller, s'exclama le vieil abbé en regardant à peine le sceau de la lettre qu'un jeune page venait de lui remettre, oh et le confesseur de Baudouin de Hainaut ne cesse de me harceler pour que je lui fasse des explications de textes, il ne comprend donc rien ! Où va donc la Chrétienté avec des clercs pareils ?
- Mon père, tenta Henri qui voulait en savoir plus sans avoir à subir la colère du vieux Bernard qui avait visiblement décidé de s'en prendre au monde entier et qui, en toute honnêteté n'avait que faire du destin de la Chrétienté quand l'âme de son père venait d'être mise en danger, que s'est-il passé ? A-t-il de nouveau cherché à soulever son ost – enfin le mien ?
Bernard de Clairvaux dut juger que la nouvelle était assez grave pour se retourner vers Henri après avoir glissé la lettre du confesseur dans une des poches de la selle du cheval qu'on lui prêtait gracieusement et que Henri identifia comme celui de son compagnon Gauthier de Brienne qui allait être ravi de retourner en Champagne sur un âne – il se refusait à le lui annoncer lui-même. Il avait cessé de marmonner et ce fut d'une voix claire, celle qu'il utilisait pour convaincre les pèlerins de se rendre en terre sainte qu'il prononça la phrase qui allait faire de la journée d'Henri un enfer :
- Ton père est parti brûler Chaumont !
Le comte de Champagne mit un certain temps à se rendre compte de ce que cela impliquait et si la vision de Thibaud en train de haranguer des hommes était plutôt amusante, surtout quand lesdits hommes n'étaient plus ses vassaux, ce que lui annonçait Bernard le fit se rembrunir. Ce n'était pas la première fois que son père allait mettre le siège d'une forteresse et il le connaissait assez pour savoir que le seigneur n'allait pas abandonner avant d'avoir détruit la ville pierre par pierre et d'avoir incendié ce qui restait. Bernard dut considérer qu'il en avait dit assez car le temps que Henri parvienne à reprendre ses esprits, il s'était retourné pour lancer quelques ordres d'une voix sèche si bien que tout le monde filait droit par peur de rentrer dans les mauvaises grâces de Bernard de Clairvaux, ce qui se terminait généralement mal pour le concerné.

- Attendez mon père, je ne comprends pas, n'était-ce pas le château qu'il voulait à tout prix reprendre à Sulpice d'Amboise quitte à faire de ce dernier et de son fils Hugues ses prisonniers ? Pourquoi irait-il le brûler ? Demanda le jeune homme incrédule en espérant que les informations de Bernard soient fausses, ce qui était utopique car le vieil abbé était sans doute l'homme le plus au courant de ce qui se passait sur cette terre non pas grâce à son lien privilégié avec Dieu mais grâce aux dizaines de lettres qu'il recevait chaque jour.
- Si celui-là même, répliqua Bernard, visiblement exaspéré, je n'ai pourtant cessé de lui répéter qu'il ne servait à rien de convoiter le bien de son voisin, je l'ai laissé méditer là-dessus dans sa cellule de Lagny mais il semblerait qu'il ait profité de mon absence pour se rendre à Châteaudun pour voir ses prisonniers et leur demander de lui donner Chaumont de manière officielle. Hugues ayant fini par refuser à son tour, non mais vraiment on se demande pourquoi après avoir visité Chaumont, ton père s'est mis en colère et a ressemblé sa garde personnelle pour attaquer la citadelle. Quelle vengeance basse ! Comment compte-t-il se présenter au jour du Jugement dernier avec le sang de Sulpice sur les mains ?
Henri de Champagne n'en croyait pas ses oreilles et faillit demander à Bernard de répéter toute l'histoire mais son esprit achoppa sur les derniers mots :
- Le sang de Sulpice ?
- Oui, il a torturé le seigneur d'Amboise jusqu'à la mort pour lui arracher les mots de consentement mais Sulpice a tenu bon et il se dit que seuls des cris de douleur ont pu franchir ses lèvres pendant qu'on l'allongeait sur son lit de fer au-dessus du brasier qu'on allumait pour les flammes lèchent son corps transi de douleur. Il n'a pas survécu et ton père, furieux d'avoir échoué, s'est rendu jusqu'à Chaumont.
Le jeune homme en face de lui se figea, abasourdi d'horreur. Il s'était attendu à beaucoup de choses de la part de son père mais certainement pas à devoir faire face à une telle nouvelle que son esprit refusait d'admettre. Ce ne fut d'ailleurs pas l'idée de la damnation éternelle qui menaçait l'âme de celui qui l'avait élevé qui l'effraya car il était écrit que celui qui brûlait serait brûlé à son tour pour l'éternité ni même cette annonce qui l'attrista car il connaissait assez bien Sulpice d'Amboise que l'on surnommait le Querelleur pour savoir que ce seigneur batailleur allait forcément payer de sa vie ses affronts et ses velléités d'autonomie car il ne pouvait constamment se réfugier derrière les hautes murailles d'Amboise que l'on disait imprenable. Ses pensées confuses ne permirent à sa langue que d'exprimer une seule inquiétude, une seule peur en cet instant :
- Sa famille est-elle au courant ?
- Je ne crois pas mais les rumeurs vont aller bon train à la cour et le roi ne va pas tarder à être mis au courant, répliqua Bernard bien peu intéressé par la question et tout prêt désormais à partir dans sa croisade sur le dos du cheval de Brienne, je sais que ses deux filles Sybille de Déols et Élisabeth d'Alluyes sont présentes, elles le sauront bien assez tôt.
A la mention du nom de Sybille, Henri se dit que son pire cauchemar venait de prendre forme. Il ne pouvait décemment pas laisser la dame de Déols dans l'ignorance mais il redoutait le choc qu'une telle annonce lui causerait d'autant que l'idée de se faire le messager ne lui plaisait guère, pour une raison qu'il ne comprenait pas bien.
- Je te sais proche de son aînée, souhaites-tu que j'écrive une lettre pour que tu puisses la lui remettre ? Suggéra Bernard en tapotant du pied, impatient de se mettre en route.
- Non, je vais le lui dire moi-même, répondit Henri, décidé à faire face à ses responsabilités car il était du devoir des enfants de payer les dettes de ses parents.
De toute façon, l'abbé de Clairvaux avait à peine attendu ses paroles pour grimper avec adresse sur sa monture et la laisser au petit trot ce qui ballottait sa silhouette décharnée avec violence, suivi avec peine par deux petits clercs à son service. Le comte de Champagne resta planté là, au milieu des écuries, bousculé par les bêtes qui allaient et venaient menées par les serviteurs du palais, jusqu'à ce que le point blanc eut définitivement disparu dans la foule. Alors seulement, il se demanda comment il allait pouvoir dire tout cela à Sybille de Déols.

Après être passé dans les appartements qu'on lui avait alloués à lui et ses hommes et avoir d'ailleurs choisi de remettre à plus tard l'explication avec Brienne à propos de son cheval car il ne s'en sentait pas le courage – et Brienne, étrangement de bonne humeur, affirma avoir croisé Sybille de Déols, il se rendit au cœur de la cour pour rendre ses hommages à son seigneur qui l'avait appelé à son conseil. Pour l'occasion, il avait revêtu des habits de cérémonie qui soulignait sa haute silhouette mais si son apparence était somptueuse, il gardait un air assombri qu'on ne lui connaissait pas et qui étonna ses quelques connaissances, trop habituées à le voir sourire et plaisanter. A chaque salutation qu'il faisait, à chaque mot qu'il prononçait, il songeait à l'annonce qu'il allait devoir faire et tout le ramenait à l'instant qu'il redoutait. Ses regards ne parvenaient pas à se fixer sur ses interlocuteurs et il cherchait sans cesse une silhouette bien connue au fil des couloirs qu'il traversait. Quand il l'aperçut enfin, son visage s'éclaira un instant avant de retrouver son air lugubre lorsqu'il se rappela soudain pourquoi il devait tant lui parler. Du coin de l’œil, tandis que l'épouse de Guillaume de Nevers, une parente par sa mère allemande, lui adressait quelques compliments sur la splendeur des tournois qui avaient égayé la saison chaude à Provins et lui demandait comment allait Mathilde de Carinthie – comme si celle-ci était d'humeur changeante –, il observait Sybille de Déols, sa peau de nacre et ses cheveux blonds sagement coiffés sous un voile, non sans songer avec amusement au moment où il l'avait vue peu soignée, ses mèches bouclées volant au vent, lors de la chasse dans laquelle le seigneur de Loches avait trouvé la mort, non sans aide. Ide de Sponheim lui rappelait d'ailleurs cet événement quand il choisit de s'éloigner mais au dernier moment, il sentit sa force de volonté l'abandonner et il alla faire le tour de la grande pièce qui servait de salle d'apparat que la présence de Sybille embellissait encore pour saluer les personnes qu'il connaissait, subissant sans broncher le babillage d'une écervelée dame du domaine royal et allant même jusqu'à souhaiter le bonjour à Mahaut de Vendôme qui lui fit, fort hypocritement, bonne figure car sa famille avait, elle aussi, souvent subi les colères de Thibaud IV de Blois. Il finit par ne plus pouvoir ignorer davantage la dame de Déols et s'approcha à grands pas de la jeune femme qui semblait d'excellente humeur.
- Ma dame, j'espère que vous allez bien, c'est un plaisir de vous revoir à la cour malgré les circonstances..., commença-t-il en s'inclinant respectueusement.
Elle ne lui laissa pas le temps de développer davantage sa pensée et le salua avec chaleur tandis qu'il se tenait coi, se demandant comment il allait pouvoir aborder le sujet de la mort de son père alors qu'elle semblait dans de si bonnes dispositions. Ce fut d'ailleurs cette constatation qui blessa le cœur de Henri qui savait à quel point elle tenait à Sulpice auquel elle ressemblait parfois par son caractère et son impitoyabilité. Il n'avait pas envie de faire face à sa douleur et encore moins à la causer car il lui semblait que la blesser, c'était se blesser lui-même. Quel chemin parcouru depuis leur première rencontre où il lui avait confirmé que son époux Abo ne reviendrait pas de terre sainte ! Henri mit cela sur le compte de leur amitié car il appréciait réellement la dame de Déols malgré son opiniâtreté et ce qu'il considérait alors comme son aveuglement sur sa situation. Il ne s'en rendait pas compte mais il craignait aussi de voir ce doux sourire qui éclairait son visage – cela lui arrivait si rarement à elle, plutôt habituée des moues boudeuses ou indéchiffrables – disparaître et ces yeux se remplir de larmes comme si la douleur enlaidissait et qu'il ne pouvait supporter de voir Sybille souffrir. Et pourtant la laisser dans l'ignorance était encore plus cruel et c'était bien là une attitude à laquelle il se refusait.

- Vous permettez, ma dame ? Lui demanda-t-il en saisissant son bras, presque d'autorité, pour leur permettre de s'éloigner de tous les regards indiscrets.
Il lui semblait d'ailleurs que certains courtisans fixaient Sybille avec beaucoup trop d'insistance et il craignait que la rumeur ne finisse par le devancer. Le jeune homme voulait épargner à la jeune femme de devoir se composer une figure devant la cour entière qui ne manquerait pas de se réjouir de la disparition du hutin Sulpice, ce qui n'aurait pas manqué de faire des étincelles. Il lui glissa quelques phrases banales et sans intérêt pour alimenter la conversation jusqu'au moment où ils se retrouvèrent dans un couloir du palais qui paraissait abandonné, à l'exception de quelques servantes qui passaient par là et qui leur jetèrent un œil curieux. Henri lâcha le bras de sa compagne et baissa la tête pour la fixer droit dans ses yeux bleus :
- Je suis désolé de vous interrompre, ma dame mais serait-il possible de nous retirer dans un endroit plus calme où nous ne risquerions pas d'être surpris ? Si je puis me permettre d'entrer dans vos appartements, par exemple...
C'était là une proposition hardie mais il n'était pas question d'annoncer les horreurs subies par le père de la jeune femme dans un couloir où à tout instant pouvait paraître un visage déplaisant. Son ton était assez pressant et sa mine assez sombre pour que Sybille acceptât et il lui reprit le bras sans parler davantage pour se rendre jusque dans sa chambre, vidée des domestiques et que le comte découvrit en jetant un rapide regard à la ronde.
- Je...
Il ne savait pas par où débuter et garda le silence, rendu muet par la situation alors que la dame, devant lui, semblait suspendue à ses lèvres.
- Vous avez là de beaux appartements..., lança Henri avant de reprendre sans attendre de réponse de Sybille à cette phrase stupide, j'ai une annonce à vous faire mais peut-être devriez-vous vous asseoir, elle va être déplaisante...
Pour la première fois depuis le début de leur entretien, il baissa les yeux, ne supportant plus de devoir faire face à ce visage réjoui qui lui réchauffait le cœur mais il sentait les prunelles de la jeune femme le brûler et transpercer son âme et il songea alors que ce n'était que justice car au moment-même où il parlait, Chaumont était sans nul doute en flammes. Si son destin était d'expier les péchés de son père alors il le ferait. Même si cela passait injustement par la douleur d'une femme innocente.
- Avant tout, je voulais vous dire que je suis navré...
Quand il releva la tête, c'était désormais un air inquiet qu'il lisait sur les traits de la dame de Déols et il maudit Thibaud IV de le placer dans une telle situation autant qu'il se maudit lui-même de tant partager la souffrance à venir de la jeune femme qu'il voulait marier à son frère.
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Sybille de Déols
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Sybille de Déols


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MessageSujet: Re: [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre   [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre EmptyMar 2 Sep - 23:53

C’est avec toute la défiance du monde que Sybille avait rejoint la cour du roi Louis VII et de son épouse, non pas envers les grands qui s’y côtoyaient de plus en plus régulièrement – quoique certains, les Vendôme en tête par exemple, ne soient pas indignes de sa méfiance – mais bien à l’égard de la reine, qui l’y avait convoquée pour une raison inconnue du messager mais que la dame de Déols avait devinée dès l’instant où il lui avait délivré la sommation royale. Outre le fait qu’elle n’appréciait guère de se voir ainsi convoquée par Aliénor, elle savait pertinemment ce que l’on attendait de sa présence à la cour, et si elle n’avait d’autre choix que de s’y rendre puisqu’on l’avait appelée, il n’était pourtant pas question de céder aux exigences de la duchesse d’Aquitaine qui n’avait certainement pas d’autre but que de s’assurer de sa mainmise sur Châteauroux et ses domaines, mainmise que Sybille était bien loin de vouloir lui reconnaître officiellement, même s’il ne s’agissait selon le propre message de la reine que d’un « entretien informel ». La jeune dame n’était pas dupe et, en politique plus aguerrie qu’on ne pourrait le croire, savait que quelle que soit l’issue de cette rencontre, elle ne risquait rien ou presque, car ce n’était pas à proprement parler un affront qu’elle faisait à la duchesse (et par la même, au roi, alors ceint de la couronne ducale également) en refusant de répéter un serment qui avait été prêté par son mari, et plus encore, en s’opposant à ce que son fils aîné fasse de même. L’hommage que tout vassal devait à ses seigneurs avait été fait par Abo il y avait bien longtemps de cela désormais et malgré sa mort prématurée, aucune règle formelle n’obligeait la jeune veuve, régente des terres au nom d’Aymeric, à renouveler ce serment  - un acte que l’on n’aurait pas même songé à attendre d’elle si elle n’avait pas affiché aussi clairement ses velléités d’autonomie – pas plus que son fils, un enfant qui n’avait pas même atteint sept ans, n’avait encore à prendre les engagement de tout seigneur en âge de gouverner ses terres. Tout cela n’était que manœuvres informelles et l’énergie que déployait la reine à s’assurer de la fidélité de ses vassaux démontrait bien que le moment était on ne plus mal choisi pour faire un tel choix. Partout, il se murmurait que le roi et son épouse allaient enfin se séparer en dépit des efforts de certains membres de leur entourage pour les réconcilier, et il aurait fallu être idiot pour ne pas se douter de ce que l’annulation du mariage royal pouvait entraîner comme nouvelles alliances et comme conséquences, à savoir un conflit dans lequel Sybille de Déols souhaitait soigneusement choisir son camp – et si possible un camp qui excluait Henri Plantagenêt auquel elle vouait l’une de ces solides rancœurs dont elle avait le secret et qu’il était bien difficile de lui faire oublier. Au regard de la position de ses terres, cernées par chacune des grandes principautés du royaume, elle estimait qu’elle ne pouvait faire preuve de légèreté en se décidant trop vite, d’autant que malgré les récents évènements, nombre de portes lui étaient encore ouvertes. Ni les projets, ni l’ambition, ni même les prétendants ne lui faisaient défaut (malgré les évènements récents qui avaient eu tendance à refroidir quelques uns des seigneurs intéressés, effrayés par les circonstances hautement suspectes de la mort de Geoffroy de Loches) et elle comptait bien tirer pour Châteauroux tout le profit possible des bouleversements à venir. Une résolution qui ne se laisserait pas entamer par une nouvelle confrontation avec Aliénor, toute reine et duchesse qu’elle fût.

