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 [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.

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2 participants
AuteurMessage
Sybille de Déols
Petite boudeuse <3
Sybille de Déols


Messages : 38
Date d'inscription : 23/05/2013

[Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  Empty
MessageSujet: [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.    [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  EmptySam 7 Déc - 15:45

La voix du trouvère s'élevait avec une rare douceur dans la grande salle, si bien que tous s'étaient tus et avaient levé les yeux vers le jeune homme qui chantait, avec pour seul accompagnement son luth dont il tirait des accords envoûtants qui, à eux-seuls, auraient sans doute suffi à forcer tant le silence que l'admiration. Il  n'était pas rare depuis les noces du maître des lieux d'entendre résonner entre les murs de la grise forteresse quelques ballades et autres chansons que les poètes rassemblés autour de la comtesse de Blois se plaisaient à réciter pour amuser les dames ou lorsqu'elle leur en faisait la demande, mais celui qui avait fait quelques heures plus tôt une entrée remarquée dans la vieille demeure des comtes surpassait de beaucoup les jeunes gens qui s'y étaient produits jusque là. Il suffisait pour le savoir d'observer avec quelle attention tous tendaient l'oreille et se laissaient entraîner par les accents mélancoliques de sa voix, soutenue par la douceur des notes qu'égrenait son luth. Même le chat roux qui échappait régulièrement à la surveillance de son petit maître et hantait les lieux pour réclamer des caresses à grand renfort de miaulements plaintifs avait cessé de se manifester et, installé sur les genoux d'une dame qui lui grattait négligemment les oreilles, c'est à peine si on l'entendait ronronner. C'était comme si tout s'était arrêté quelques instants, le temps pour le talentueux trouvère de faire entendre à la petite assemblée réunie autour de lui la chanson qu'il venait de composer. C'était la comtesse elle-même qui lui en avait fait la demande, alors qu'il demeurait à Châteauroux, en le mettant au défi de se trouver à Blois une semaine après la réception de sa lettre, et de s'y trouver avec une nouvelle ballade sur le thème de son choix. Ce n'était pas la première fois qu'elle lançait un tel défi au jeune homme qui faisait partie depuis quelques années désormais de la petite cour de poètes, conteurs et autres acrobates dont elle était entourée, aussi avait-il pris la chose pour totalement habituelle et s'était-il empressé de composer une histoire qui ne saurait que ravir la jeune mécène et son entourage, avant de se présenter fièrement à Blois le jour dit. Sans doute aurait-il pu s'étonner d'une telle invitation alors que la dame de Déols avait tenu à ce qu'il restât à Châteauroux afin de veiller sur les gens de son entourage qu'elle y laissait,  mais la chaleur et l'enthousiasme avec lesquels on l'avait accueilli à Blois avait eu tôt fait de dissiper toutes les questions qu'aurait pu se poser le trouvère, flatté que son talent puisse à ce point manquer à la comtesse de Blois. C'est donc avec d'autant plus de fierté qu'il avait annoncé que le défi qu'elle lui avait lancé avait bel et bien été relevé, avant d'accepter sans plus de délais que celui d'une rapide installation d'en faire la démonstration, pour le plus grand plaisir de la comtesse, et surtout des jeunes femmes de sa suite qui s'étaient réjouies avec forces exclamations de cette nouvelle distraction et découvraient désormais qu'elles ne s'étaient pas enthousiasmées en vain. En effet, il aurait fallu se montrer bien exigeant pour ne pas être conquis par la douceur du luth, la voix veloutée du poète et la mélancolique histoire d'une dame qui, seule dans sa grise tour, se languissait de son chevalier parti au loin en emportant son cœur qui ne battait plus que pour lui. Il aurait fallu être bien insensible pour ne pas se laisser toucher par les soupirs de cette triste héroïne qui se rappelait quels serments d'amour son soupirant lui avait fait, regrettait de ne pouvoir les entendre chaque jour, et maudissait chacune des heures qui les séparaient. Et de fait, si le trouvère avait levé les yeux pour observer son assistance, il aurait vu aux regards rêveurs tournés vers lui qu'il avait admirablement relevé son défi. Mais il ne le fit pas et ni lui ni personne ne vit qu'à ce touchant tableau manquait le sourire de la comtesse de Blois.