C’est dans ces dispositions, prête à en découdre avec quiconque s’aviserai de se trouver sur son chemin que Sybille avait fait son entrée à la cour, puis qu’elle avait rencontré Aliénor après avoir pris le temps de saluer quelques unes de ses connaissances ainsi que sa plus jeune sœur, Elisabeth, dont l’époux avait décidé de séjourner plusieurs semaines à Paris afin de soumettre une affaire au roi. La dame d’Alluyes, quant à elle, semblait profiter pleinement de la cour qu’elle décrivit à son aînée comme un vivier d’intrigues en tous genres, mais aussi de culture où elle avait croisé quelques jeunes trouvères et autres artistes qui ne manqueraient sans doute pas de lui plaire. Du haut de ses dix-neuf ans, la jeune demoiselle était à l’évidence ravie de retrouver Sybille qui, malgré son humeur, ne l’était pas moins, comme à chaque fois qu’elle revoyait l’une de ses sœurs auxquelles elle était fortement liée et attachée, tout comme à son frère Hugues d’ailleurs même s’il y avait bien longtemps que les filles de Sulpice d’Amboise n’avaient pu revoir ni leur père ni leur frère que l’ancien comte Thibaud de Blois s’obstinait à ne pas relâcher. Sybille de Déols ignorait alors qu’elle s’apprêtait à affronter la duchesse d’Aquitaine qu’elle ne reverrait pas le premier et ne se doutait pas un instant, quand elle quitta sa sœur, que la nouvelle de la mort de Sulpice ne tarderait pas à lui parvenir. Non, pour une fois, la captivité de son père et de son frère avaient été reléguée au second rand de ses préoccupations, pour l’heure il lui fallait défendre ses terres – qui étaient avant tout celles de son fils – exercice auquel elle savait se montrer aussi efficace et aussi féroce qu’une lionne. L’entretien qu’elle eut avec la reine lui permit d’en faire à nouveau la preuve, car elle ne s’était en effet pas trompée sur les raisons de cette convocation et les intentions d’Aliénor qui demanda à nouveau à la dame de Déols de laisser son fils lui faire hommage pour les terres de Châteauroux, ce dont il n’était évidemment toujours pas question. Aymeric était bien trop jeune pour prêter un tel serment (un argument bien utile qui lui avait déjà servi dans d’autres situations), et Sybille alla même jusqu’à ajouter, non sans hypocrisie, que les engagements pris par son défunt époux n’avaient pas été modifiés et qu’elle-même ne cherchait que ce qu’il y avait de mieux pour son domaine – quel seigneur ne le ferait pas ? – sans pour autant aller à l’encontre de ce qu’avait juré Abo. L’insoumise dame avait pour elle son opiniâtreté, sa fermeté, et l’assurance qu’elle ne brisait là aucune règle, ne dépassait aucune limite qui pourrait la mettre en tort, aussi Aliénor ne put-elle rien tirer de cette rencontre sinon la preuve, une fois encore, que Sybille ne se laisserait ni manipuler ni imposer une quelconque volonté là où la sienne faisait loi. C’est la tête haute, et une moue butée aux lèvres qu’elle quitta la reine, victorieuse, malgré l’agacement que créaient en elle ces vains entretiens ainsi que les questions qu’ils provoquaient, car elle ne pourrait se réfugier indéfiniment derrière la jeunesse de son fils et continuer à gagner du temps. Cette fois encore, elle avait obtenu gain de cause, mais si les évènements ne se déliaient pas d’eux-mêmes, il lui faudrait songer à une nouvelle solution.

C’est dans ce même état mêlé de fierté, d’agacement et d’excitation qu’elle s’éloigna de la pièce dans laquelle l’avait reçue la reine pour retrouver sa sœur. Sybille ne comptait pas s’attarder à Paris plus de quelques jours, car si la vivacité de la cour réunie autour du roi Louis VII ne lui déplaisait pas, et si l’on y faisait toujours quelques rencontres plaisantes – et déplaisantes, certes, en témoignait Mahaut de Vendôme qu’elle croisa au détour d’un couloir et qu’elle salua froidement – elle y préférait de loin ses propres terres, terres sur lesquelles il aurait sans doute mieux valu qu’elle se trouve en cet instant où courait déjà parmi les nobles rassemblés à Paris une sourde rumeur à laquelle rien ne pouvait la préparer et dont celui qui devait en être le messager fit soudain son entrée au Palais de la Cité. La dame de Déols se trouvait auprès d’Elisabeth et de son époux qui débattaient avec animation des mérites d’un lai qu’on leur avait fait écouter la veille au soir quand elle s’aperçut de l’arrivée du comte de Champagne, dont la haute et familière silhouette avait aussitôt attiré son regard. Dès l’instant où elle le vit, un sourire étira ses lèvres, un sourire que l’on ne voyait pas souvent illuminer le visage de la jeune dame et qu’elle ne chercha pas à s’expliquer, pas plus que la raison pour laquelle la présence d’Henri lui semblait avoir égayé l’assemblée, tout comme son humeur. Tout en suivant vaguement la conversation de sa sœur et de son beau-frère, elle l’observa à la dérobée, sans réellement prendre conscience qu’elle guettait à la fois l’un des sourires chaleureux dont il était coutumier et surtout le moment où il se rendrait compte de sa présence. L’espace d’une courte seconde, leur regard se croisèrent, mais Sybille eut la surprise de le voir détourner le regard et s’éloigner. Déçue, elle baissa les yeux à son tour et se rembrunit légèrement avant d’abandonner Elisabeth qui s’était mise à parler avec enthousiasme de son tout jeune fils, Hugues, qu’elle avait souhaité nommer ainsi en songeant à son frère dont ils n’avaient toujours pas la moindre nouvelle. L’inquiétude dans les dires de la dame d’Alluyes était réelle car elle n’ignorait pas – personne ne l’ignorait – qui était Thibaud IV, et ce qu’elle en savait n’avait rien de rassurant concernant le sort du jeune Hugues et de son père Sulpice. Des paroles qui constituaient un bien triste prologue à la suite des évènements, et qui fit peser sur les deux sœurs d’Amboise quelques regards à la fois hésitants et pesants que Sybille mit sur le compte des inimitiés de son père et de sa triste réputation (amplement méritée, elle ne le niait pas). Sans même songer à relever ces regards, ou à s’interroger sur ce qui les provoquait, elle laissa à leurs débats et discussions Elisabeth et son époux pour aller saluer quelques autres connaissances, jetant parfois quelques coups d’œil au comte de Champagne qui semblait mettre un point d’honneur à l’éviter, du moins est-ce l’impression qu’il lui donna. Elle songea d’abord à imputer cette attitude à leur dernière rencontre, qui s’était soldée par la mort – pour ne pas dire le meurtre – de Geoffroy de Loches, mais elle se souvenait assez bien de leur courte conversation juste avant le départ de la troupe champenoise pour savoir qu’il n’en tirait aucune espèce de gêne ou de remord, et le connaissait assez pour savoir qu’un tel retournement aurait été étonnant.

Elle en était là de ses réflexions lorsque le comte y mit fin de lui-même en venant enfin vers elle pour la saluer, attirant un nouveau sourire sur les lèvres de Sybille, un sourire d’autant plus inattendu qu’elle savait assez quels étaient les projets d’Henri à son égard et que ceux-ci avaient ordinairement tendance à le rendre plutôt envahissant aux yeux de la dame de Déols.
« Ma dame, j’espère que vous allez bien, c’est un plaisir de vous revoir à la cour malgré les circonstances…
- Un plaisir partagé, comte ! répondit aussitôt Sybille en le dévisageant pour tenter de déceler dans son regard ou ses traits ce qui pouvait bien le rendre plus morose qu’à l’ordinaire ou l’avoir poussé à l’éviter. »
Faut d’y trouver la réponse qu’elle souhaitait, et réalisant qu’elle s’attardait un peu trop à détailler ce visage désormais familier ou son regard brun, parfois pétillant, elle reprit la parole, faisant ainsi état de sa soudaine bonne humeur.
« Je ne savais pas que vous vous trouviez à la cour. J’en suis ravie, je voulais vous remercier à nouveau pour le présent que vous m’avez laissé lors de votre dernière visite, ce bestiaire est vraiment magnifique ! »
Le regard de la jeune femme brilla un instant. Elle omit délibérément d’évoquer ce qui s’était produit à la chasse lors de la visite en question – elle en avait déjà bien assez parlé avec les émissaires Lochois et Plantagenêt qu’elle avait eu tout le mal du monde à convaincre qu’il ne s’agissait que d’un malheureux accident – et préféré lui parler, non sans enthousiasme, du manuscrit qu’elle avait eu le temps d’étudier et d’apprécier à sa juste valeur en compagnie de quelques uns des jeunes gens qu’elles réunissait autour d’elle à Châteauroux. Elle aurait volontiers continué sur sa lancée en dépit de son air préoccupé, mais il profita d’un court silence dans la conversation pour la prendre presque d’autorité par le bras et l’entraîner légèrement à l’écart, laissant là les deux seigneurs qui s’approchaient d’eux en dévisageant avec insistance la jeune dame. Celle-ci fronça les sourcils, intriguée par ces regards, et se promit de faire la lumière sur ce soudain intérêt qu’on semblait soudain lui porter car il n’était jamais bon, en cette cour, d’être l’objet des conversations sans en connaître la raison. Elle suivit néanmoins Henri qui finit par lui demander ce qu’elle faisait à Paris, question à laquelle elle se rembrunit légèrement avant de répondre non sans une discrète pointe de mépris qu’elle avait été convoquée par la reine Aliénor au sujet de ses terres. La dame ne fut pas sans guetter la réaction du chevalier, qui fut plus vague que ce à quoi elle s’attendait, avant de poursuivre.
« Elle exige qu’Aymeric lui fasse hommage pour Châteauroux… c’est proprement ridicule, marmonna-t-elle en se tournant vers le comte pour lui demander son avis, avant d’y renoncer devant son air sombre. Quelque chose ne va pas, comte, vous semblez préoccupé ? »
Ils s’arrêtèrent alors, et Sybille réalisa qu’ils se trouvaient dans un couloir éloigné des salles principales. Lorsqu’elle leva les yeux pour interroger Henri du regard, il s’était redressé face à elle et ce qu’elle lut dans son regard ne la rassura pas.
« Je suis désolé de vous interrompre, ma dame, mais serait-il possible de nous retirer dans un endroit plus calme où nous ne risquerions pas d’être surpris ? Si je puis me permettre d’entrer dans vos appartements par exemple… »
La jeune dame fronça les sourcils devant cette requête inattendue, mais devant le ton pressant du chevalier, ton qui n’augurait rien de bon, elle ne put qu’acquiescer, et le guider jusqu’à la porte de ses appartements. Toute la bonne humeur de Sybille ainsi que sa propension à faire la conversation semblaient s’être envolées et c’est dans le silence qu’ils firent le court trajet qui devait les amener aux quelques pièces qui avaient été allouées à la dame de Déols. Celles-ci étaient désertes, à l’exception de Cyrielle qui ouvrit de grands yeux surpris en reconnaissant le comte avant de s’éclipser de bonne grâce lorsque sa maîtresse lui en fit la demande, retenant avec peine un grand sourire.

Sybille referma la porte derrière la jeune femme puis se retourna pour faire face à un Henri de Champagne mal à l’aise, ce qui l’inquiéta d’avantage car ça n’était pas là une attitude à laquelle il l’avait habituée. Elle garda le silence tandis qu’il jetait un rapide regard autour d’eux, mais ne cessa pas de le dévisager, plongée dans une attente pleine de question.
« Vous avez là de beaux appartements, lança-t-il d’abord, attirant un rictus impatient sur les lèvres de Sybille. J’ai une annonce à vous faire, mais peut-être devriez-vous vous asseoir, elle va être déplaisante… »
Aussitôt, la dame se crispa. Si elle avait conservé une moue indéfinissable jusque là, celle-ci disparut et on ne put lire sur son visage que l’inquiétude et l’attente. Elle hésita un instant avant d’aller s’asseoir sur le coffre qui se trouvait derrière elle.
« Que se passe-t-il ? demanda-t-elle, sourcils froncés.
- Avant tout je voulais vous dire que je suis navré… commença le comte, avant de s’interrompre. »
Sybille, qui attendait la suite, vrilla sur lui un regard perçant tandis que toutes les hypothèses envisageables se bousculaient dans son esprit. Elle pensa tout d’abord à Sulpice et Hugues dont elle n’avait pas eu de nouvelles depuis longtemps, mais, dans un instant d’aveuglement ou peut-être parce qu’elle redoutait d’entendre quoi que ce soit à leur sujet après un tel préambule, elle rejeta cette idée et se mit à passer en revues toutes les raisons pour lesquelles Henri pouvait lui annoncer ainsi qu’il était navré. L’affaire de Loches avait-elle eu plus de conséquences qu’ils ne s’y attendaient ? Elle en doutait, sans quoi elle aurait sans doute été la première mise au courant. Avait-il quelque chose à lui dire concernant ses projets, son frère Thibaud ? Peut-être, mais pourquoi avec une telle mine sombre ?
« Est-ce donc si grave pour que vous n’osiez pas aller plus loin, comte ? demanda-t-elle pour marquer son impatience. »
Elle tenta de conserver son calme, mais les hésitations du chevalier lui faisaient redouter le pire et n’y tenant plus, elle se leva pour lui faire face.
« Qu’est-ce donc ? De mauvaises nouvelles ? Avez-vous trouvé un moyen pour me forcer à épouser votre frère dont vous vous repentez déjà ? »
Elle était restée face à lui un instant puis s’était éloignée pour faire les cent pas tout en continuant en lister les seuls doutes qui lui venaient en tête, regard tantôt perdu dans ses pensés, tantôt fixé sur le comte qui semblait chercher ses mots, et peiner à se lancer. Une servante poussa soudain l’une des portes, faisant sursauter Sybille, mais celle-ci renvoya aussitôt et sèchement l’importune qui se confondit en excuses et ne put annoncer à la dame de Déols que sa sœur Elisabeth souhaitait la voir au plus vite. La servante qui tourna les talons, penaude, ignorait que la dame d’Alluyes et le come de Champagne avaient exactement la même chose à dire à Sybille et que si elle n’avait pas fait ce long détour par les cuisines avant d’aller trouver la dame de Déols, elle aurait évité à celle-ci et surtout à Henri la scène qui était sur le point de se produire. La jeune femme attendit que la porte se soit refermée derrière la demoiselle pour se tourner à nouveau vers le chevalier.
« Allons, parlez comte ! exigea-t-elle, cédant peu à peu à l’agacement, vous ne pouvez renoncer après un tel préambule, et vous m’inquiétez. Que se passe-t-il ? »
Elle se planta à nouveau face à lui pour plonger son regard dans le sien, tandis que son cœur battait la mesure de son inquiétude. A vrai dire, si elle voulait s’en cacher, la jeune dame n’en commençait pas moins à se douter de ce qu’Henri avait à lui dire, ou du moins, des personnes dont il voulait lui parler.
« Je vous en prie, achevez ! insista-t-elle encore, la voix blanche. »
Elle ne pouvait être que terrible la nouvelle qui parvenait à retenir un homme que jamais Sybille n’avait vu hésiter auparavant, et tout se laissant gagner par l’agacement devant le silence du comte, la jeune dame redoutait de plus en plus d’entendre ce qu’il avait à lui dire.
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Henri de Champagne
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MessageSujet: Re: [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre   [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre EmptyMar 2 Sep - 23:56

En temps normal, Henri de Champagne aurait sans nul doute rebondi sur les paroles de son interlocutrice, peut-être aurait-il aussi remarqué à quel point elle semblait heureuse de le voir et comment elle s'était rembrunie quand il avait cherché à l'éviter – jusqu'à adresser quelques mots à Mahaut de Vendôme, c'était dire qu'il était désespéré –, jusqu'au moment où il n'avait plus eu le choix et s'était dirigé vers elle, la tête pleine des dernières paroles que Bernard de Clairvaux lui avait adressées et qu'il ne pouvait pas, malgré tous ses efforts, oublier même quelques instants pour profiter du moment présent. Il n'avait que faire de la nouvelle de la mort de Sulpice d'Amboise qui avait lui-même enfermé bien des hommes dans ses geôles souterraines que l'on disait effrayantes et qu'il n'avait jamais connu qu'à travers les dires de son propre père, même si les circonstances de ce décès étaient particulièrement affreuses mais il ne pouvait néanmoins se résoudre à faire comme si de rien n'était ou pire à s'en réjouir. Déjà il sentait que la rumeur avait commencé à se répandre dans les couloirs du palais de la Cité, une rumeur bruissante qui sautillait d'arcatures en arcatures, d'oreilles en oreilles comme s'il suffisait d'un murmure pour que la cour entière soit au courant alors que des nouvelles mettaient parfois des semaines à se transmettre d'une extrémité à une autre des possessions du comte de Champagne. Des sourires goguenards avaient commencé à couvrir des lèvres et Henri, même s'il fixait les yeux bleus de la jeune dame et s'étonnait de la voir si souriante et si volubile, ne put s'empêcher de jeter un coup d’œil aux alentours. Ils étaient le point de mire de l'attention mais cela pouvait encore être dû à la curiosité que créait leur conversation, on savait bien ce qu'avait donné la dernière visite du comte à Châteauroux. Pourtant Henri sentait bien que l'atmosphère avait changé et que le bruissement, derrière eux, n'avait plus rien de léger ou de badin et ne concernait plus les commentaires sur le lai que l'on avait apparemment entendu la veille au soir. La rumeur s'était faite mauvaise, les visages et les bouches s'étaient tordues de méchanceté et les rires avaient un accent de vilenie, propres à ces cours qui s'emparaient des nouvelles pour s'en moquer et surtout se gausser de ceux qui en faisaient les frais. Henri, s'il n'avait connu Sybille, aurait peut-être été parmi eux mais cette pensée le troubla, car il aimait à se croire bon et juste et qu'il n'aurait apprécié de se savoir de ces vautours. Il lui suffit en tout cas de croiser le regard de Mahaut de Vendôme pour être convaincu qu'il leur fallait s'éloigner au plus vite. Cette dernière avait perdu son masque de gentillesse hypocrite. Elle n'avait plus besoin de faire semblant pour paraître enjouée et enthousiaste et ses yeux brillants se fixaient un peu trop régulièrement sur la silhouette de Sybille comme si elle se repaissait par avance de la souffrance que la jeune femme allait connaître. Parmi cette foule de visages mauvais, seule Ide de Sponheim avait un air désolé et cherchait à croiser le regard de son cousin comme pour lui adresser un avertissement et le cousin en question comprit fort bien le message. Il n'était pas question que Sybille apprenne la mort de son père sous les yeux de cette cour avide de ragots et il se sentait du devoir, puisqu'il était le fils du meurtrier, de l'en tenir à l'écart et de former une barrière entre la dame de Déols et ces courtisans sans pitié pour l'en protéger. Était-ce là uniquement un effet de son devoir ? Il l'ignorait mais ce n'était que de peu d'importance, l'essentiel était d'éviter qu'elle ne soit obligée de lutter contre le chagrin sous des regards mal intentionnés car c'était bien là la seule chose qu'Henri pouvait faire pour elle.