Si Sybille semblait bien observer le jeune trouvère, son regard était pourtant tout aussi absent que son sourire, comme tourné vers une toute autre scène qu'elle seule pouvait voir. Elle n'était pas réellement inattentive, non, au contraire, elle n'entendait que trop bien la complainte de cette dame qui déplorait l'absence de son chevalier, à tel point qu'elle aurait voulu ne plus rien entendre, mais ne pouvant intimer au poète de se taire, demeurait silencieuse et voyait, impuissante, ce moment qu'elle avait appelé de se vœux afin de distraire ses pensées trop sombres se changer en une insoutenable torture. Elle avait pourtant été réellement ravie de l'arrivée du jeune homme et n'avait pas feint l'impatience de l'entendre relever son défi avec un talent dont elle ne doutait plus. Elle avait cru, quelques instants, le temps pour les premières notes de luth de résonner dans la grande salle, pour les premiers vers de les accompagner, qu'enfin ses efforts cesseraient d'être totalement vains et qu'elle pourrait oublier, même un moment, ce qui la tourmentait depuis deux mois. Mais les premiers mots du trouvère avaient suffi et tout comme la dame de la chanson ne cessait de songer à son chevalier, c'est vers le comte de Champagne que l'avaient aussitôt ramenée ses pensées. C'étaient ses traits qui s'étaient dessinés dans son esprit, ses sourires, le souvenir d'un baiser qui s'était imposé à elle et avec eux, l'effroyable certitude qu'il lui manquait, celle qu'il ne le devrait pas et en guise de serments, le souvenir d'une dernière conversation, de quelques mots lui affirmant qu'évidemment, il ne l'aimait pas. Et alors que la chanson se poursuivait, alors que le luth s'obstinait à égrener ses tristes accords, dans l'indifférence générale, comme chaque jour écoulé depuis le dernier passage d'Henri à Blois, Sybille souffrait, luttant derrière son masque de marbre contre le désespoir qui revenait sans cesse la hanter. Elle avait tout tenté, pourtant, pour essayer d'oublier Henri. Elle s'était essayée à l'indifférence, tâchant de se convaincre que ce n'était là qu'une passade et que ce qu'elle avait pris pour une passion dévorante qui jamais ne cesserait de consumer son cœur ne serait bientôt plus qu'un souvenir, un instant d'égarement – comme l'avait été, selon lui, ce baiser qu'il lui avait donné – auquel elle pourrait songer avec amusement en se blâmant de sa naïveté. Mais toujours, la plaie mal pansée ouverte dans sa poitrine déchirait cette illusion par un nouvel élancement de douleur dès lors qu'un objet, ou un mot lui rappelait le jeune comte. Elle avait essayé de se raisonner, de se souvenir qui elle était désormais, quel était son rôle, ce rôle que l'enfant qu'elle portait en elle aurait dû l'empêcher de perdre un seul instant de vue, et surtout de se rappeler qui était Henri, son beau-frère, l'oncle de cet enfant à naître. Mais à chaque fois que Sybille se laissait aller à cette pensée, c'était la rancœur qui l'étouffait, envers Thibaud, envers ce bébé qu'elle aurait voulu pouvoir arracher à ses entrailles avant d'en oublier jusqu'à l'existence même, tout en se dégoûtant qu'un tel souhait pût lui traverser l'esprit car elle n'avait pas le droit de s'en prendre à lui qui n'était que le fruit attendu, exigé de ses noces avec Thibaud. Ce n'était pas à celui qui serait peut-être l'héritier du comté de Blois qu'elle devait en vouloir pour les errements de son âme, si bien que parfois, brusquement, du désespoir dans lequel elle se noyait depuis bien trop longtemps naissait un élan de haine envers le comte de Champagne. Parfois, pendant un instant, elle parvenait à se convaincre qu'elle le détestait. Elle songeait à ce jour où il était arrivé de nulle part en se targuant de pouvoir protéger Aymeric et Châteauroux parce qu'il en avait fait la promesse à Abo, à la méfiance qu'elle avait ressentie alors et qui n'aurait jamais dû la quitter. Elle songeait à son père qui avait été supplicié par le sien, creusant encore la profonde inimitié entre leurs deux familles qu'elle avait pourtant accepté d'unir en épousant Thibaud. Elle songeait à la façon dont il avait trahi son secret et conduit Plantagenêt à vouloir lui prendre Guillaume, quitte à mettre le siège en son domaine, ce siège qui n'avait nul autre responsable que ce comte de Champagne que son cœur prétendait aimer. Elle songeait à ce mariage qu'il avait noué et qu'elle détestait depuis ses premières minutes, ce même mariage qu'il avait rendu plus insupportable encore par sa simple façon de lui sourire, de s'enthousiasmer en lui faisant découvrir son palais à Troyes, de la faire danser... de l'embrasser, l'autorisant ainsi à nourrir un trop doux espoir avant de le détruire en quelques mots. Tout ce qui s'était produit depuis quelques mois, tout ce à quoi en était réduit la dame qui s'était figée dès les premières paroles de la chanson qui se poursuivait, il en était responsable, et pour cela, elle ne pouvait que le haïr. C'est ce dont Sybille aurait voulu être certaine, ce jour-là, alors que le trouvère qu'elle avait mandé auprès d'elle pour l'aider à égayer ses pensées chantait sa triste ballade, mais avec effroi, elle réalisa que chacun des soupirs de la dame qui se languissait de son chevalier, ses regrets, la sensation d'avoir perdu celui qui donnait un véritable sens à son existence, elle les connaissait, ils la tourmentaient également. À la seule, mais terrible différence, que le chevalier auquel elle pensait et qui lui manquait avec tant de force ne lui avait fait aucun serment et que, contrairement à la mélancolique héroïne, Sybille aimait en vain, sans espoir et sans en avoir le droit.

Un énorme nœud serra soudain la gorge de la comtesse qui sentit la nausée l'envahir. Elle avait pâli, mais elle s'était suffisamment prétendue souffrante ces derniers temps pour que personne ne s'en préoccupât et elle-même ne savait toujours si c'était à son cœur brisé ou à l'enfant qu'elle attendait qu'elle devait les malaises qui s'emparaient d'elle. Car elle savait désormais, elle comprenait ces vertiges, la fatigue inhabituelle qui l'avait envahie à maintes reprises depuis qu'elle avait fait le voyage entre Châteauroux et Troyes. Déjà, alors qu'elle avait encore pour elle l'insouciance et pouvait simplement se réjouir à l'idée de revoir Henri, elle était enceinte. Les promenades qu'ils avaient partagées, leur danse à Provins, leur folle chevauchée sous la pluie qui s'était terminée de façon si troublante dans la cour du palais de Bar, leur baiser à Blois... tout cela, tous ces moments, tout comme celui où elle avait enfin cessé de se complaire dans l'illusion qu'elle ne faisait qu'apprécier le jeune chevalier, elle les avait vécus alors qu'elle portait déjà en elle l'enfant de Thibaud. Elle aurait pu s'en rendre compte des dizaines de fois, et mettre fin aux errements de son cœur avant que celui-ci ne soit totalement dévoré par l'amour, mais elle avait mis autant d'application à nier cette grossesse qu'à se voiler le regard sur ses sentiments. Désormais elle savait, et elle n'avait plus qu'à porter le poids de son erreur, cette culpabilité sur laquelle elle tentait parfois d'arrêter ses pensées mais qui ne parvenait pourtant pas à effacer la douleur qui siégeait en son cœur, pas plus que le souvenir brûlant d'une étreinte passionnée qui revenait encore la hanter, tout comme la dame du jeune trouvère ne cessait de songer au dernier baiser que son chevalier lui avait donné avant de partir si loin d'elle. Mais la chanson, elle, avait un dénouement heureux, et il fallut à Sybille faire un effort d'une violence rare pour esquisser un sourire sur les derniers vers qui évoquaient la joie de retrouvailles prochaines, et joindre des applaudissement joyeux à ceux de ses compagnes qui, dès les dernières notes éteintes, félicitèrent avec chaleur le trouvère dont le regard qu'il avait enfin levé de son luth n'était pas sans briller de fierté, et se tourna vers sa protectrice.
- J'espère avoir satisfait à votre défi, comtesse, lui lança-t-il en s'inclinant trop profondément dans une révérence tordue, ravi de pouvoir faire rire l'assemblée après l'avoir émue.
- Je ne doutais pas un instant que tu y parviendrais, ton talent n'est plus à démontrer, répondit Sybille avec un enthousiasme qui faisait honneur à ses propres talents pour la dissimulation.
- C'est que mon talent n'aurait su trouver meilleure muse ! rétorqua le jeune homme avec un clin d’œil.
Le rire qu'elle arracha à sa gorge sembla sonner terriblement faux à la jeune dame, mais alors qu'elle lui reprochait une flatterie facile, personne ne sembla lui prêter plus d'attention que de nécessaire, et le trouvère lui-même continua à babiller sans se douter de la justesse de ses inspirations. Il se laissa cajoler par les dames qui constituaient la suite de Sybille un petit moment encore, tout en cherchant à obtenir de cette dernière l'avis de la mécène éclairée, avis qu'elle lui donna avec prudence, enfermée derrière un masque qui lui semblait de plus en plus lourd à porter, de sorte qu'elle retint de justesse un soupir de soulagement lorsque Guillaume, qui avait visiblement échappé à la surveillance de la gouvernante aussi facilement que Phénix parvenait à se soustraire à la sienne, fit dans la grande salle une entrée remarquée. Ayant retrouvé sa mère aux jambes de laquelle il alla s'accrocher pour attirer son attention, il se plaignit de ne pas retrouver son chat, lequel chat avait profité de la fin de la chanson pour se glisser entre les robes des dames et s'en aller trouver un lieu plus tranquille pour une sieste bien méritée.  