- Je ne savais pas que vous vous trouviez à la cour, babillait Sybille qui n'avait pas adopté son masque de froideur et semblait, pour une fois, sincère, j’en suis ravie, je voulais vous remercier à nouveau pour le présent que vous m’avez laissé lors de votre dernière visite, ce bestiaire est vraiment magnifique !
Pendant une courte seconde, les traits du comte s'éclairèrent car il était heureux que ce beau présent qu'il lui avait fait quelques semaines auparavant lui plaise autant. Il se souvenait encore de l'émerveillement de la jeune femme quand elle avait tourné les pages du manuscrit richement enluminé, pour glisser ses doigts sur les ailes de ce phénix... Combien aurait-il donné pour revivre cet instant (même s'il y avait là un hôte indésirable) plutôt que ce mauvais moment ! S'il n'avait pas croisé Bernard, si son père n'avait voulu récupérer Chaumont à tout prix, peut-être aurait-il pu rebondir, aurait-il pu lui demander quel passage elle avait préféré et si elle désirait consulter d'autres ouvrages de sa bibliothèque. Mais au lieu de cela, il se contenta de répondre, tout en cherchant une idée d'excuse pour la faire quitter les lieux :
- Votre plaisir face à ce présent me comble. J'espère que vos garçons se portent bien tout comme le petit Phénix.
Son visage s'était de nouveau assombri et il leva brusquement la tête devant une tentative d'approche de Mahaut de Vendôme, lui jetant un coup d’œil noir qui la fit reculer de quelques pas alors que l'épouse du comte de Nevers volait au secours de son cousin, faisant preuve d'une présence d'esprit tout à fait remarquable en allant adresser la parole à la fille de ceux qui avaient été les adversaires acharnés des Amboise tout comme des Blois, qui, en conséquence, par politesse, ne put fausser compagnie à son interlocutrice. Devant lui, Sybille paraissait ne se rendre compte de rien et il profita d'un court instant, avant qu'elle ne reprenne la parole, pour la prendre d'autorité par le bras et l'entraîner hors de cette grande salle d'apparat où la situation devenait dangereuse, évitant par la même occasion deux seigneurs qui avaient décidé de venir leur parler et dont Henri se méfia de l'air goguenard. Lorsqu'ils furent parvenus dans un couloir assez sombre, seulement éclairé par quelques fenêtres qui donnaient sur le jardin du roi, le comte s'autorisa un soupir de soulagement même si le pire restait encore à venir. Il lui semblait toutefois que la rumeur pouvait bien continuer à se répercuter jusqu'à eux, que les mots se propageaient de murs en murs et s'amplifiaient dans l'obscurité. Sans compter qu'un proverbe ne cessait de rappeler que les murs avaient des oreilles ce qui était particulièrement vrai dans un endroit aussi empli de pièges que le palais de Louis VII.
-  Elle exige qu’Aymeric lui fasse hommage pour Châteauroux… C’est proprement ridicule, grommelait Sybille à ses côtés après qu'il se fut renseigné sur les raisons de sa présence à la cour, dans une tentative d'avoir une discussion somme toute normale.
C'était évidemment la duchesse d'Aquitaine qui tenait à affirmer son autorité sur ses fiefs et par là-même sur Sybille de Déols qu'elle devait juger un peu trop indépendante, ce en quoi Henri ne pouvait totalement la blâmer. Visiblement, la mère d'Aymeric entendait avoir une réaction du jeune homme en face d'elle, sachant qu'il ne voulait pas non plus voir le jeune garçon d'à peine six ans prêter un serment qu'il ne comprenait pas, d'autant qu'il avait bien d'autres projets pour Châteauroux (même si cela impliquait une alliance officieuse avec la reine) mais l'absence de réaction du comte dut la décevoir. D'ailleurs, elle sembla alors réaliser que quelque chose clochait car elle s'interrompit dans sa diatribe pour lancer une question, détaillant les traits du chevalier comme si elle attendait que l'expression de son visage ne l'éclaire :
- Quelque chose ne va pas, comte, vous semblez préoccupé ?
Il ne pouvait plus se permettre de reculer, il était trop tard et même la jeune femme sembla comprendre la gravité de l'annonce qu'il avait à lui faire car elle accepta sans rechigner de le conduire dans ses appartements, non sans avoir froncé les sourcils et laissé s'envoler son air insouciant qui lui allait pourtant fort bien.

Ce fut dans le silence qu'Henri de Champagne suivit la dame de Déols jusque dans les quelques pièces dont on avait accordé la jouissance à la jeune femme. Il ne s'arrêta pas sur le décor de la chambre quoiqu'il sembla le remarquer et que son regard pénétrant se promena sur les meubles et le lit. C'était là proprement impoli de s'être introduit dans une pièce privée d'une dame mais il n'avait pas eu d'autre idée pour un lieu où ils pourraient parler en toute franchise sans être dérangés. De toute façon, ni Sybille ni la servante qu'elle avait chassé à son entrée ne semblait en prendre ombrage. La première, cette fois-ci, avait laissé l'inquiétude se peindre sur son visage. Il aurait aimé être en mesure de la rassurer, de l'entraîner à nouveau vers les salles publiques, un sourire aux lèvres pour l'inviter à écouter un poème ou même à danser. Il aurait pu lui parler de son frère, lui montrer encore et toujours les avantages d'une telle union. Mais non, il demeurait là à dire des phrases sans aucun sens qui ne servait qu'à retarder le moment où elle saurait et où tout basculerait. Il parlait mais tout cela était creux et ne pourrait permettre d'atténuer le choc, juste à inquiéter davantage la jeune femme devant lui. Le jeune homme voyait distinctement le pli qui s'était formé sur son front et une expression d'attente dans ses grands yeux bleus qu'il craignait par-dessus tout voir se remplir de larmes qu'il ne pourrait arrêter de couler. S'il n'avait plus vraiment conscience de ce qu'il disait ou faisait lui-même, comme s'il se trouvait dans un état second, à l'inverse, tous les gestes esquissés par Sybille, le moindre mouvement de ses lèvres ou de ses paupières lui apparaissaient clairement, avec plus de netteté encore qu'en temps habituel. Il remarqua des détails stupides comme le soin particulier qu'elle avait accordé à son maquillage dont elle n'avait pourtant pas besoin pour rehausser l'éclat d'ivoire de sa peau ou la mèche rebelle qui menaçait à tout instant de quitter sa coiffure comme si elle se refusait à être disciplinée. Puis soudain, tout ce qui restait de la joie ou de l'insouciance dont elle avait fait preuve disparurent. Ses traits loin de s'affaisser se crispèrent et quand elle s'assit sur l'un de ses coffres dans lequel elle avait dû ranger ses apprêts, Henri comprit qu'il était plus que temps de dire des phrases avec du sens.
- Que se passe-t-il ? Est-ce donc si grave pour que vous n'osiez pas aller plus loin, comte ? Demanda-t-elle pour l'encourager à faire son annonce.
A son expression, on pouvait voir qu'elle réfléchissait aux éventualités qui se présentaient à elle et bouillonnait de se tenir assise. Henri détourna un instant le regard et avança de quelques pas pour s'appuyer un instant sur le mur, comme pour prendre courage, mais se reprit et se redressa. Pour l'une des premières fois de son existence, il hésitait. Non pas sur la question de savoir s'il fallait le lui dire ou non mais il se demandait comme on pouvait annoncer la mort d'un père à l'un de ses enfants. Pas n'importe lequel d'entre eux non, la fille aînée qui l'avait toujours admiré et qui avait repris son héritage à son compte, cette fille qui lui ressemblait. Y avait-il une bonne façon de le dire ? Une formulation qui pourrait atténuer le choc sans atténuer la portée de l'événement ? Il n'avait pourtant pas autant hésité quand il lui avait fallu dire à Sybille qu'elle était veuve mais à l'époque, il ne la connaissait pas et il souffrait autant voire plus qu'elle de la disparition d'Abo. Désormais, il se considérait comme l'un de ses amis, il partagerait sa souffrance et il avait, lui aussi, sa part de responsabilité dans la mort de Sulpice tout comme les gardes qui avaient suivi aveuglément le vieux comte ou même Bernard de Clairvaux qui s'en voulait assez pour quitter la cour aussi précipitamment.

Toutefois, Sybille de Déols n'avait pas la patience d'attendre que son interlocuteur se décidât et se releva d'un bond, perdant visiblement son calme. Elle s'était approchée de lui pour le fixer, soudain en colère et lui lança, sans doute dans le but de le blesser ou de le faire réagir, vu l'incongruité de l'hypothèse :
- Qu’est-ce donc ? De mauvaises nouvelles ? Avez-vous trouvé un moyen pour me forcer à épouser votre frère dont vous vous repentez déjà ?
En d'autres circonstances, Henri aurait pu en rire ou simplement lever les yeux au ciel mais il demeura de marbre face à son regard perçant non sans songer que Thibaud IV venait probablement de lui mettre encore plus d'obstacles pour ses projets de mariage dont celui-ci n'avait que faire. Comment, désormais, Sybille de Déols allait-elle se laisser convaincre d'épouser l'un des fils de celui qui avait causé la mort de son père ? Thibaud ne venait-il pas de mettre un terme définitif et bien trop brutal à une alliance entre leurs deux familles rivales et ennemies ? Cela non plus, il ne l'emporterait pas au paradis mais cette fois-ci, son aîné se promit d'y veiller.
-... Non, je ne veux pas vous forcer la main et... De toute façon, cela n'a rien à voir avec mon frère, répliqua Henri, sans parvenir à masquer totalement sa surprise devant cette attaque.
Il allait enfin se lancer quand l'interruption d'une servante lui offrit un instant de répit dont il ne sut pas s'il lui fallait s'en réjouir ou la regretter. La jeune femme n'eut de toute façon pas le temps de dire quoi que ce soit à la dame de Déols qui la renvoya avec sécheresse. Henri, en la voyant de nouveau disparaître derrière le battant qui se referma sur eux, se prit à songer que cela devait avoir forcément un lien avec le décès de Sulpice. Bernard lui avait dit qu'Elisabeth d'Alluyes était présente aussi même s'il ne l'avait pas vue, sans doute celle-ci cherchait-elle son aînée. Mais puisque Sybille avait rejeté l'importune, il n'y avait plus que lui pour le lui dire mais si elle ne lui en laissa pas le temps.
- Allons, parlez comte ! Exigea-t-elle d'un ton agacé, vous ne pouvez renoncer après un tel préambule et vous m'inquiétez. Que se passe-t-il ?... Je vous en prie, achevez !
La jeune femme s'était plantée face à lui pour plonger son regard dans le sien et si elle semblait en colère, Henri avait bien conscience qu'il ne s'agissait là que d'un masque pour dissimuler l'inquiétude qui devait la ronger. En croisant ses yeux bleus, le comte eut la certitude qu'elle savait bien ce qui l'attendait mais qu'elle se voilait la face comme pour refuser d’inéluctable, comme si cela allait l'empêcher d'arriver alors que dans un mouvement contraire, elle cherchait à lui faire avouer ce qu'il avait mis tant de soin à lui dissimuler.
- En arrivant à la cour, j'ai croisé l'abbé de Clairvaux qui m'a annoncé une terrible nouvelle mais je n'ai aucune raison de le mettre en doute, débuta-t-il d'un ton pressé, votre père est mort.

Et voilà, c'était finalement sorti tout seul, sans l'ombre d'une hésitation et c'était désormais lui que l'inquiétude étreignait. Il n'avait pas baissé une seule fois les yeux, assumant pleinement ce qu'il lui disait, se tenant debout face à elle pour être présent si jamais elle avait besoin de lui. Mais il dut bien se rendre à l'évidence : il ne pouvait rien pour elle. Même son réconfort, elle n'en voudrait aucunement. Néanmoins, profitant de l'instant de surprise, il la saisit par le bras et l'obligea à reculer pour s'asseoir sur le lit dont les draps avaient été repliés. Il lut dans son regard, bien avant qu'elle ne les prononce, toutes les interrogations qui avaient surgi dans son esprit mais lui ne pouvait lui offrir que des explications bassement matérielles, il ne pouvait lui donner la raison de la mort de Sulpice car cette mort qui rôdait et qui emportait tout le monde sur son passage, du pape et du roi jusqu'au plus misérable des serfs, dans une terrifiante danse macabre, ne prenait jamais la peine de s'expliquer.
- L'abbé de Clairvaux était sur le départ pour retrouver... Mon père qui s'en allait brûler la forteresse de Chaumont que Sulpice avait refusé de lui livrer. Je le connais assez pour vous assurer qu'il va tenter tout son possible pour arrêter la colère du comte Thibaud.
Il n'ajouta pas que c'était là une mission bien compliquée mais les doutes durent se lire sur son visage malgré ses efforts pour les dissimuler. Il serra un instant l'épaule de la jeune femme mais retira sa main devant le regard qu'elle lui lança, aussi vivement que s'il s'était brûlé à son contact ou s'il l'avait blessée. Il n'en avait pas terminé pour autant mais désormais que l'annonce avait été faite, il lui semblait que les mots coulaient seuls hors de sa bouche, comme un torrent qui allait emporter Sybille, un torrent qu'il ne pouvait arrêter car il ne pouvait rien lui cacher. Il choisit néanmoins de ne pas raconter comment Sulpice semblait avoir été tué, autant par honte que par volonté de lui épargner cette vision. Dans ce monde qu'on lui avait présenté depuis leur naissance, on leur avait dit que les chevaliers mourraient sur les champs de bataille, l'honneur et la gloire chevillées au corps, pas de cette misérable façon-là.
- La rumeur commençait à se répandre à la cour quand nous avons quitté la Grande Salle, expliqua Henri qui avait reculé de quelques pas, sans toutefois la quitter du regard, prêt à faire face à toute éventualité et à la secourir au besoin, votre sœur Élisabeth doit ou va être mise au courant, j'imagine mais elle a le soutien de son époux. Je vais me charger personnellement d'écrire au reste de votre famille, voire à l'instant si vous en exprimez l'envie. Vous pourrez partager votre chagrin avec... Avec ceux qui vous aiment et qui aimaient votre père.
Il se mordit un instant la lèvre mais enchaîna, prenant de l'avance sur l'une de ses probables questions :
- Je n'ai pas de nouvelles très précises de votre frère mais elles sont rassurantes, il va bien.
Le jeune comte aurait voulu être capable d'en ajouter davantage mais il se tut quelques instants, pour observer l'attitude de la dame de Déols, craignant autant son abattement que sa colère. Malgré le fait qu'il eut pu faire les frais de cette dernière, ce qu'il méritait sans doute, il ne put s'empêcher de prononcer ses dernières paroles :
- Je suis terriblement navré pour votre perte et je voudrais tellement avoir la capacité de soulager votre chagrin, surtout au vu de la responsabilité évidente de mon propre père... Je suis désolé.
Il répéta les trois derniers mots plus bas, songeant qu'elle ne pouvait le croire alors que c'était la pure vérité comme l'attestait la douleur qui vrillait son cœur. Mais l'épreuve n'était pas encore terminée.
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Sybille de Déols
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MessageSujet: Re: [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre   [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre EmptyMar 2 Sep - 23:56