- Tu devrais chercher un peu mieux, il ne doit pas être bien loin, affirma Sybille, taquine, quoiqu'elle n'en fût pas certaine, car elle ne se préoccupait de Phénix que pour être certaine qu'il ne traînait pas auprès d'elle, ses miaulements lui rappelant des moments qu'il lui fallait à tout prix chasser de son esprit.
Le trouvère proposa une chasse au chat, mais Guillaume laissa échapper une moue boudeuse, marmonnant qu'il aurait préféré jouer au chevalier.
- Est-ce que j'aurais bientôt mon épée de bois, maman ? demanda-t-il d'ailleurs d'une petite voix, en levant deux yeux plein d'espoir vers sa mère, laquelle ne put empêcher ses traits de se fermer.
- Tu l'as déjà eue, il me semble.
- Oui mais ce n'est pas la même qu'Aymeric, bredouilla le petit garçon, je préférerais avoir celle de comte Henri, il me...
- Ça suffit, Guillaume, celle-ci est très bien. Cesse donc de réclamer, l'interrompit sèchement Sybille, d'un ton qui n'admettait pas de réponse.
Guillaume baissa la tête, penaud, sans doute bien conscient que le sujet fâchait visiblement sa mère. Celle-ci l'observa un instant. Il y avait deux mois qu'il réclamait cette épée – et avec elle, le retour d'Henri –, et Thibaud avait cru lui faire plaisir en la lui offrant lui-même. S'il avait fait mine d'être content, le petit garçon avait néanmoins vite délaissé le jouet, dès que le comte de Blois avait quitté sa ville pour se rendre à la cour, sous prétexte qu'il ne s'agissait pas du même que celui qu'avait reçu Aymeric il y avait bien longtemps désormais. C'était d'Henri qu'il attendait ce cadeau, non de Thibaud et Sybille qui n'avait pas plus le cœur à le rendre triste que le courage de répondre à ses questions se résignait à espérer qu'il finirait par oublier la promesse du comte de Champagne. Tandis qu'elle tâcherait, elle, de l'oublier tout entier.

La jeune comtesse caressa un instant les boucles blondes de son fils, comme pour le rassurer, avant de lui adresser un sourire qui chassa la moue penaude de ses traits. Elle l'abandonna aux bras de la gouvernante qui le gronda avec affection pour échanger quelques mots avec le trouvère qui, revenu de ses pitreries, lui donna quelques nouvelles de Châteauroux, avant de lui tendre une lettre que le seigneur d'Ambrault avait écrit à son intention. Sybille le remercia et, laissant ses dames de compagnie profiter de la présence du jeune homme, gagna ses appartements. À l'exception de Cyrielle qui s'affairait dans sa chambre, ceux-ci étaient déserts, et après s'être installée à son bureau, elle se permit une longue inspiration avant d'ôter le voile qui couvrait ses cheveux et lui donnait la sensation d'étouffer, sans savoir s'il s'agissait là de la grossesse, de son humeur trop sombre ou simplement des effets de la chaleur pesante de ce mois d'août qui n'en finissait plus. Sans doute y avait-il un peu de tout cela. Sans y songer, elle posa une main crispée sur son ventre légèrement gonflée, mais qu'elle dissimulait sous ses robes, car elle n'avait pas eu la force de mettre Thibaud au courant. Il était pourtant revenu la trouver, le soir, dans les jours qui avaient suivi le départ de son frère, mais elle n'avait pu se résoudre à prononcer le moindre mot à ce sujet, comme si parler devait rendre cet enfant tout à fait réel, cet enfant dont elle ne voulait pas, auquel elle ne parvenait à songer que comme le fils de Thibaud, l'époux dont elle n'avait jamais voulu et dont le frère tourmentaient son cœur et ses pensées. La jeune dame n'avait eu que la lâcheté de se taire, avait préféré supporter les visites de son époux, puis se prétendre souffrante peu de temps avant qu'il ne quitte Blois pour Paris où Louis VII l'avait fait appeler. Et alors qu'elle s'était portée comme un charme durant ses deux premières grossesses, elle affrontait en silence la nausée et le malaise constant dans lesquels la plongeait celle-ci, et qui lui rappelaient à chaque instant ce qu'elle aurait voulu effacer de son esprit.
- Tout va bien, ma dame ? demanda Cyrielle avec circonspection alors qu'elle passait derrière sa maîtresse, la faisant brusquement sursauter.
- Oui, oui, répondit l'intéressée d'une voix faible, qui réalisa que ses deux mains s'étaient crispées sur son ventre.