Rien ne préparait Sybille de Déols à entendre la nouvelle qui, pourtant, se répandait déjà comme une traînée de poudre à la cour, alors même qu’elle disputait âprement le sort de ses terres avec la reine Aliénor ou qu’elle guettait un regard de la part du chevalier qui devait lui en faire l’annonce, ce même chevalier auquel elle réclamait depuis des mois maintenant la libération de son père et de son frère enfermés à Châteaudun. Certes, il y avait longtemps qu’elle n’avait pas eu de leurs nouvelles, mais ce silence n’avait rien d’étonnant de la part des deux captifs, et surtout de leur entêté geôlier que l’on connaissait fort bien, ne serait-ce que de nom, et qui n’était pas homme à abandonner avant d’avoir obtenu ce qu’il désirait. Ce n’était d’ailleurs là qu’un juste retour des choses, car Sulpice d’Amboise avait lui aussi bien des fois fait prisonniers les seigneurs avec lesquels il n’avait cessé de batailler, pour les mêmes raisons que son grand ennemi Thibaud IV, et sans doute était-ce cette similitude de but ainsi qu’un penchant commun à la guerre et aux conquêtes qui avaient empêché les deux seigneurs de faire durablement alliance, y compris contre leur ennemi commun angevin. Depuis que la captivité du maître d’Amboise et de son fils avait commencé, Sybille avait dû se résoudre à n’en entendre que de rares nouvelles et se contenter de ses propres insistances auprès d’Henri de Champagne, refusant toute espèce d’accord avec lui tant qu’on n’aurait pas rendu Sulpice et Hugues à leur famille. Il fallait donc plus qu’un long silence pour alarmer la jeune dame de Déols, de même qu’elle n’avait pas pour habitude de se préoccuper des regards que l’on pouvait bien poser sur elle. Elle était accoutumée à les susciter, qu’ils fussent associés au nom de son père ou provoqués de son propre fait, et ce d’autant plus depuis que l’on se racontait qu’il était dangereux de prétendre à sa main, en prenant pour exemple la terrible mésaventure du seigneur de Loches qui avait payé ce risque de sa vie alors qu’il chassait avec la dame et le comte de Champagne. C’est d’ailleurs à sa conversation avec ce dernier qu’elle imputa les quelques murmures qu’elle devinait autour d’eux, et les coups d’œil qu’elle sentait que l’on jetait dans leur direction, car elle n’était sans doute pas la seule à avoir deviné qu’il n’y avait rien de plus suspect que la mort du seigneur de Loches, et bien loin de se douter de la véritable teneur de la rumeur qui se répandait autour d’elle, Sybille ignora une fois de plus royalement les racontars, avec cette même hauteur que celle avec laquelle elle avait passé outre les exigences de la reine. Elle se plaisait à croire qu’elle était bien au-dessus de ce qui pouvait se murmurer à son égard, et s’en préoccupait même d’autant moins en cet instant que la présence d’Henri semblait avoir accaparé toute son attention.

Les ragots qui animaient la cour de Louis VII ce jour-là devaient pourtant bien vite la rattraper, et quoi qu’elle n’en fût pas certaine, Sybille ne put que se douter que la mine sombre du chevalier et son ton pressant étaient liés aux regards qu’elle avait ignorés jusque là ce qui, loin de la rassurer, la poussa à envisager toute les réponses possibles aux questions qui se bousculèrent dans son esprit dès l’instant où Henri lui annonça qu’il était porteur de mauvaises nouvelles. Cette situation n’était pas sans lui rappeler leur première rencontre, deux ans plus tôt, lorsqu’il était venu à Châteauroux mettre fin à une longue attente et lui affirmer que son époux avait laissé la vie en Terre Sainte. Si à l’époque c’était avant tout l’impatience de voir ses doutes se lever plus que la peur d’entendre quelque chose dont elle se doutait qui l’avait d’abord rendue muette face au jeune homme, ce jour-là, Sybille ne put totalement dissimuler son inquiétude, laquelle redoubla lorsque les souvenirs de cette grise journée qui l’avait faite veuve remontèrent à sa mémoire. L’on pouvait annoncer bien des mauvaises nouvelles en cette époque troublée, mais il y avait quelque chose dans l’attitude du comte – à commencer par ses hésitations proprement inhabituelles – qui laissait aisément penser à la jeune dame que ce n’était pas là n’importe quelle annonce. En laissant la mort d’Abo lui revenir à l’esprit, elle ne put s’empêcher de songer qu’il n’y avait que pour la vie de deux hommes qu’elle craignait le pire, et que le sort de ceux-ci était assez lié à Henri pour justifier l’attitude de ce dernier, mais elle rejeta confusément cette éventualité trop douloureuse, et ne préféra formuler que les hypothèses les plus incongrues qu’elle tentait désespérément de bâtir, comme pour repousser toujours plus loin ce qui semblait pourtant de plus en plus évident. Quitte à se mettre en colère pour dissimuler son inquiétude, Sybille s’enfonçait dans le déni avec l’énergie et la conviction du condamné qui sait qu’il ne peut échapper plus longtemps à son sort, tout en sachant pertinemment que sommer le chevalier de mettre fin à ses doutes ne ferait finalement que faire tomber le couperet plus vite, et de façon irrévocable. C’est dans cet état d’agitation plein de contradictions que la dame de Déols, nerveuse, se planta face à Henri, dans l’attente de la sentence tout en cherchant dans ses yeux bruns, ces mêmes yeux dans lesquels elle avait guetté leur chaleur ordinaire quelques minutes plus tôt, un indice, un éclat qui lui prouverait que ses craintes n’étaient pas fondées, en vain.
« En arrivant à la cour, j’ai croisé l’abbé de Clairvaux qui m’a annoncé une terrible nouvelle mais je n’ai aucune raison de le mettre en doute, lâcha enfin Henri, votre père est mort. »

Sybille savait ce qui l’attendait, mais malgré ses convictions étouffées, ses traits se crispèrent brusquement dans une indéfinissable expression de surprise, tandis que le sang désertait son visage. Pâle comme la mort qui semblait soudain avoir envahi la pièce, elle fixait toujours le comte, mais sans le voir, et lorsqu’elle voulut détourner le regard ou esquisser un geste de recul, tout son corps refusa de lui obéir, comme si le choc de cette annonce qu’elle redoutait pourtant, même confusément, avait annihilé toutes ses capacités de réaction, si bien qu’elle n’eut d’autre choix que de se laisser guider par Henri lorsqu’il la poussa à se laisser tomber plus que s’asseoir sur le lit. « Votre père est mort », les mots tournaient et tournaient encore, sans cesse dans son esprit, en une entêtante et douloureuse litanie dont elle ne parvenait pas à se débarrasser et qui lui serra brusquement la gorge lorsque retrouvant contrôle de ses membres, elle secoua vaguement la tête pour l’en faire sortir. Malgré tous ses efforts pour se persuader du contraire, elle s’attendait à une telle annonce, et pourtant il lui sembla d’abord inenvisageable de croire un mot de ce que venait de lui dire le comte. Son père ne pouvait être mort, elle avait cessé de penser cela possible depuis bien longtemps, lorsque l’imposante silhouette de Sulpice auréolée d’une victoire sanglante s’était dessinée dans l’encadrement de la grande salle du conseil du château d’Amboise après une nuit de combats sous les remparts de la forteresse. Comment un tel homme pouvait-il céder à la faucheuse après avoir survécu à tant de batailles et de blessures, comment était-ce possible alors que Sulpice était enfermé à Châteaudun avec pour seul adversaire le temps et les exigences de son plus vieil ennemi qui refusait de le relâcher ? Cette sorte de fin lui semblait si impensable que, loin de laisser paraître l’étendue de sa peine et des innombrables émotions dont elle était parcourue, la jeune dame de Déols leva vers le comte un regard plein d’incompréhension, comme si elle se refusait encore à comprendre totalement les mots qu’il venait de prononcer.
« L’abbé de Clairvaux était sur le départ pour retrouver… mon père qui s’en allait brûler la forteresse de Chaumont que Sulpice avait refusé de lui livrer. Je le connais assez pour vous assurer qu’il va tenter tout son possible pour arrêter la colère du comte Thibaud, reprit Henri qui se tenait droit devant elle, sans lui tirer pourtant la moindre réaction visible. »
Sybille n’avait que faire du sort des forteresses et autres places que son père pouvait livrer ou non, mais elle comprit soudain confusément non seulement qu’elle ne pouvait plus longtemps nier l’évidence, mais surtout que Thibaud IV n’était pas étranger, sinon directement responsable de cette nouvelle, et à la douleur sourde qui lui serrait le cœur s’ajoutèrent soudain les prémices d’une colère terrible qui la fit violemment sursauter et lever un regard profondément noir vers le comte de Champagne lorsque celui-ci s’avisa de poser une main qui se voulait réconfortante sur son épaule. Consciente soudain de son silence et de son apathie, elle voulut parler mais les mots moururent dans sa gorge nouée avant qu’elle ne puisse les prononcer, avant même qu’elle ne sache réellement quelles paroles formuler tant elle restait abasourdie par cette nouvelle qu’elle ne réalisa brusquement qu’avec un temps de retard : son père était mort.

« La rumeur commençait à se répandre à la cour quand nous avons quitté la Grande Salle, continua le comte, inconscient sans doute de cette violente prise de conscience qui fit émerger une autre pensée du loin de son esprit confus : elle ignorait ce qu’il en était de Hugues, et à nouveau, son cœur se mit à cogner dans sa poitrine. Votre sœur Elisabeth doit ou va être mise au courant, j’imagine mais elle a le soutien de son époux. Je vais me charger personnellement d’écrire au reste de votre famille, voire à l’instant si vous en exprimez l’envie. Vous pourrez partager votre chagrin avec… Avec ceux qui vous aiment et qui aimaient votre père. Je n’ai pas de nouvelles très précises de votre frère mais elles sont rassurantes, il va bien, ajouta-t-il comme s’il avait deviné les questions de Sybille. »
Celle-ci en fut à peine soulagée. Hugues restait le prisonnier de Thibaud IV et même si elle se doutait que la présence de leur père à ses côtés dans une telle situation n’avait rien de rassurant, il était désormais seul face au vieux comte dont les crimes dont elle ne soupçonnait pourtant pas encore toute l’ampleur étaient connus de tous. La jeune dame se sentit brusquement étouffer à cette pensée et sans un mot, alors qu’elle sentait ses mains trembler, se redressa et quitta la place depuis laquelle elle n’avait pas un instant cessé de fixer le comte dont elle chercha à s’éloigner, comme si ces quelques pas et cette distance pouvaient suffire à la soulager, et à lui permettre de retrouver ses esprits comme le souffle qui menaçait de lui manquer. Mais rien n’y fit, et elle dut tourner le dos à Henri pour lui dissimuler ses traits et son regard où se mirent à briller des larmes qu’elle ne pouvait retenir et qui dessinèrent deux sillons sur ses joues livides malgré les mains tremblantes qu’elle ramena contre son visage alors que la nouvelle s’imposait enfin à elle dans toute son horreur : malgré tous efforts, son père, ce même père qu’elle admirait, auquel elle était bien plus attachée que tout le reste de sa fratrie en dépit de tout ce qu’on pouvait lui reprocher, ce père-là était mort. Elle se mordit la lèvre pour réprimer un sanglot, prendre une profonde inspiration et tenter de reprendre sur elle tout l’empire possible, mais la douleur trop vive à laquelle elle n’était pas préparée qui s’était emparée d’elle l’aurait sans doute aisément emportée si le comte n’avait pas reprit la parole.
« Je suis terriblement navré pour votre perte et je voudrais tellement avoir la capacité de soulager votre chagrin, surtout au vu de la responsabilité évidente de mon propre père… Je suis désolé. »
Redressant brusquement la tête à cette réplique qui alluma en elle une irrépressible flambée de colère, Sybille se retourna vivement vers le jeune homme avec un geste impérieux pour le faire taire, et derrière les larmes silencieuses qui faisaient briller ses yeux, elle vrilla sur lui un regard noir et accusateur. Ce n’était plus Henri, le jeune homme dont elle guettait le regard quelques moments plus tôt et dont la présence lui avait tiré un sourire qu’elle avait face à elle, mais le comte de Champagne, un représentant de la famille qui lui avait ravi son père, et pas n’importe quel représentant : celui duquel elle avait exigé bien des fois la libération des deux captifs, de ce père dont il venait aujourd’hui lui annoncer la mort, et l’entendre se prétendre désolé emporta toutes les barrières qu’elle aurait pu s’imposer.
« Taisez-vous, comte, il est bien trop tard pour être désolé, asséna-t-elle, la voix sourde et vibrante de colère. Je vous avais demandé de les faire les libérer, et… j’avais confiance en vous. Je n’ai que faire de vos excuses, elles ne le ramèneront pas. »

La jeune dame qui se tenait toujours éloignée du comte comme si elle ne pouvait supporter de s’en trouver plus près ne mentait pas, elle avait réellement compté sur le jeune homme, non seulement parce qu’elle le soupçonner de tenir assez à ses projets de mariage pour s’en donner les moyens, mais également car elle manquait de ressources. Elle n’avait guère d’espoir qu’en lui car elle savait que jamais le seigneur d’Amboise ne parviendrait à aucun compromis avec le comte de Blois, et il lui semblait ainsi d’autant plus douloureux d’entendre Henri lui-même lui annoncer cette nouvelle, tout aussi douloureux qu’il lui était insupportable de le voir chercher à s’excuser car à ses yeux, ce qui s’était passé était impardonnable.
« Vous n’écrirez pas un seul mot, je vous défends d’approcher encore ma famille, intima-t-elle en faisant quelques pas sans but dans la pièce, vous et les vôtres en avez déjà bien assez fait ! »
Sybille n’avait pas conscience qu’elle était proprement injuste envers le jeune homme qui n’était pour rien dans les actes de son père, et la colère l’aveuglait trop pour qu’elle puisse se rendre compte qu’il était sincère dans ses excuses. Elle avait été bercée dans l’idée qu’il n’y avait rien de plus sacré que la famille, et que celle-ci constituait un tout aux membres indissociables les uns des autres, pour elle il n’y avait dès lors plus que les Blois et les Amboise, deux blocs opposés entre lesquels venait de se raviver une antique haine qui avait à peine eu le temps de s’apaiser. Sybille connaissait pourtant bien toutes les faiblesses, tous les dangers de ce raisonnement mais pouvait-elle penser autrement alors qu’elle avait perdu un père qu’elle aimait malgré tout et qu’elle avait face à lui le fils de celui qui en était le responsable et qui, non content d’être venu à bout du père, ne semblait pas avoir laissé le fils lui échapper pour autant. L’esprit tourmenté de la jeune dame s’arrêta sur cette pensée, et cessant de faire les cent pas, elle dut se détourner à nouveau du comte de Champagne dont elle avait pourtant jusque là soutenu le regard sans faillir pour lui dissimuler un regain de douleur qu’elle ne pouvait contenir et malgré toute sa colère, elle dut lutter à la fois contre les larmes et les sanglots, car elle n’avait jamais cessé d’espérer revoir Sulpice, et plus les minutes passaient plus la certitude que cet espoir là avait été vain creusait profondément la plaie que le comte avait ouverte. Elle songea à son frère brusquement, et l’idée qu’il puisse en être de même pour lui raviva une dernière fois l’ardente colère qui l’étreignait mais ne pouvait dissimuler l’éclat désespéré de son regard lorsqu’elle leva la tête vers Henri.
« Et Hugues ? reprit-elle, presque agressive. Comment puis-je savoir qu’il ne lui est rien arrivé ? J’exige de pouvoir en être certaine, comte ! »
Elle ne supporterait pas qu’il lui arrive quoi que ce soit, pas après avoir perdu son père, et si dans sa fureur elle avait voulu revenir à grand pas vers son interlocuteur pour se planter face à lui, Sybille ne put aller bien loin et chancela soudain comme si elle subissait déjà le contrecoup de sa propre colère. S’appuyant d’une main contre l’une des colonnes du lit auprès duquel elle se trouvait à nouveau, elle ferma un instant les yeux et inspira, malgré les larmes qui s’étaient remise à couler, mais cette faiblesse-là ne dura qu’un court instant, car elle avait bien conscience qu’elle n’était pas seule et elle refusait de se sentir épiée par un jeune homme face auquel elle s’était appliquée à toujours rester indéchiffrable. Elle redressa doucement la tête pour planter son regard dans celui d’Henri.  
« Laissez-moi, sortez, souffla-t-elle. »
Elle resta immobile, et ne cessa de le fixer, même si ce n’était pas lui qu’elle semblait voir, mais un décor bien différent de celui qui les entourait. La jeune dame ne pouvait lutter contre ses propres pensées qui lui représentaient son père, s’éteignant dans une cellule, lui qui avait défié la mort d’innombrables fois sur les champs de bataille et avait toujours réussi à repousser ses assauts pourtant insistants, image terriblement inappropriée au seigneur d’Amboise. Cette idée la frappa brusquement et saisie d’un terrible doute, Sybille fronça les sourcils. Comment son père pouvait-il être mort, alors de cette façon, alors qu’il était en pleine santé au moment de son arrestation et paraissait avoir encore des siècles de batailles à vivre ? Saisie d’un terrible doute, elle se redressa et revint soudain à la réalité, alors que le comte de Champagne s’apprêtait à sortir.
« Attendez, lança-t-elle pour l’arrêter. Comment est-ce arrivé ? »
Elle se détacha du lit sur lequel elle avait trouvé appui, raide face à lui.
« Il ne se serait jamais laissé mourir dans une cellule, encore moins entre les mains du comte Thibaud, reprit-elle. Comment mon père est-il mort ? »
Son ton et son regard étaient sans appel. Sybille voulait entendre la vérité, quand bien même elle redoutait le pire.
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Henri de Champagne
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Comment Henri de Champagne aurait-il pu mieux préparer la dame de Déols à entendre la nouvelle qu'il avait à lui transmettre ? Y avait-il une bonne façon de dire ces teribles mots alors même que son interlocuteur ne désirait pas les écouter et luttait de toutes ses forces pour infléchir un destin inéluctable sur lequel il n'avait aucune prise ? Le jeune homme n'avait guère l'habitude de se faire le porteur des tristes annonces mais il eut soudain la certitude, en prononçant la phrase qui allait faire basculer la journée tranquille et joyeuse de Sybille de Déols dans la tristesse et le deuil que la réponse à toutes ces questions était négative. Quelle que soit la manière dont on apprend la mort d'un proche auquel on a tenu plus qu'à soi-même, surtout si le proche en question était tout pour soi, au moins durant plusieurs années de son existence comme l'est un père, qu'on soit présent pour l'assister ou qu'on soit obligé de le regarder mourir loin de tout, qu'on s'attende à sa fin ou non, la prise de conscience que l'on est désormais seul est toujours aussi douloureuse. De l'une de ces douleurs qui laisse un trou béant dans le cœur et qu'on ne peut ni mesurer ni apaiser. S'il n'avait su comment formuler les choses, Henri savait fort bien en revanche quelle genre de réaction allait avoir Sybille de Déols et c'était bien la raison pour laquelle il avait tant tardé à aller lui parler, sachant qu'une fois que la conversation serait engagée avec elle, elle ne conduirait qu'à ce seul et même résultat, qu'à percer ce trou dans son cœur. Deux ans auparavant pourtant, c'était lui qui était allé jusqu'à Châteauroux pour dire à Sybille qu'Abo avait laissé sa vie dans le désert de la terre sainte et qu'il avait rejoint le royaume des cieux mais elle n'était alors qu'une épouse privée de son mari depuis deux ans, mariée jeune, sans connaître l'amour, elle avait accueilli la nouvelle avec plus d'inquiétude sur les intentions du comte de Champagne que de tristesse à l'idée qu'Abo ne reviendrait plus partager sa couche. Mais la situation avait considérablement changé. Elle perdait désormais un père auquel elle tenait véritablement comme il l'avait compris à force de l'entendre lui demander d'obtenir sa libération mais, et c'était peut-être là le plus douloureux pour Henri, il avait lui-même changé durant ces mois, à force de lui rendre visite. Il s'était assez attaché à elle pour craindre la violence de sa réaction et s'inquiéter de sa souffrance. Il s'était assez attaché à elle pour détester l'idée de passer désormais à ses yeux comme le fils du meurtrier, comme l'ennemi lui-même. Mais là encore, il était impuissant devant le cours des événements, il n'avait plus qu'à subir en tentant uniquement de lui apporter un soutien dont elle ne voudrait pas. Et lorsque les yeux du jeune homme se posèrent sur le visage de Sybille, brusquement crispé dans une expression de surprise, il se prit à songer que son sourire ou sa joie quelques temps auparavant n'avaient été que songes ou avaient appartenu à une toute autre jeune femme, une jeune femme qu'il aurait aimé connaître mais il n'en avait eu le loisir car il avait été obligé de la blesser et de lui arracher ce masque avec d'autant plus de violence qu'il devenait par là-même responsable du décès qu'elle déplorait, lui qui aurait tout donné pour ne plus avoir de rapport avec les morts qui entouraient la dame de Déols. Pour ne pas se sentir responsable de sa souffrance pour la perte de celui qu'elle chérissait.