La comtesse de Blois ne chercha pas le regard de sa suivante, qu'elle savait perplexe sans avoir besoin de le croiser, et baissa les yeux sur la lettre de Jehan.
- Vous devriez aller à la cour, vous pourriez vous y changer les idées, suggéra la servante – comme elle le faisait depuis des jours désormais – tout en continuant à s'affairer.
- Je sais, Cyrielle, tu me donne toujours même conseil. Il n'en est pas question.
- Comme vous voudrez, mais ce n'est pas en restant ici que vous cesserez de vous morfondre.
Sybille lança un regard noire à la jeune femme, mais ne répondit pas et se contenta de la chasser d'un geste avant de se saisir de la missive de Jehan. Cyrielle n'avait pas tort, elle tournait en rond à Blois et pour fuir la forteresse où il lui semblait que tout pouvait ramener à son esprit ce qui s'y était produit lors de la venue d'Henri, Sybille s'était rendue à Châteauroux quelques semaines plus tôt. Depuis son retour, les lettres du seigneur d'Ambrault s'étaient faites plus nombreuses, comme si ce dernier avait pu deviner le désespoir de la jeune femme qui ne lui avait pourtant rien révélé, sinon sa grossesse. Mais Jehan avait cette fâcheuse tendance à pouvoir lire en elle comme dans un livre ouvert, et la teneur de sa missive laissa la dame de Déols presque effrayée de lui avoir été à ce point transparente. Il lui donnait quelques nouvelles de Châteauroux, sans oublier les dernières revendications de l'abbé de Déols ni l'inquiétude des seigneurs alentours qui s'interrogeaient sur la position de leurs terres depuis que la duchesse d'Aquitaine avait épousé Plantagenêt. Un tel événement, qui n'avait guère surpris dans le royaume, aurait pu avoir l'avantage d'occuper l'esprit de la jeune dame dont les terres pouvaient rapidement être impliquées dans les conflits qui se dessinaient, mais après lui avoir fait part de considérations peu innocentes sur l'intérêt de ses noces avec le comte de Blois dans une telle situation, Jehan avait jugé bon de s'enquérir de sa santé et de celle de l'enfant, dans des termes qui n'étaient pas sans sous-entendus ni reproches voilés. Si bien que lorsque Sybille entreprit de lui répondre afin de se donner une occupation, elle sentit rapidement à quel point il était vain de lui mentir et combien elle était incapable de lui dire la vérité. À tout instant, ses pensées lui échappaient. Parler mariage la remettait face à sa situation, le rassurer sur son sort réveillait la nausée qui rodait toujours et tenter de donner des explications lui rappelait à quel point son cœur saignait. Rattrapée une nouvelle fois par le souvenir d'un baiser, d'une passion si vite démentie par les paroles d'Henri alors qu'ils se faisaient face pour la dernière fois, Sybille laissa retomber sa plume dans l'encrier et se prit brusquement la tête dans les mains, la gorge nouée, luttant contre des larmes qu'elle n'avait pas le droit de laisser couler. Elle resta ainsi un long moment, puis après une longue inspiration, se redressa enfin.
- Cyrielle ! appela-t-elle, le visage empreint d'une nouvelle résolution. Nous allons à Paris. Veille à ce que tout soit prêt.
Trop préoccupée, la comtesse ne vit pas le grand sourire que sa suivante eut du mal à dissimuler. Et pourtant, rien n'aurait pu l'avertir plus clairement l'erreur qu'elle commettait.

Sous l'égide d'une Cyrielle qui se révéla soudain d'une efficacité redoutable, les préparatifs allèrent bon train, si bien que l'on quitta Blois deux jours plus tard, au petit matin, sous un soleil annonciateur de grandes chaleurs qui n'invitaient pas au voyage mais laissèrent la comtesse de marbre. Contrairement à sa suivante qui allait et venait, prenant garde à tout, et surtout à forcer l'allure lorsque la petite troupe faisait mine de ralentir, Sybille s'enfonça dans un mutisme que l'on mit sur le compte de la pénibilité du voyage alors qu'il tenait avant tout aux résolutions qu'elle formait et qui se trahissaient parfois par un éclat dans ses yeux, ou un rictus crispé sur ses lèvres. Se rendre à la cour, c'était aussi y retrouver Thibaud et après deux mois de déni, elle s'était enfin résignée, dans la lettre qui le prévenait de son arrivée, à lui faire part d'une nouvelle qu'elle se devait de lui annoncer. Bientôt, il serait au courant, et elle ne pourrait plus cacher ni à elle-même ni au reste du monde l'enfant qu'elle attendait. Elle ne pourrait plus tâcher de l'oublier, on ne le lui permettrait pas, car c'était après tout de l'héritier du comte de Blois dont il s'agissait, et cette simple idée suffisait à l'assombrir. C'est en songeant avec amertume à que le temps était bien loin où la jeune fille qui avait épousé le seigneur de Déols se réjouissait d'apprendre qu'elle portait enfin le bébé tant réclamé par son mari qu'elle fit son entrée à Paris, puis dans la cour du Palais de la Cité, dont les hauts murs et les ombres qu'ils projetaient sur le sol en ce début d'après-midi lui semblèrent bien plus porteurs de menaces que de soulagement. Elle revêtit pourtant l'éternel masque qu'elle se devait de porter en ces lieux où personne ne devait pouvoir lire en elle, et c'est avec détachement qu'elle pénétra dans la demeure royale où elle s'accorda un moment pour s'installer avant d'affronter enfin la cour. L'agitation y était palpable, et partout l'on évoquait l'alliance décisive que constituait le mariage d'Aliénor et du jeune duc de Normandie, une alliance qui n'était pas sans inquiéter et dont certains allaient jusqu'à rejeter la faute sur Louis VII en désignant comme une erreur sa décision de se séparer de la duchesse d'Aquitaine, faisant ainsi directement tomber une grande partie du royaume dans les mains d'un vassal que tous savaient ambitieux et peu scrupuleux en matière de serments. Un conflit ne manquerait pas de s'ouvrir, du moins c'est ce que l'on craignait, et alors qu'elle discutait avec sa sœur Elisabeth – qu'elle avait eu le soulagement de retrouver alors qu'elle ignorait sa présence à la Paris – et quelques autres seigneurs, la comtesse de Blois songea en fronçant les sourcils que sa grossesse n'était pas le seul sujet dont elle devait discuter avec son époux. Si conflit il y avait, alors Blois et Châteauroux étaient plus qu'exposés, d'autant qu'elle ne doutait pas qu'Aliénor renouvellerait ses demandes concernant l'hommage pour ses terres qu'elle n'avait toujours pas obtenu.
- Le roi est en conseil au moment où nous parlons, disait l'époux d'Elisabeth, le seigneur d'Alluyes, la plupart des vassaux sont venus. Nevers, Toulouse, votre époux, comtesse, fit-il en se tournant vers la dame de Déols, ainsi que ses deux frères...
Il poursuivit son énumération, mais Sybille ne l'entendit pas. Elle se figea et dut user de tout l'empire qu'elle avait sur elle-même pour ne pas pâlir à l'écoute de ces quelques mots. Henri était-il présent ? Sa gorge se noua à cette idée et la vague de panique qui l'envahit à l'idée de se trouver face à lui prouva à quel point elle était incapable de se montrer indifférente. Elle ne participa au reste de la conversation que comme une étrangère, retranchée derrière un masque froid, trop occupée à réaliser l'étendue de son erreur et à tâcher d'ignorer les battements plus violents de son cœur indiscipliné qui s'obstinait, pernicieusement, à lui rappeler l'amour qui couvait toujours en elle et ces trop nombreux moments où elle s'était laissée aller à songer qu'il lui manquait. Ce ne fut que lorsqu'Alluyes et ses compagnons la laissèrent seule avec sa sœur qu'elle dut se résoudre à revenir totalement à la réalité afin de ne pas faire naître chez Elisabeth des soupçons dont elle lui aurait aussitôt fait part. Celle-ci lui parlait avec enthousiasme de son fils, Hugues, dont elle pensait déjà pouvoir affirmer qu'il tenait bien son caractère des Amboise quand Sybille, attirée par un mouvement d'agitation leva la tête.

Le conseil venait sans doute de se terminer car l'on pouvait voir quelques seigneurs arriver pargroupes. Aussitôt, elle se saisit du bras d'Elisabeth pour l'entraîner un peu plus loin, tout en la poussant à poursuivre, mais bien vite, son attention se détourna à nouveau. Elle aperçut l'abbé de Clairvaux, en grande conversation avec Thibaud qui paraissait préoccupé et ne semblait pas l'avoir vue, même s'il avait sans doute été prévenu de son arrivée qu'il attendait – si l'on pouvait dire qu'il l'attendait – depuis quelques jours désormais. Elle voulut s'éloigner encore, mais ne put empêcher ce qu'elle craignait plus que tout de se produire et, en levant à nouveau la tête, se crispa brusquement en croisant le regard du comte de Champagne. L'espace d'un court, très court instant, ses yeux ne purent se détacher de ceux du jeune homme, ni de ses traits qu'elle connaissait par cœur et qui s'étaient tant de fois imposés à elle durant les deux derniers mois. Mais, réalisant brusquement qu'elle ne pouvait plus attendre l'un de ses grands sourires chaleureux qui savaient faire chavirer son cœur, ce même cœur qui s'était remis à battre bien trop vite, elle baissa le regard.