Devant lui, la jeune femme avait pâli comme si la mort, armée de sa faux, avait surgi entre eux, comme si, à parler d'elle, il l'avait invoquée pour emporter la dame à son tour. Mais à part la crispation de ses traits, devenus plus durs, tels ceux d'une statue de marbre, de ces gisants que l'on trouve sur les tombeaux auxquels elle avait emprunté la couleur et la fixité, à défaut d'avoir leur expression apaisée, elle ne marquait aucune réaction notable et un court instant, Henri eut l'impression que la scène de l'annonce de la mort d'Abo se répétait. Mais il n'était pas assez idiot pour le penser réellement, c'était là le contrecoup du choc qu'il venait de lui infliger et l'expression du désespoir le plus intense, toutes ses propres précautions avaient été superflues et vaines, il se maudit d'avoir pu penser que de la mener à l'écart, que de lui demander de s'asseoir auraient pu changer quoi que ce soit, tout cela paraissait désormais être du plus grand ridicule. Néanmoins, il l'obligea, avec fermeté, à aller se reposer sur son lit car il ne pouvait rien faire d'autre pour espérer l'apaiser. Il aurait voulu pouvoir lui donner des raisons qui auraient expliqué la mort de Sulpice d'Amboise mais au lieu de cela, il continua à lui donner les nouvelles qu'il avait apprises et auxquelles elle avait le droit, se rendant douloureusement compte qu'il rendait la situation encore plus réelle, qu'à force de raconter, il l'obligeait à lui faire face et à se saisir de toute l'horreur de la situation. Henri ne pensait pourtant pas avoir le choix même si parler de Chaumont ou du soutien qu'elle pourrait obtenir de sa sœur n'étaient peut-être au final que des solutions pour se dissimuler lui-même derrière des faits bruts, se faire oublier de sa colère. En fait de colère, Sybille restait muette, se contentant de le fixer de ses grands yeux bleus encore secs, finissant par inquiéter le chevalier qui se tenait toujours droit devant elle, presque stoïque. Un court moment, il pensa qu'il l'avait peut-être perdue définitivement, que la mort, à défaut de se saisir de son âme et de lui prendre la main pour s'enfuir avec elle s'était contenté de faucher son esprit, à l'image de son oncle Guillaume de Sully qui vivait enfermé dans un monde qui n'appartenait qu'à lui et que l'on disait touché par la grâce du Seigneur alors que seul le diable pouvait laisser une enveloppe terrestre sans plus personne pour la commander. Mais quand il s'approcha d'elle pour lui serrer une courte seconde l'épaule, dans un geste qui se voulait de réconfort, elle sembla se réveiller de son profond songe qui l'avait amenée à des lieues de là et lui jeta un regard si noir et si haineux qu'il ne put que reculer avec une certaine précipitation, se maudissant de s'être permis de la toucher mais aussi rassuré de la voir éprouver de colère qui prouvait qu'elle était toujours dans ce monde des vivants, aussi douloureux était-il.

Brusquement la dame de Déols se redressa sur son séant et fit quelques pas, comme pour s'éloigner du comte, comme si cela pouvait lui permettre de remettre en ordre ses idées. Pouvait-on seulement fuir la vérité en même temps que celui qui nous la mettait sous les yeux ? Certes pas et Henri, le cœur serré, la vit se détourner pour se couvrir le visage de ses mains, cherchant sans doute à lui cacher les pleurs qui menaçaient de l'emporter. Il voulut se rapprocher d'elle, avoir un geste protecteur pour éloigner ce chagrin qui s'emparait d'elle mais il demeura là où il se trouvait, les traits toujours aussi désolés, sans un mouvement par peur de la voir partir tout à fait, sachant très bien qu'elle n'accepterait plus jamais rien de sa part. Qui était-il de toute façon pour la consoler ? Un ami ou le parrain de son fils ? Ce n'était là que foutaises, il n'était plus rien sinon le fils de Thibaud IV de Blois, l'homme qui avait défié Louis VII et qui avait tué Sulpice d'Amboise de ses propres mains. Cette pensée le rendit malade et il baissa le regard pour le poser sur ses pieds, toujours aussi immobiles alors qu'ils auraient dû s'éloigner de là, qu'ils auraient dû le conduire vers son chemin de pénitence pour tenter de faire pardonner les péchés de celui qui lui avait donné le jour en même temps que le sang dans ses veines. Mais les pieds étaient plantés dans ce sol comme s'ils étaient mus par une autre force qui savait fort bien que le chemin de croix était là, dans la chambre de Sybille de Déols qu'il se refusait de voir pleurer ou de se laisser aller à une faiblesse qu'il ne lui connaissait pas. Il voulut présenter ses excuses, lui faire entendre à quel point il était navré de la situation mais cela n'eut pour seul résultat que de faire relever la tête à la jeune femme qui se retourna brusquement vers lui avec un geste impérieux pour le faire taire. Malgré les larmes qui menaçaient de déborder de ses yeux, elle s'était visiblement laissée emporter par une flambée de colère qui devait la soulager de ses blessures, comme si c'était là le seul sentiment qui pouvait apaiser les plaies et les bander. Par-delà la rage, c'était sans doute lui qu'elle voulait frapper à son tour et dès les premières paroles qu'elle lui adressa, cette intuition se confirma.
- Taisez-vous, comte, il est bien trop tard pour être désolé, asséna-t-elle, la voix sourde, le regard accusateur, je vous avais demandé de les faire les libérer et… J’avais confiance en vous. Je n’ai que faire de vos excuses, elles ne le ramèneront pas.
Henri n'avait pas besoin qu'on lui demande de garder le silence, il n'avait de toute façon plus rien à ajouter, elle n'en aurait pas entendu davantage. Il aurait pu songer qu'il n'était jamais trop tard pour être désolé et présenter des excuses mais il avait bien conscience que ce qui venait de se passer était impardonnable. Il n'avait pas été digne de la confiance abusive qu'elle avait apparemment placé en lui, sans se rendre compte qu'il ne lui avait jamais rien promis en ce sens. Le comte connaissait assez l'inflexibilité de son père pour s'en garder et s'il avait évoqué le sujet avec Thibaud IV, ce n'était que dans le but de favoriser ses projets matrimoniaux dont le vieil homme n'avait que faire. Thibaud voulait régler cette histoire seul, c'était là un argument contre lequel on ne pouvait rien. Il n'avait jamais écouté son fils quand le sujet de ses prisonniers venait au fil de la conversation, il ignorait même les réprimandes de l'abbé de Clairvaux alors que celui-ci lui agitait le spectre d'une damnation éternelle, c'était dire à quel point la haine qu'on lisait dans ses yeux quand on parlait du seigneur d'Amboise brûlait de manière intense. Mais il serait donc puni par là où il avait péché et il paierait le prix de ses tortures par un châtiment éternel. Cette pensée, loin de rasséréner son aîné, ne le rendit que plus nauséeux encore.

- Vous n'écrirez pas un seul mot, je vous défends d'approcher encore ma famille, lui ordonna-t-elle en faisant quelques pas sans but dans la pièce, comme si le choc avait été assez violent pour lui faire perdre ses esprits, vous et les vôtres en avez déjà bien assez fait !
Henri s'était promis de rester calme malgré toutes les réactions que Sybille pouvait bien avoir car il savait fort bien à quel point la douleur pouvait rendre injuste et aveuglait même les plus clairvoyants mais cette simple phrase aurait pu suffire à le faire sortir de ses gonds s'il n'était pas cloué sur place, souffrant en son âme et en son corps des reproches qui lui étaient adressés et qu'il ne méritait pas. La jeune dame l'avait rejeté sans nulle pitié vers ce clan des Blois, l'associant sans hésiter à ce père dont il devait porter la responsabilité des actions, faisant là preuve qu'elle avait bien retenu la leçon qu'on leur avait inculqué depuis leurs plus jeunes années, à savoir que l'intérêt de la famille passe avant toute chose et que tout ceux qui ne respecteraient pas cet adage ne seraient que des traîtres à leur sang, indignes de porter leur bannière et leur nom transmis par les ancêtres, déchus de leurs droits comme de leur honneur. Derrière cette colère, la jeune femme semblait surtout repousser avec horreur toute l'amitié qu'ils avaient bien pu éprouver l'un pour l'autre, ce lien qui s'était créé après le retour de la croisade pièce par pièce au fur et à mesure des visites du comte de Champagne, effacer la gentillesse dont elle avait fait preuve à son égard et qui s'était matérialisé par ce sourire qu'elle lui avait adressé plusieurs minutes auparavant, comme si elle ne pouvait désormais que s'en vouloir de s'être laissée aller à cette faiblesse honteuse. Le jeune homme releva les yeux sur son interlocutrice, troublée et lut l'éclat de la rage qu'elle abritait dans son regard. Pour la première fois depuis qu'ils avaient fait connaissance, il la détesta de tout son cœur. Il la détestait autant qu'il se détestait lui-même en cet instant car après tout, il n'aurait pas du tant souffrir avec elle, il n'avait que faire de la disparition du seigneur d'Amboise qui avait payé le prix de son obstination et qu'en vertu de son attachement familial, il aurait dû être en train de célébrer. Mais la haine qu'il éprouvait envers la dame de Déols ne dura pas car il comprenait sa colère envers lui, il s'y attendait, en tant que représentant de tout ce qu'elle détestait, en tant que sinistre messager venu lui annoncer la mort de celui qu'elle avait toujours adoré et admiré. Et il devait bien s'avouer à lui-même, lâchement, qu'il était soulagé de ne pas avoir à écrire aux autres membres de la famille d'Amboise. En face de lui, ignorant bien les pensées agitées qui se débattaient derrière le crâne du comte de Champagne, Sybille avait cessé de faire les cent pas, tentant de dissimuler, sans grand succès, un regain de douleur qu'elle transforma une nouvelle fois en rage qui trouvait en Henri le parfait défouloir :
- Et Hugues ? Comment puis-je savoir qu'il ne lui est rien arrivé ? J'exige de pouvoir en être certaine, comte !
Mais derrière son agressivité, ses ordres, on ne voyait là que désespoir et souffrance et ce furent eux qui blessèrent Henri, le frappèrent et le poussèrent à répondre, d'une voix encore calme et assurée, bien éloignée de ce qu'il ressentait à cet instant précis :
- Vous recevrez probablement un courrier de la part de l'abbé de Clairvaux mais sa vie n'est en aucune façon menacée, ma propre certitude est faite.
C'était forcément le cas puisque Thibaud IV voudrait à tout prix conserver le seigneur d'Amboise entre ses mains et non se le faire ravir une seconde fois mais Henri ne préféra pas mettre en avant ce terrible argument.

De toute façon, Sybille de Déols, emportée dans sa fureur, ne paraissait ne pas l'écouter ou plutôt ne pas parvenir à saisir ce qu'il lui disait. Elle aurait voulu se rapprocher d'Henri, lui faire face et le défier mais elle chancela, sous le regard inquiet du comte qui eut un mouvement pour lui venir en aide, s'interrompant bien vite en constatant qu'elle s'appuyait contre l'une des colonnes du lit et qu'elle ne pouvait pas s'écrouler. Même la colère qui avait été un pilier pour la pousser à tenir debout, à rester digne ne suffisait plus et ce constat serra le cœur du jeune homme. Il crut voir briller des larmes sur ses joues livides mais par souci de l'épargner et pour ne pas la mettre mal à l'aise, il détourna les yeux, plongeant son regard sur le baldaquin d'un vert profond du lit. Mais un souffle lui fit relever la tête :
- Laissez-moi, sortez.
Il crut avoir rêvé tant la voix n'était qu'un murmure mais l'expression vide de son visage, la fixité de ses prunelles lui confirmèrent qu'elle venait réellement de lui ordonner de quitter la pièce. Sans doute aurait-il dû se montrer soulagé de pouvoir enfin fuir cette terrible confrontation mais ses sentiments étaient trop confus pour pouvoir en dégager l'un avec certitude. Pouvait-il vraiment la laisser seule pour faire face à son deuil ? Sans doute, était-ce le mieux pour elle, en effet, elle pourrait ainsi laisser libre cours à son chagrin sans une présence qu'elle haïssait. Pouvait-il partir, ainsi, sans un mot de plus ? Il hésita quelques instants mais ne trouvant pas ce qu'il pouvait lui dire, il tourna les talons, soucieux, avec la forte impression de sceller la haine réciproque de leurs familles, mesurant avec douleur l'espace qui le séparait de la porte. Il avait la main sur la poignée lorsqu'il entendit à nouveau la voix de la jeune femme cette fois-ci emplie de perplexité et ce qu'elle lui demanda suffit à stopper le cœur du comte dans sa poitrine :
- Attendez ! Comment est-ce arrivé ? Il ne se serait jamais laissé mourir dans une cellule, encore moins entre les mains du comte Thibaud. Comment mon père est-il mort ?
Henri aurait préféré qu'elle ne retrouvât jamais ses esprits. Il eut une seconde d'absence, se demandant s'il devait se retourner ou non mais il s'exécuta pour trouver non pas l'enfant qui pleurait son père, perdue et vulnérable mais Sybille de Déols, le menton haut et fier, tout aussi butée que celui qui venait de mourir. Ses pires craintes venaient de se réaliser, lui qui avait soigneusement éviter le sujet lorsqu'il lui avait tout expliqué. Comment lui dire la vérité ? Comment avouer à une fille que son père n'était pas mort sur un champ de bataille, couvert de gloire mais dans un souterrain en hurlant de douleur sous les mains d'un bourreau ? Cela ne changeait pas grand chose au vide que son absence causait mais la certitude que Sulpice d'Amboise avait souffert le martyre avant d'être visité par la mort avait de quoi augmenter la douleur de la jeune femme. Néanmoins, Henri ne pensa pas à lui mentir car elle ne méritait pas cela, sans compter qu'elle l'apprendrait sans doute plus tard, d'une autre bouche et cela ferait encore davantage de ravages.