- Sybille ? lança la voix de la dame d'Alluyes.
- Pardonne-moi, je... j'ai été distraite, bredouilla l'intéressée qui, se rendant compte qu'elle avait pâli, tâcha de se composer un visage.
- Je vois cela. Que se passe-t-il ? demanda Elisabeth, perplexe, en jetant un œil autour d'elles.
- Ce n'est rien, je t'écoute.
Mais la plus jeune des sœurs Amboise connaissait trop bien son aînée, et fronça les sourcils en la dévisageant. Agacée, Sybille voulut lui assurer qu'il n'y avait rien de préoccupant, mais alors qu'elle allait reprendre la parole, le regard d'Elisabeth se posa sur quelque chose – ou plutôt quelqu'un – et elle n'eut pas même besoin de le suivre pour savoir qu'Henri se dirigeait vers elles.
- Est-ce le comte de...
- Elisabeth, je ne veux pas lui parler, la coupa Sybille de but en blanc.
- Mais je vous croyais réconciliés.
- Ce n'est pas le cas... je t'en prie, fais ça pour moi.
La dame d'Alluyes avait à peine hoché la tête que son aînée, sur un dernier regard plein de reconnaissance, s'éloignait à grands pas. Si elle avait réussi à se réfugier derrière son masque, la comtesse de Blois n'en était pas moins en proie à une brusque agitation. Pourquoi fallait-il qu'ils se rencontrent ? Comment l'oublier s'il la poursuivait réellement alors que déjà, son image la suivait partout où elle allait ? La main crispée sur l'étoffe de sa robe, elle fit mine de saluer une connaissance qui se trouvait accompagnée d'une poignée de seigneurs, avec lesquels elle conversa quelques instants. Mais du coin de l’œil, elle surprit le regard d'avertissement que lui lança Elisabeth qui se trouvait désormais seule et à nouveau, prit la fuite. Elle n'avisa qu'au dernier moment la haute silhouette de Thibaud, et après un instant d'hésitation, se dirigea droit sur lui, malgré la pointe qui semblait s'enfoncer dans son cœur à mesure qu'elle approchait. Elle était si perturbée qu'elle ne se rendit compte que trop tard qu'il était toujours accompagné de l'abbé de Clairvaux, mais également de Mahaut de Vendôme, qui la dévisagea avec une froideur qui n'avait rien de cordiale – et qui lui fut rendue au centuple.
- Ah, Sybille, lança Thibaud en la reconnaissant, on m'a prévenu de votre arrivée. J'espère que vous avez fait bon voyage.
Il semblait presque perplexe, mais l'angoisse de voir Henri arriver, le malaise en sentant peser sur elle le regard du père Bernard, ainsi que la désagréable surprise de se trouver face à cette Vendôme ôtèrent à Sybille toute envie de faire de l'ironie ou de lui annoncer quoi que ce soit, et comme il n'avait encore posé aucune question, elle se contenta de saluer le petit groupe et de lui répondre quelques banalités, avant de l'interroger sur le conseil, ignorant royalement la Vendôme dont on se demandait bien ce qu'elle avait à dire au comte de Blois.
- Pardonnez-moi, j'interromps quelques chose ? demanda-t-elle néanmoins en tâchant de ne pas se crisper alors qu'Henri les rejoignait.
Elle le salua froidement, tout en se maudissant de n'avoir pas fui jusqu'à ses appartements. Elle écouta à peine la conversation, quoi que celle-ci roulât sur le mariage de Plantagenêt qui avait fait l'objet du conseil, l'une de ses mains jouant nerveusement avec les plis de sa robe, jusqu'à ce que Thibaud ne s'adresse directement à elle.
- Votre lettre disait que vous aviez à me parler, ma dame.
Elle se raidit encore. Sans doute aurait-il fallu qu'elle se décidât à parler, mais les mots ne lui vinrent pas, et un regard furtif jeté en direction d'Henri lui ôta tout courage. Elle se rabattit donc sur Mahaut, à laquelle elle lança une œillade éloquente, avant de revenir à son époux.
- Oui. Mais nous en parlerons plus tard, si vous le voulez bien, répondit-elle avant de lever les yeux sur la foule qui bavardait dans la grande salle. Excusez-moi, ajouta-t-elle comme si elle avait aperçu quelqu'un.