Un coup donné au battant de la porte les fit violemment sursauter et crispa encore la situation. Le comte de Champagne quitta la dame de Déols du regard une courte seconde pour ouvrir à une petite servante qui portait des draps et qui parut fort surprise de se trouver nez à nez avec un homme.
- Pardon de déranger mais..., commença-t-elle avec un accent parisien très prononcé.
- Je vais te demander de partir, la coupa Henri avec fermeté, nous sommes occupés, tu repasseras quand la dame de Déols t'en aura donné l'ordre.
La servante hocha la tête, rendue muette par l'assurance dégagée par le comte et s'apprêtait à quitter la place quand le jeune homme rajouta à mi-voix :
- Et fais venir la dame Élisabeth d'Alluyes, dis-lui que sa sœur a besoin de son soutien.
Il ne prit pas la peine de savoir si elle avait tout saisi de son ordre et claquant la porte derrière lui, il se retourna à nouveau vers Sybille tout en songeant que la fuite aurait été plus aisée. L'expression du visage de la dame le troubla et toute sa belle assurance s'envola soudain, avec la certitude qu'il allait encore davantage la blesser et il avait la nette impression de la frapper comme s'il levait réellement la main sur elle. Il aurait voulu être capable de couper sa langue pour ne plus avoir à parler mais elle fronça les sourcils et il lui parut nécessaire de se jeter à l'eau, même s'il savait fort bien qu'il allait s'y noyer.
- Tenez-vous vraiment à le savoir, ma dame ? Souffla-t-il toutefois, dans une dernière tentative pour lui épargner l'horreur.
Il aurait été si facile de lui annoncer que Sulpice avait succombé à une maladie quelconque dans sa cellule ou même qu'il l'ignorait mais il était lié par son honneur de chevalier, il était lié par cette affection – car il s'agissait bien de cela – qu'il lui vouait et de nouveau, il la détesta, elle, pour le mettre dans cette situation, autant qu'il détesta son père ou même Bernard pour n'avoir rien fait. Tous coupables, clamait le visage de Sybille, juge impitoyable qui jamais ne le laisserait oublier cet instant.
- Il..., débuta le jeune homme avant de marquer un moment de pause, il est mort lors d'une séance de torture pendant laquelle on cherchait à lui arracher une promesse pour la forteresse de Chaumont.
Il ne s'y était jamais rendu et ignorait totalement si ce donjon valait toute la peine qu'on s'était donné pour le récupérer, toutes les larmes, la douleur et le sang qu'il leur avait coûté à tous. Henri aurait voulu s'arrêter là mais la jeune femme lui demanda de poursuivre, voulant tout connaître jusqu'au moindre détail sordide.
- On a placé son corps sur un brasier, termina le comte de Champagne d'une traite, comme pour se débarrasser de cette explication, les flammes ont léché son corps, il a dû succomber d'épuisement après sa longue détention.
Il avait dû s'arracher ces mots de la bouche, contre toute sa volonté qui lui commandait de les garder au fond de la gorge mais ils avaient fini par sortir causer tous leurs dégâts comme si à évoquer cette forme terrible de torture, on la faisait subir à son tour. Et en effet, Henri qui n'avait pas quitté la jeune femme du regard vit distinctement se former la scène dans l'éclat des yeux bleus, cette scène insupportable qui rien ni personne ne pourrait jamais effacer. Même quand on croit être capable de passer à autre chose, de pardonner, toujours les images de souffrance pure reviennent à l'esprit et on sait qu'on n'en sera pas capable. C'était là encore plus terrible que Sybille était totalement impuissante. Tout était déjà terminé. Depuis longtemps.
Mais quand les morts s'en vont, emportant leur lot de scènes horribles, leurs cris d'agonie et leurs carcasses tordues de douleur, il reste encore et toujours les vivants qui restent derrière eux, la tête emplie de questions et d'angoisses. Le visage impassible mais les traits crispés, campé fermement sur ses jambes, Henri de Champagne savait fort bien, lui, que rien n'était terminé et le pire restait à venir.
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MessageSujet: Re: [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre   [Eté 1151] N'annoncez pas vous-même une méchante nouvelle à celui qui peut en être troublé, laissez-la annoncer par un autre EmptyMer 3 Sep - 0:00

Il ne pouvait y avoir nul mot, nul geste assez réconfortant pour apaiser la peine de la dame de Déols, pas plus que la colère à laquelle elle s’était laissée allée ne pouvait lui faire oublier la plaie béante qui s’était ouverte dans sa poitrine et faisait couler dans ses veines, et même tout son être une douleur lancinante qui l’étouffait et donnait à ses moindres mouvements, à chacune de ses paroles des accents désespérés. Il semblait pourtant vaguement à Sybille et au peu de lucidité qui lui restait que le seul échappatoire à cette douleur se trouvait dans la rage et les regards noirs qu’elle lançait au comte de Champagne car dès lors qu’elle s’apaisait ou faiblissait, c’était alors un vide effroyable qui s’emparait d’elle, un vide à la mesure de celui qu’avait brusquement creusé dans son existence la nouvelle de la mort de son père. Il y avait certes bien longtemps qu’elle ne l’avait pas revu, et leur dernière rencontre datait même de bien avant l’arrestation de ce dernier, mais même en son absence, l’ombre de Sulpice planait sur la vie de sa fille, non pas menaçante comme l’auraient pensé beaucoup de ceux qui connaissaient le seigneur d’Amboise, mais bien au contraire, comme un repère auquel elle avait toujours pu se fier lorsque le besoin s’en faisait sentir. Rares avaient été les moments où elle avait confié à son père les questions qu’elle se posait, les évènements qui la tourmentaient, et les occasions s’étaient faites encore moins fréquentes depuis son mariage et son départ pour Châteauroux. Mais parfois, lorsque qu’une réponse, une solution à un quelconque problème lui faisait défaut, il suffisait à Sybille de songer à la façon dont il aurait réagi s’il s’était trouvé dans la même situation, et de calquer ou non son comportement sur celui de son terrible géniteur dont elle connaissait certes parfaitement les travers, mais également les mérites, même si elle était bien la seule à les voir. Pour l’admiration qu’elle lui vouait en vertu de ceux-ci, parce qu’elle savait qu’elle pouvait toujours se tourner vers lui en dernier recours, même sans qu’il en ait connaissance, par le simple mais puissant sentiment d’appartenir à cette famille d’Amboise et la fierté qu’elle en tirait, Sulpice n’était ainsi jamais bien loin des pensées de sa fille aînée à laquelle il avait légué l’opiniâtreté et l’indépendance qui la guidaient dans nombre de ses actions, et cette présence dont il n’avait certainement pas lui-même eu conscience rendait proprement insupportable l’idée de sa mort. Sybille ne s’en sentait pas plus ou moins seule – elle avait eu plus que le temps d’apprivoiser la solitude depuis le départ d’Abo pour la terre sainte et Sulpice n’était pas de ceux dont l’absence inspirait ce genre de sensation – mais il manquait brusquement quelque chose à son existence. Un manque qu’elle ressentait avec d’autant plus de violence qu’elle ne s’attendait pas à une telle nouvelle, et auquel s’ajoutait, mordante, la douleur de n’avoir rien pu faire pour son père, ou pire encore, celle d’avoir échoué à le ramener.    

Ce n’était pourtant pas la certitude d’avoir failli à une promesse qu’elle s’était pourtant faite dès que la nouvelle de l’emprisonnement de son frère et de son père avait été connue qui étouffait Sybille. La culpabilité qu’elle aurait pu ressentir avait cédé le pas à la colère, et soudain, à une inquiétude capable de lui rendre un moment ses esprits car elle concernait le sort de son jeune frère Hugues. La seule pensée qu’il était encore détenu là où leur père avait trépassé suffit à lui faire oublier un instant tout le reste et à l’interrompre dans sa marche désordonnée et sans but au travers de la pièce. Le comte lui avait déjà affirmé qu’il allait bien, mais elle avait soudain la sordide impression que les lieux qui lui avaient ôté son père pouvaient également lui prendre son frère, qu’elle chérissait tout autant que Sulpice, si ce n’est plus.
« Vous recevrez probablement un courrier de la part de l'abbé de Clairvaux mais sa vie n'est en aucune façon menacée, ma propre certitude est faite, lui affirma Henri alors qu’elle l’interrogeait sur le sort du jeune garçon. »
Sybille le fixa un court moment comme pour déceler sur ses traits une trace de mensonge, d’incertitude, ou au contraire pour y puiser l’assurance qu’il ne s’agissait pas seulement là de quelques mots de circonstance, mais la colère et la douleur aveuglaient trop la jeune dame pour lui permettre de concevoir la moindre certitude. Elle d’ordinaire si assurée, dont les avis étaient nets, tranchés, semblait ne pas saisir entièrement ce que lui disait le comte, comme si elle avait été trop plongée dans le gouffre tourmenté de ses propres pensées pour reprendre véritablement pied dans une réalité toute aussi sombre que les songes qui l’agitaient. Alors qu’elle cherchait vainement à se convaincre qu’elle pouvait se fier au jeune homme, celui-là là même en qui elle avait déjà placé bien trop de confiance, elle ne put s’empêcher d’être frappée par un souvenir, celui d’une lettre qu’elle avait reçue de Hugues alors que, pour la première fois, il s’apprêtait à suivre leur père en campagne et dans laquelle il lui narrait avec enthousiasme les préparatifs, l’agitation qu’elle connaissait fort bien pour les avoir vécus durant toute son enfance mais qu’elle avait redécouverts au travers des mots de son frère. Si elle avait deviné l’angoisse des premières batailles, et surtout, celle de décevoir l’exigeant maître qu’avait été Sulpice, Sybille avait avant tout saisi la fierté qu’il ressentait à l’idée d’aller prendre la suite de leur père, et de livrer à ses côtés les combats auxquels on le préparait depuis toujours. Hugues était parti avec l’enthousiasme des jeunes chevaliers, mais loin de trouver la gloire promise, cet enthousiasme ne l’avait conduit qu’à payer le misérable prix des inimitiés de son père, un prix si lourd que le seigneur d’Amboise lui-même n’avait pu le supporter, condamnant son fils à en porter seul le poids. La colère qui l’avait supportée jusque là céda de nouveau le pas devant l’angoisse et le chagrin à cette pensée, si bien que la dame de Déols dut renoncer à s’approcher du comte de Champagne et se rattraper à la colonne d’ébène du lit à baldaquin qui se trouvait à ses côtés, en un moment de faiblesse qui la poussa à vouloir se trouver seule, à se débarrasser d’une présence qui l’empêchait de sombrer tout à fait, car du loin de son agitation, elle ne pouvait supporter l’idée de s’effondrer devant témoin, et encore moins lorsque le témoin en question s’avérait être le digne représentant de la famille qui avait sur les mains le sang de son père.

Sybille aurait sans doute dû en rester là, mettre un terme à cette confrontation et laisser Henri tourner les talons comme elle le lui avait ordonné dans un souffle pour pleurer seule la mort de son père et surtout, se donner le temps de se reprendre et de trouver un moyen de s’assurer que Hugues ne subirait pas le même sort, quoi qu’elle ignorât exactement quel avait été celui de Sulpice. Mais cette pensée malheureuse la frappa, lui permit de réaliser le silence que le comte avait gardé sur ce point un silence qui n’augurait rien de bon, mais la poussa pourtant à l’empêcher de sortir et à se redresser pour lui faire face. Sans en avoir réellement conscience, alors qu’elle le dévisageait avec toute la fierté et la fermeté dont elle était encore capable, Sybille cherchait sans doute sur son visage, dans ses yeux bruns qu’elle avait soutenus tant de fois simplement de quoi effacer l’horrible soupçon qui venait de s’emparer d’elle et ne rendait toute cette situation que plus odieuse. La réponse qu’elle exigeait de lui, et qu’elle redoutait, elle souhaitait de tout cœur ne pas l’entendre mais n’en laissa rien paraître car il lui semblait qu’elle se devait de tout savoir, qu’elle ne pouvait se complaire dans une facile ignorance ni s’épargner quoi que ce soit alors que son père était mort et que son frère restait le prisonnier du vieux comte de Blois. Elle leur devait bien cela, elle dont toutes les démarches pour les sortir de leur geôle avaient échouées, aussi se dressa-t-elle fièrement face à Henri, en ravalant les larmes qui avaient creusé deux sillons sur ses joues pâles malgré la terrible crainte qui lui lacérait le cœur, et à laquelle elle ne trouvait nulle réponse rassurante sur les traits fermés du jeune homme. Ce dernier ne put immédiatement répondre aux questions de la dame de Déols car brusquement, trois coups frappés à l’épaisse porte coupèrent court à la conversation. Raide, Sybille se détourna légèrement afin de dissimuler ses traits tendus au nouveau venu, mais lorsque le comte de Champagne ouvrit la porte, il ne se retrouva face qu’à une servante qui s’était figée et balbutiait quelques mots d’excuse.
« Pardon de déranger mais…
- Je vais te demander de partir, l’interrompit Henri, nous sommes occupés, tu repasseras quand la dame de Déols t'en aura donné l'ordre. »
La dame en question avait dardé deux yeux peu amènes sur la servante mais, restée immobile à côté du lit, elle n’entendit pas les derniers mots que lui glissa le comte et l’observa s’éloigner sans prononcer un seul mot ni réellement la voir, de sorte que lorsque la porte claqua dans le silence pesant qui s’était de nouveau installé, c’est de nouveau le comte qu’elle dévisageait. Il hésita, mais d’un regard, elle lui fit comprendre qu’il n’était plus temps de se dérober, il avait commencé à parler, il fallait maintenant qu’il achève, d’autant qu’elle ne trouvait dans son silence qu’un nouveau prétexte à la terrible inquiétude qui l’avait envahie.
« Tenez-vous vraiment à le savoir, ma dame ? souffla le jeune homme. »
Elle serra les poings, mais hocha la tête, de plus en plus raide, comme si elle se préparait déjà à accuser le coup qu’elle redoutait.  
« Il... il est mort lors d'une séance de torture pendant laquelle on cherchait à lui arracher une promesse pour la forteresse de Chaumont. »
A ces mots, Sybille blêmit violemment et d’une main, elle alla de nouveau chercher appui sur l’une des colonnes du lit, vacillant comme si le comte ne s’était pas contenté de mots mais l’avait réellement frappée en lui confirmant que ses pires craintes n’étaient pas vaines, que c’était bien par la torture qu’on avait eu raison de son père. Elle s’attendait à une telle révélation, et pourtant elle eut brusquement la sensation qu’elle suffoquait tandis que son cœur battait durement dans sa poitrine une mesure douloureuse. Il lui sembla qu’elle ne pourrait en supporter plus, qu’elle en savait déjà bien trop, pourtant elle fit signe à Henri de poursuivre, comme si une infime partie d’elle-même ne parvenait à croire à ces quelques mots, nourrissait encore l’espoir d’une sordide farce, d’un cauchemar dont elle finirait par s’éveiller, car c’est toujours alors que tout semble perdu que la nuit se dissipe et rend aux esprits assaillis de sombres rêves leur liberté. Mais toute cette scène était bien réelle, et les mots du jeune comte de Champagne le lui rappelèrent brusquement.
« On a placé son corps sur un brasier, acheva-t-il donc, les flammes ont léché son corps, il a dû succomber d'épuisement après sa longue détention. »

Il n’y eut d’abord pour écho à ces quelques paroles qu’un terrible silence durant lequel Sybille, horrifiée, ne put empêcher son esprit confus lui représenter son père attaché à un brasier ou de lui faire entendre ses hurlements de douleur, déformant définitivement le souvenir des exclamations de rage qu’elle l’avait parfois entendu pousser. Les traits durs mais sereins qu’elle lui avait toujours vus ne lui apparurent soudain plus que déformés par la douleur, dans l’obscurité d’une cave qui l’avait ainsi privé de l’éclat glorieux du jour sous lequel on lui avait raconté, enfant, que chaque chevalier et grand seigneur trouvait la mort. La gorge nouée non seulement de peine, mais aussi de colère, de dégoût, Sybille mit ainsi quelques longues secondes à se souvenir de l’endroit où elle se trouvait, à voir réapparaître sous ses yeux non pas les cachots de la forteresse de Châteaudun et le corps supplicié de son père mais ses propres appartements et surtout, la silhouette du comte sur laquelle son regard horrifié était resté fixé sans pour autant le voir. Pourtant il était bien là, le fils de l’homme qui avait tué son père de la plus misérable des manières, et cette pensée la poussa brusquement à se redresser.
« Monstre… souffla-t-elle en reculant d’un pas, s’éloignant maladroitement d’Henri, vous êtes des monstres ! »
Sa voix qui n’était d’abord qu’un souffle à peine audible avait soudain résonné avec plus de fermeté, trahissant toute l’horreur qu’elle ressentait, vibrant de la rage qui menaçait de l’emporter, si bien que Sybille se détourna brusquement du comte, en proie à une violente agitation, signe qu’elle luttait âprement contre la colère et tout ce qui menaçait de la faire exploser. Elle aurait voulu rester digne, ne rien montrer de toutes ces douloureuses émotions qui la tourmentaient, mais le coup était trop rude et ni les mains qu’elle plaqua un instant sur son visage, ni les quelques pas désordonnés et peu assurés qu’elle fit dans la pièce ne suffirent à l’apaiser. Encore et encore, elle imaginait les bourreaux, les hurlements, son père dont elle avait une vision si fière, si glorieuse, impuissant et livré à leurs mains alors qu’on tentait de lui arracher des mots que jamais il ne pourrait prononcer car pour rien au monde il n’aurait abandonné l’une de ses forteresses. Ces visions, insupportables, arrêtèrent la jeune femme dans son errance et elle se tourna brusquement vers Henri, comme si lui lancer un regard noir, verser sur lui toute la rage qui l’étouffait, l’accuser de tous ses maux allait pouvoir la soulager et lui rendre ses esprits.
« Comment a-t-il osé ? siffla-t-elle, en s’emportant de plus en plus visiblement. Ce… ce n’est pas digne d’un seigneur ! »
Sans doute était-elle de mauvaise fois, car elle n’ignorait pas que Sulpice d’Amboise avait fait ses propres prisonniers en son temps, et qu’il ne s’était certainement pas comporté de façon beaucoup plus honorable, mais peu importait à Sybille, que la colère aveuglait désormais bien trop, ne serait-ce que pour se rendre compte à quel point elle était injuste envers le jeune comte. Elle ne voyait alors en lui plus que les Blois, cette famille honnie qu’on lui avait appris à haïr.
« N’êtes-vous donc tous que des meurtriers ? fulminait-elle, car la mort de Loches lui était soudain vaguement revenue à l’esprit. Est-ce ainsi que vous procédez tous ? »
A nouveau, la dame de Déols s’était redressée, et soutenue par la rage, elle fit quelques pas vers Henri, tout en luttant contre les larmes qui emplissaient ses yeux et menaçaient de lui échapper à tout instant, poussées par la douleur et l’angoisse qui agitaient Sybille. Elle pointa un doigt accusateur sur le jeune homme, tout en plantant dans ses yeux un regard qui se voulait assassin mais la trahissait sans doute.
« Ne me parlez plus jamais de mariage avec votre frère, ne vous avisez plus jamais d’approcher Châteauroux, comte, asséna-t-elle durement, je ne veux plus rien avoir à faire avec vous ou votre famille ! Pas après cela… »
Elle aurait voulu soutenir son regard, lui montrer à quel point elle pensait ces paroles, mais les images qui ne cessaient de la hanter, la certitude que son père était bien mort dans des circonstances misérables, la souvenir de son frère toujours enfermé eurent raison de ses dernières forces, si bien que brusquement, elle fondit en larmes.

Consciente de sa faiblesse, Sybille se détourna et alla se laisser tomber assise sur le lit. Elle aurait voulu demander à Henri de sortir, de la laisser seule pour de bon cette fois mais les mots restèrent coincés dans sa gorge, et elle tenta bien vainement de retrouver ses esprits et de mettre un terme aux sanglots qui l’agitaient. Si elle finit par redresser la tête, les joues pâles, creusées par deux sillons de larmes, ce ne fut que dans un dernier éclat, où la colère peinait à ne pas perdre pied face à la douleur.
« Et vous voulez me faire croire que la vie de mon frère n’est pas en danger ? Je vous préviens, s’il lui arrive quoi que ce soit… commença-t-elle jusqu’à ce que sa voix qui n’était qu’un mince filet ne s’étrangle à nouveau. »
Elle s’interrompit, car elle menaçait mais savait pertinemment qu’elle n’avait aucune menace à faire peser, ni absolument aucun moyen d’exiger le retour de son frère. Ce furent à nouveau les larmes qui l’emportèrent, ces mêmes larmes qui la poussèrent à se lever pour lui faire face une dernière fois, et lui signifier de quitter les lieux. Mais alors qu’elle ouvrait la bouche pour lui en donner ni plus ni moins que l’ordre, on frappa de nouveaux quelques coups à la porte. Raide, Sybille hésita un court instant, mais faisant fi de son apparence, alla brusquement ouvrir l’épais battant afin de renvoyer l’intrus. Mais la nouvelle venue n’était autre que sa sœur, Elisabeth, dont les traits sombres prirent une teinte inquiète lorsqu’elle dévisagea son aînée qui s’était figée face à elle. La jeune dame d’Alluyes posa une main affectueuse sur l’épaule de Sybille qui comprit ainsi qu’elle savait, d’une façon ou d’une autre, et recula pour la laisser rentrer sans mot dire, jusqu’à s’adosser contre le mur tout proche, laissant à sa cadette l’occasion de jeter un regard autour d’elle et de s’arrêter sur Henri. La plus jeune fille de la fratrie d’Amboise ne partageait pas les rancœurs de sa sœur ni son affection pour leur père, aussi resta-t-elle de marbre face au fils de Thibaud IV.
« Je vous remercie, comte, je vais rester avec ma sœur désormais. Vous pouvez nous laisser, fit-elle simplement. »
Sybille, quant à elle, resta silencieuse. Les larmes roulaient toujours sur ses joues et ses traits désertés par la colère montraient assez à quel point elle était soulagée de la présence d’Elisabeth qui lui offrait le répit dont elle avait besoin. Lorsqu’il sortit néanmoins, elle adressa un dernier regard à Henri, un regard dans lequel brillait l’amertume, la douleur mais aussi un éclat désolé, car une infime partie d’elle-même commençait à réaliser à quel point elle avait été injuste envers lui et s’en voulait pour cela. Enfin, lorsque la porte se referma sur lui, elle abandonna la lutte et s’effondra en se laissant glisser contre le mur, alors qu’Elisabeth s’approchait promptement d’elle et se baissait à sa hauteur. Elle prit son visage entre ses deux mains avec toute la douceur dont elle était capable et chercha le regard de son aînée pour l’obliger à s’apaiser, un sourire rassurant aux lèvres.
« Je suis désolée, souffla-t-elle, la comtesse de Nevers m’a expliqué ce qu’elle savait… Hugues va-t-il bien ? »
Sybille hocha doucement la tête, avant de fermer les yeux dans une nouvelle tentative pour retenir ses larmes. Mais Elisabeth ne lui en laissa pas l’occasion et la serra tendrement dans ses bras afin qu’elle puisse s’épancher sans crainte. C’est ainsi blottie contre sa sœur que la jeune femme laissa enfin libre cours à son chagrin, oubliant pour un temps au moins toute sa colère. Elles restèrent longtemps enlacées à même le sol, à l’abris des rumeurs et des commentaires qui circulaient sans doute largement derrière le rempart de la lourde porte que le comte de Champagne avait refermé derrière lui jusqu’à ce que finalement, la dame de Déols ne lève ses yeux rougis vers sa sœur. Celle-ci se leva et lui tendit la main pour qu’elle fasse de même.
« Je suis certaine qu’il est fier de toi, assura doucement cette dernière, et que tu arriveras à ramener Hugues. Nous ferons tout pour ça.
- Merci, souffla simplement Sybille. »
Elle serra les mains d’Elisabeth avec affection, tout en songeant qu’il leur faudrait prévenir Anne et leur mère, si celles-ci n’étaient pas déjà au courant. Puis, la gorge serrée, elle laissa sa cadette sortir, et resta un instant immobile au milieu de sa chambre avant d’aller se laisser tomber sur le lit. Là, regard tourné vers le haut du baldaquin, elle s’exhorta seule au calme. Les morts, malgré les souvenirs, les douleurs, les manques qu’ils laissaient derrière eux ne pouvaient l’abattre.
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Le courage était sans doute la première vertu que l'on apprenait au jeune chevalier lorsqu'on lui confiait pour la première fois une épée de bois avec laquelle il lui fallait se former au combat. On ne devait pas reculer devant l'adversité si la cause que l'on défendait était juste, on ne devait jamais tourner le dos à l'un de ses ennemis pour fuir et surtout, on ne pouvait renoncer, quitte à monter toujours à l'assaut dans des charges désespérées parce qu'un parfait chevalier se devait de suivre ce que lui demandait l'honneur. En un éclair, sans réellement savoir pourquoi, Henri de Champagne se souvint de ces commandements que son vieux maître d'armes lui répétait quand il était enfant et qu'il voulait illustrer son nom par des exploits qui le couvriraient de gloire. Fortifie ton cœur, ne te laisse pas impressionner par les hauts guerriers couverts de métal que l'on dit imbattables et seulement après, tu sauras que tu ne peux pas abandonner. Le jeune homme avait mis en pratique ces conseils dès qu'il l'avait pu même s'il avait depuis longtemps abandonné l'idée d'être ce chevalier digne des histoires que contaient les trouvères lors des banquets avec forces exclamations admiratives, même si le jeune garçon adoubé et ayant reçu l'accolade de l'empereur byzantin avait vite découvert qu'on ne faisait pas la guerre dans les dorures des palais de Constantinople mais dans les tourments des déserts orientaux où le sang jaillissait plus vite que la gloire. Ce jour-là, on était loin des champs de bataille de Damas ou de Méandre, des soldats entièrement caparaçonnés qui frappaient sans distinction au milieu des mêlées, mais pourtant, Henri, s'il l'avait pu, aurait aimé tourner les talons et ne pas devoir faire face à ce qui l'attendait dans cette chambre allouée à la dame de Déols dans le palais de la Cité. Il avait été désarmé et vaincu non par un chevalier plus vaillant que lui, au bras plus assuré, à l'épée plus imposante mais par une toute jeune femme, dont la petite silhouette, tour à tour, se redressait ou se recroquevillait sur le bord de son lit. Une toute jeune femme pas bien impressionnante en vérité mais dont les tremblements et les pleurs, ces larmes qui avaient sillonné ces joues si pâles, avaient laissé Henri indécis et impuissant, ne sachant s'il devait quitter la pièce ou rester pour continuer à faire face à ce spectacle qui le blessait, comme s'il avait jeté à terre aussi bien son épée que son bouclier et son armure. Elle ne le savait pas, elle n'en avait même que faire mais elle était sans doute l'adversaire la plus redoutable qu'Henri avait jamais eu à affronter et il dut faire appel à tout ce courage qu'on lui avait tant vanté pour lui faire face une dernière fois et pour prononcer ces mots qu'il aurait aimé garder au fond de sa gorge, regrettant davantage à chaque seconde qui passait d'avoir croisé l'abbé de Clairvaux et de n'être pas demeuré dans une confortable ignorance qui lui aurait permis de ne pas avoir à livrer ce combat. Non, malgré son l'impression de se retrouver acculé au bord d'un précipice, malgré la facilité avec laquelle il aurait pu fuir puisqu'on lui avait offert une sortie en venant interrompre la conversation, il s'était retourné vers son adversaire, puisant dans des ressources qu'il ignorait posséder, ces mêmes que l'on se découvre lors des batailles où l'on est tellement cerné d'ennemis que même l'éclat de ses propres bannières n'est plus visible, pour ne pas reculer lâchement devant la vérité et tenter un dernier assaut même s'il savait avec une douloureuse acuité qu'il n'y trouverait que des images de mort et qu'il y verrait s'agrandir cette lueur de souffrance qui brillait dans ces yeux bleus.

Il avait pourtant le sentiment d'être sans pitié quand il lui martela les mots qui s'échappaient de sa bouche, ces mots qui se tortillaient de douleur et hurlaient d'agonie même s'ils avaient été chuchotés, même si celui qui les avait prononcé était d'un calme absolu qui ne broncha pas devant la scène de l'abattement progressif de la jeune dame, combien même cela lui était difficile à supporter. Le jeune homme ne baissa pas le regard car il ne voulait pas s'épargner une seule seconde l'épreuve qu'il s'était imposé, telle une manière d'arpenter un chemin de croix, sans pour autant en distinguer la fin où aurait dû l'attendre le pardon. Quand il eut terminé d'expliquer ce qu'il savait, fort peu de choses en vérité, un lourd silence s'installa dans la pièce, un silence pendant lequel le fantôme pâle et tremblant de Sulpice d'Amboise, formé de ces terribles paroles, les avait rejoint, leur imposant la vue de son corps torturé et Henri eut soudain l'impression qu'un vacarme de chaînes et de hurlements résonnait à ses oreilles, profitant de la surprise horrifiée qui avait laissé la dame de Déols sans voix. Pendant quelques secondes, il chercha désespérément ce qu'il pouvait ajouter pour faire fuir ces lambeaux de songes qui étaient venu les prendre comme victimes à leur tour pour leur faire subir le désespoir de l'impuissance, prisonniers qu'ils étaient du présent et de leur douleur mais son esprit resta vide et il se contenta de fixer la jeune femme se débattre avec ces fantômes qu'il imaginait fort bien l'enserrer et lui voiler les yeux, bras ballants, totalement impuissant. Le regard bleu de Sybille était toujours posé sur lui mais perdu dans des abysses qu'elle était la seule à pouvoir connaître, il ne le voyait pas jusqu'au moment où, au prix d'une lutte manifeste contre elle-même, elle sembla avoir vaincu dans sa lutte contre les songes qu'elle écarta en se redressant d'un bond et qu'elle dissipa soudain en parlant d'une voix vibrante de colère :
- Monstre..., balbutia la jeune femme en s'écartant de lui, comme si elle faisait face à l'assassin de son père et qu'elle craignait qu'il ne s'en prenne à elle, comme si la simple proximité avec Henri pouvait la brûler de ces flammes d'Enfer qu'il avait fait venir jusqu'à eux, vous êtes des monstres !
Malgré toutes ses bonnes résolutions et le courage dont il avait fait preuve jusqu'à présent, le comte de Champagne ne put s'empêcher de détourner les yeux, la gorge soudainement serrée. Il s'était attendu à une réaction violente, il savait fort bien qu'il allait devoir porter une part de la responsabilité du crime de son père mais ce terme de « monstre » qu'elle utilisait le blessait bien plus qu'il ne l'aurait voulu. Le pensait-elle irrémédiablement souillé par ce sang qu'il partageait avec le meurtrier de son père ? Assez pour le rejeter hors de l'humanité, de le renvoyer à cette sorte de cruauté bestiale qui lui aurait valu ce sobriquet ? Jamais Henri n'avait rougi d'être le fils de Thibaud IV, jamais il n'avait baissé le front parce qu'on lui avait rappelé qu'il était un Blois, fier de porter la bannière de sa famille ou de se réclamer de celui qui avait fait trembler les rois sur leurs trônes, jamais jusqu'à cet instant. Cette appartenance lui demandait désormais d'assumer des actes qu'il ne cautionnait pas et de ne pas haïr ce sang dont il était porteur même quand la justice aurait réclamé qu'il coule à son tour. Le terme qu'elle avait employé le remplissait d'autant plus d'horreur que c'était celui-là même qu'il avait clamé des années auparavant devant une foule de chevaliers et de mercenaires qui avait dévasté sa ville, devant les cendres encore fumantes de cette église dans laquelle on avait martyrisé des innocents, et qu'il se voyait là renvoyé du côté des bourreaux de la veille qu'il avait tant détesté et sur lesquels il en avait appelé à la colère divine pour sa vengeance. Dans les textes antiques, les criminels étaient pourchassés par des Furies impitoyables qu'Henri associait volontiers au remord mais dans le cas présent, il savait bien qu'il n'aurait ni besoin de Dieu ni de la torche d'une Furie pour lui rappeler que son père avait marqué du sceau de la souffrance toute une maison. L'image de Sybille de Déols en larmes mais brûlante de rage suffirait.

Sans doute la jeune femme aurait-elle trouvé ironique d'avoir un tel effet sur le comte car elle était en proie à la plus vive agitation, ayant perdu définitivement tout l'empire qu'elle avait sur elle-même en temps habituel. Combien de fois Henri avait-il étudié son visage impassible, ses traits figés dans l'espoir de savoir ce qu'elle ressentait ? Mais on était loin de ces petits gestes qui trahissaient l'agacement, de ces sourires qui montraient que son cœur pouvait aussi se réchauffer, de ces plis qui se formaient au coin de ses yeux quand elle était amusée, son visage était tordu dans une expression de souffrance qu'elle cacha derrière ses paumes, et elle faisait les cent pas à travers la pièce tout en évitant toujours soigneusement le côté où se trouvait le jeune comte. Il aurait voulu se défendre peut-être, dire quelque chose pour la stopper, supplier le temps de retourner en arrière pour se couper la langue pour ne pas avoir à tout lui avouer mais elle ne lui laissa pas le temps de retrouver ses esprits et se retourna enfin vers lui, en lui lançant un regard si noir qu'il crut un instant que ses iris s'étaient eux-mêmes assombris :
- Comment a-t-il osé ? Siffla-t-elle, ce... Ce n'est pas digne d'un seigneur !
- Mais je..., débuta Henri sans trop savoir ce qu'il avait l'intention de dire mais qui, spontanément, voulait défendre son père combien même il était indéfendable – à moins, qu'il ne voulut seulement protester de sa propre innocence ?
- N'êtes-vous donc tous que des meurtriers ? L'interrompit-elle sans paraître seulement s'apercevoir qu'il avait cherché à parler, est-ce ainsi que vous procédez tous ?
Le comte ouvrit bien la bouche mais aucun mot n'en sortit, comme s'il prenait conscience que rien ne pouvait plus calmer Sybille de Déols et que surtout rien ne pouvait plaider en sa propre faveur. Dans le prisme de la torture du seigneur d'Amboise, la mort de celui de Loches prenait un aspect sinistre, devenait soudain la preuve qu'il n'était pas meilleur que son bourreau de père, que la monstruosité se partageait par le sang et que les colères, autant du père que du fils, étaient si dévastatrices qu'elles en éclaboussaient leur honneur. Mais en même temps qu'il réalisait que nul argument ne pouvait être présenté sous les yeux de Sybille pour sa défense, qu'aucune de ses actions n'aurait pu le blanchir ou le détacher de la figure de Thibaud IV, il se rendit compte que c'était cette figure qu'elle voyait à travers lui. Était-il juste qu'il soit accusé d'être un bourreau alors qu'il n'avait jamais ligoté Sulpice d'Amboise sur le brasier qui servirait à son sacrifice, qu'elle l'accuse d'un meurtre qu'il n'avait pas commis et qu'il avait même tenté de prévenir, en vain ? L'esprit troublé, empli de sentiments qui le dépassaient soudain, Henri de Champagne recula à son tour de quelques pas mais pas assez pour échapper à l'index accusateur qu'elle pointa sur lui :
- Ne me parlez plus jamais de mariage avec votre frère, ne vous avisez plus jamais d'approcher Châteauroux, comte, asséna-t-elle avec dureté, je ne veux plus rien avoir à faire avec vous ou votre famille ! Pas après cela...
La jeune femme fut la première à baisser le regard et comme si elle avait épuisé ses dernières forces à prononcer ces quelques ordres pleins de rancœurs, elle se mit à sangloter en se laissant tomber sur son lit, abandonnant son masque de colère pour retrouver l'amplitude du chagrin que la mort de son père laissait derrière lui, un chagrin si profond que même des larmes ne pourraient le combler.

Une fois de plus, Henri resta debout, totalement impuissant devant cette petite forme agitée de soubresauts, se demandant s'il devait continuer à lui imposer sa présence qui lui déplaisait si fort mais ne pouvant se résoudre à la quitter et à la laisser seule pour faire face à sa tristesse. Mais la compassion trop profonde qu'il avait pour elle, son désir de soulager sa souffrance n'étaient désormais plus les seuls sentiments qui partageaient son cœur. Il s'était attendu à ce que la colère prenne le dessus, à ce qu'elle puisse faire preuve de cruauté mais elle avait frappé avec une justesse redoutable, sur cette fierté qu'il avait d'être un Blois et qui ne pouvait qu'être une honte, sur cet orgueil qui l'avait conduit à songer qu'il pourrait parvenir à lui faire épouser son frère ou occuper une place dans son quotidien. Un court instant, il la détesta de toute son âme, il la détesta de le mettre face à de tels meurtres, de le renvoyer toujours vers ce qu'il ne voulait pas être, d'effacer à la faveur d'un seul détour de phrase tout ce qu'il avait accompli à Châteauroux ou du moins ce qu'il croyait avoir accompli auprès d'elle et du cœur de son petit filleul. Il aurait aimé parler, ironiser peut-être sur le fait qu'elle avait sans doute raison d'écarter un tel meurtrier de son enfant mais rien ne voulut sortir car quand elle releva la tête vers lui, elle était d'une pâleur si extrême, ses grands yeux bleus étaient si emplis de larmes qu'elle le désarma d'un regard et rendit ridicule toutes ses tentatives pour se défendre ou se montrer cruel. Que pouvait-il bien dire de toute façon après lui avoir fait une telle annonce ? Qu'est-ce qui pouvait encore la toucher ou l'intéresser ? N'aurait-elle pas seulement été satisfaite de savoir qu'elle était parvenue à le blesser, tout en étant amère de voir qu'il était toujours debout alors que tout son être réclamait de voir couler le sang honni ? Et malgré toute cette haine palpable entre eux, qui semblait resurgir alors qu'ils avaient si bien réussi à l'ignorer, malgré les divers visages d'ennemie ou de déesse vengeresse qu'elle lui montrait, il avait terriblement envie de lui apporter un peu de réconfort, de s'approcher d'elle pour essuyer ces larmes qui lui seyaient si peu et lui affirmer qu'elle n'était pas seule. Que répondre à un tel ordre de ne plus se rendre chez elle alors qu'il ne savait s'il mourrait d'envie de le respecter ou de le transgresser ?
- Et vous voulez me faire croire que la vie de mon frère n'est pas en danger ? Murmura Sybille douloureusement, dans une dernière tentative de retrouver celle qu'elle était alors qu'elle s'était déjà effondrée, je vous préviens, s'il lui arrive quoi que ce soit...
Sa voix s'étrangla bientôt dans sa gorge avant de lui permettre de terminer sa menace, soit que la souffrance avait de nouveau pris le dessus, soit qu'elle s'était rendu compte qu'elle n'avait aucune arme de son côté. Cette remarque fit flamber à nouveau l'exaspération dans les veines du jeune comte qui n'avait nul moyen de s'assurer de la santé du nouveau seigneur d'Amboise et encore moins de le protéger alors même qu'il lui avait déjà assuré qu'il ne le pensait pas en danger mais à la place de la réplique cinglante qu'il pensait lui rétorquer, il ne laissa échapper que quelques mots qui ressemblèrent plus à une plainte :
- Quoi donc, ma dame ? Pourriez-vous me haïr encore davantage ? Demanda-t-il dans un souffle.
Autant parler à un spectre car rien dans la physionomie de Sybille ne lui indiqua qu'elle l'écoutait ou qu'elle l'avait seulement entendu. Malgré ses larmes, elle s'était à nouveau redressée pour lui faire face et il se prépara à la confrontation en serrant les poings et en se crispant entièrement. Mais au même instant, des coups rapides furent frappés à la porte, leur remémorant que le monde avait continué de tourner sans eux, derrière ce lourd battant mais qu'il se rappelait désormais à eux, faisant violemment sursauter Henri qui ne s'y attendait pas. Cette fois-ci, ce fut Sybille, peu soucieuse de son apparence dévastée, qui alla ouvrir avec brusquerie, sans doute dans le but de chasser l'importun. Le comte de Champagne ne vit pas immédiatement qui était l'intrus mais il devina qu'il s'agissait d'un proche de la dame de Déols car le battant ne claqua qu'après avoir laisser entrer le nouveau venu. Une jeune femme blonde, plus petite encore que Sybille et frêle, pénétra dans la pièce pour regarder autour d'elle et arrêta son regard sur Henri qui ne se souvint qu'à cet instant que c'était lui-même qui l'avait faite appeler.
- Je vous remercie, comte, je vais rester avec ma sœur désormais. Vous pouvez nous laisser, dit Élisabeth d'Alluyes d'un ton ferme mais courtois, en lui adressant un signe de tête qui indiquait qu'elle prenait la situation en main.
Était-ce ainsi que tout se terminait ? Aussi bien la conversation que cette amitié qu'il avait tenté de bâtir avec la veuve d'Abo de Déols ? Henri hésita quelques secondes, d'autant que ses jambes semblaient vouloir refuser de lui obéir, mais il finit par se détourner, voyant que Sybille n'émettait aucune protestation ni aucun signe d'assentiment. Avant de lui tourner définitivement le dos, il ne put s'empêcher de lui jeter un dernier regard pour constater que les traces de la colère avaient quitté son visage et que ne restaient plus que ces larmes qui, en silence, continuaient de tracer leur chemin sur ses joues. Elle avait relevé les yeux au même instant et leurs regards se croisèrent comme pour exprimer tout ce que les mots n'étaient parvenu à dire : chagrin, honte, regrets et pardon. Enfin, seulement, Henri quitta enfin les lieux et le combat qu'il y avait mené, se trouvant aussi lâche que cruel de l'avoir fait souffrir de sa présence aussi longtemps, tout en se demandant si elle serait un jour capable de l'avoir vue en position de faiblesse.

Parvenu dans le couloir, il se sentit immédiatement soulagé, comme si les appartements même de la dame avaient été oppressants et avaient cherché à faire fuir l'intrus qu'il était. Il sentit son courage se raffermir et ses traits se détendre au fur et à mesure qu'il avançait en direction de la grande salle, même s'il fit quelques détours pour être certain d'être entièrement repris quand il aurait de nouveau à faire face au reste de la cour. Mais il ne pouvait empêcher son esprit de s'envoler du côté de la dame de Déols alors qu'il se demandait si sa sœur avait réussi à la calmer ou si au contraire, elle avait profité de son départ pour laisser libre court à toute sa tristesse. S'il avait retrouvé un air serein que les seigneurs et les dames, désormais bien au courant de ce qui s'était produit, étudièrent avec circonspection lorsqu'il les rejoint, son cœur était encore lourd de remords, blessé par tout ce qu'il avait vu et entendu, son esprit troublé par les images des pleurs versés par la jeune dame. Il ne commenta que brièvement les nouvelles avec ses proches, commandant à Joinville, son sénéchal et à un Brienne désappointé de faire les préparatifs pour leur départ prochain pour la Champagne car après un tel coup d'éclat de son père, il ne tenait guère à s'attarder, jusqu'à ce qu’Élisabeth d'Alluyes fasse son apparition. Henri entendit distinctement les conversations baisser de volume alors que l'attention générale se fixait sur eux, comme impatiente d'assister au spectacle de la rencontre entre la fils du meurtrier et la fille de la victime. Mais Élisabeth, comme Henri au demeurant qui s'inquiétait davantage pour les nouvelles qu'il pourrait avoir de la dame de Déols, n'en eut que faire et s'approcha d'un pas décidé du jeune homme, arborant seulement un sourire attristé.
- Comte ? Permettez que je vous remercie d'avoir évité à ma sœur l'épreuve d'avoir à l'apprendre devant tout le monde, lança-t-elle d'une voix calme et basse pour éviter que d'autres oreilles ne les écoutent, tout en jetant un coup d’œil vers Mahaut de Vendôme qui n'avait pas quitté son air ravi, ce qui ne sembla pas la perturber pour autant.
- C'était le moins que je puisse faire, répondit Henri, soulagé de voir qu'elle ne le tenait pas pour responsable des actes de son père, je suis terriblement désolé pour votre perte, ma dame, ainsi que de n'avoir rien pu faire pour vous l'éviter.
La jeune femme détourna le regard de l'ennemie de sa famille pour le reposer sur son interlocuteur. Mais il n'était pas accusateur ou triste, il n'y avait là que l'éclat de la résignation et de l'inquiétude :
- Nous savions bien que notre père finirait par mourir lors de l'une de ses batailles, je n'en suis pas étonnée et je sais qu'il n'aurait pas voulu rejoindre le Seigneur autrement, affirma-t-elle en haussant les épaules, j'espère que vous n'avez pas pris trop à cœur tout ce que Sybille a pu vous dire, elle était sous le choc de la nouvelle, il lui faudra un peu de temps pour s'en remettre. Veuillez l'en excuser, je suis sûre qu'elle regrettera. Notre seule inquiétude est pour notre frère, Hugues qui est toujours à Châteaudun.
- Je comprends, répliqua simplement le comte en ébauchant un sourire, je vais faire mon possible pour votre frère mais je vous promets qu'il ne risque rien. Je souhaite que votre sœur aille mieux...
Il aurait voulu ajouter qu'il ne désirait rien d'autre qu'elle ne lui pardonne mais il n'en eut pas le temps car Élisabeth, pensant qu'il en avait terminé, le salua d'un signe de tête reconnaissant puis s'éloigna, sans doute pour écrire au reste de sa famille. Henri, songeur, la regarda disparaître dans la foule puis reprit ses conversations, l'esprit ailleurs, resté prisonnier des appartements de Sybille, agité par des moments de honte et de remords et par les questions qu'il ne cessait de se poser, notamment à propos de son ordre de ne plus remettre les pieds à Châteauroux ce qu'il n'avait au final pas promis. Après quelques dizaines de minutes, il renonça à faire comme si de rien n'était et se retira. La dernière vision qu'il eut fut celle de Mahaut de Vendôme, retenue encore par Ide de Sponheim, en train de se délecter du malheur des autres et il songea que s'il lui avait fallu choisir un visage de monstre, c'était celui qu'il aurait élu.

Le comte de Champagne et ses vassaux partirent dès le lendemain, à l'aube, dans un train rapide pour rejoindre au plus vite leurs possessions. On frôla néanmoins l'incident diplomatique au moment du départ à proprement parler lorsque Gauthier de Brienne découvrit que son cheval avait disparu et qu'il avait été remplacé, de manière fort peu avantageuse par un âne rabougri qui leva un œil blasé sur le pauvre chevalier qui poussait des cris d'orfraie.
- Comte, je ne vais pas pouvoir monter là-dessus... C'est... C'est un âne !
- Je le vois bien, répondit Henri agacé, il faut qu'on le ramène à l'abbé Bernard, tu peux bien te dévouer, non ?
- Mais je suis un chevalier, moi ! Je ne peux pas monter sur un âne sans me...
- Un peu d'humilité ne te fera pas de mal, trancha le comte, à moins que Joinville ne se dévoue...
- Ah non, je ne préfère pas, intervint ce dernier, déjà sur sa monture, en jetant un regard horrifié sur la bête.
- Joinville ! Protesta Gauthier d'un ton plaintif, en faisant un soupir à fendre l'âme, sinon je peux acheter un cheval et...
Henri leva les yeux au ciel pour finir par ordonner à Brienne de monter sur le dos de l'âne puis constatant que celui-ci avait un peu de mal à diriger la pauvre bête qui n'en faisait qu'à sa tête, il demanda à Joinville de rester avec lui pour que la petite troupe puisse prendre de l'avance. Avec une telle arrière-garde, on était au moins certain d'arriver à destination sain et sauf, songea-t-il ironiquement. Il leur fallut quelques jours pour parvenir jusqu'à l'abbaye de Lagny, épuisés par un voyage pendant lequel presque aucune pause n'avait été accordée par le jeune comte qui était pressé de parvenir jusqu'à l'endroit où l'abbé Bernard, dans une lettre, lui avait dit l'attendre. De fait, la petite troupe fut accueilli par le vieil homme dans sa bure blanche qui ne put s'empêcher de chercher du regard sa fière monture dont Henri lui promit l'arrivée prochaine.
- Quelles sont les nouvelles ? Demanda-t-il, en passant ses paumes sur son visage fatigué et poussiéreux.
- J'ai réussi à ramener ton père à Lagny, non sans difficulté mais je n'ai pas pu sauver Chaumont qui a été ravagé. Ton père avait visiblement pour volonté de démonter chaque pierre du château. Le jeune seigneur Hugues va bien...
- Je dois aller lui rendre visite dans sa cellule pour lui demander sa libération, le coupa Henri avec fermeté.
Bernard fronça les sourcils avant de lui expliquer que ce n'était peut-être pas là une bonne idée car Thibaud IV était toujours furieux et qu'il risquait uniquement de s'attirer ses foudres.
- Mieux vaut peut-être encore attendre un peu, je veux parler à l'enfant pour Chaumont, conclut le vieil abbé.
- Mon père, dit Henri en se retournant vers lui et en déposant une main sur son épaule, je dois tenter. Je me dois de le faire.
Les yeux bruns de Bernand le fixèrent un instant puis il acquiesça. Juste avant que le jeune homme ne le quitte, il l'arrêta d'un geste et posa sa paume ridée sur le visage mal rasé de celui qu'il avait en grande partie élevé.
- Henri, promets-moi une chose, commença-t-il d'une voix grave, promets moi que tu mettras jamais ton âme en péril pour la poursuite de stupides intérêts que t'aurait commandé ton lignage.
- Mais...
- Non, tu crois peut-être que tu agis pour le mieux de ta famille mais crois-moi, tu seras amené à le regretter amèrement. La possession d'une terre ne vaut pas tous les sacrifices, pas de ce qui est juste. Promets-moi.
Une ombre de regret passa sur la visage d'Henri qui se remémora Loches mais il hocha la tête sans discuter et profita du moment où on signalait à Bernard l'arrivée de son cher âne pour s'éloigner et monter les escaliers qui menaient jusqu'aux cellules des visiteurs de marque. Avant de pousser la porte de celle où vivait son père, il prit une profonde inspiration pour chasser son trouble et se préparer à un combat qui s'annonçait perdu d'avance. Mais ce n'était là que le premier pas pour expier un peu de toute la souffrance qu'il avait causé à la petite silhouette blonde secouée de pleurs qu'il avait laissé derrière lui à Paris mais qui continuerait longtemps de le poursuivre.

FIN
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