Et à nouveau, elle prit la fuite, mais elle n'alla rejoindre personne cette fois. Évitant le regard de sa sœur, elle gagna d'un pas mesuré la première porte venue, qui s'ouvrait sur une suite de couloirs dont elle ignorait totalement où il menaient mais avaient pour mérite d'être presque déserts. C'est là et seulement là qu'elle s'autorisa un long soupir, tandis que son cœur continuait à la malmener en battant un rythme effréné dans sa poitrine. Venir à la cour était une erreur, il n'y avait plus à en douter. Mais alors qu'elle tentait vainement de reprendre ses esprits et songeait qu'elle ne pouvait se permettre de pâlir dès l'instant où elle croisait le regard du chevalier qu'il lui fallait à tout prix oublier, elle ignorait encore toute l'ampleur de cette erreur.
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Henri de Champagne
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[Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  Empty
MessageSujet: Re: [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.    [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  EmptyMar 10 Déc - 23:34

- Qu'en pensez-vous, comte ? Comte ?
Henri de Champagne sembla comme émerger d'un rêve qui avait mené son esprit dans d'autres contrées et appelé par la voix du devoir, il revint à la triste et difficile réalité. Son regard perdu dans le vague se fixa à nouveau sur ce qui l'entourait et il prit conscience en voyant les visages interrogateurs tournés vers lui que l'on attendait une réponse de sa part. Il n'avait pas la moindre idée de la question qui lui avait été posée et encore moins du sujet que l'on venait d'aborder en son conseil et s'il avait été témoin des discussions animées auquel il avait donné lieu, c'était de son point de vue extérieur, tout aussi indifférent qu'absent aux idées que l'on pouvait bien échanger. Sans doute ressentit-il un léger remord devant cette attente pleine d'espoir de la part de ses conseillers, parce qu'il savait qu'il allait les décevoir et qu'il n'était guère à la hauteur de ces enjeux mais ce sentiment-là était si faible, si misérable face aux vagues qui emportaient son cœur, face à la profondeur du vide qui s'était creusé en son âme dans les dernières semaines qu'il disparut bien vite et qu'Henri douta même qu'il eut jamais existé. À nouveau, tout ce qu'il pouvait ressentir était submergé par une mélancolie dévorante qui se traduisait par un ennui qui le poursuivait partout, en chaque instant. Il n'avait que faire de leurs demandes ou de leurs problèmes, ce n'était plus les siens – du moins, ne parvenait-il plus à les considérer comme tels. Tout ce qui aurait du lui paraître important, tout ce qui aurait du réveiller en lui le chevalier et le comte qu'il était n'attiraient plus qu'avec peine son attention, et sans état d'âme, il avait réalisé et accepté que toutes ces parts de lui-même avaient abdiqué devant l'homme en lui, l'homme qu'il aurait dû savoir maîtriser et contrôler, voire enchaîner car il n'était que chair sans valeur ni morale et la chair menait irrémédiablement au péché, mais cet homme-là se tordait tellement sous l'effet de la douleur que même les armes du chevalier, même les intrigues du comte ou les hautes pensées du chrétien avaient renoncé à le combattre. Et en effet, le regard qu'il posa sur ses officiers, ceux qui lui avaient toujours accordé toute leur confiance, de manière vaine, ils le voyaient désormais aujourd'hui, était éteint. Où avait disparu le comte souriant et chaleureux ? Celui dont les iris brillait d'une flamme parfois colérique ou parfois amusée, celui qui mettait du cœur dans chaque tâche, dans tout ce qu'il faisait ? Tous ces seigneurs et ces chevaliers ne pouvaient qu'émettre des suppositions mais chacun d'entre eux avaient l'impression de n'avoir en face d'eux qu'une ombre du comte de Champagne qu'ils avaient connu. Vers quelles pensées noires et mortifères son esprit s'était-il penché ? Par quel monstre son cœur, autrefois si puissant, avait-il été déchiré ? Un frisson parcourut l'assemblée réunie devant l'air absent du seigneur et au prix d'un effort qui apparut presque insurmontable aux yeux de tous, Henri demanda à ce qu'on lui résume la teneur du débat dont il n'avait que faire. Anseau de Traînel échangea un regard indéchiffrable avec Brienne et Joinville, en face de lui, avant d'obtempérer mais déjà le comte, qui n'avait rien vu à la perplexité de ses hommes, avait laissé son attention dériver sur ce qui l'entourait. Il aurait dû faire des efforts pour écouter son bouteiller, il aurait dû montrer qu'il n'y avait pas là que sa simple étoffe corporelle alors que son âme en cendres semblait être partie pour un voyage dont elle ne reviendrait pas, qu'il était présent au monde, mais alors qu'il y revint, ce ne fut pas pour voir les plis soucieux du front de son vieil ami Gauthier de Brienne ou l'agitation manifeste de la plupart de ses conseillers, ce ne fut que pour constater que les rayons du soleil d'août se déversaient en un flot ininterrompu dans la salle où il se trouvait, en une lueur éblouissante qui allait jusqu'à frapper ses propres mains étrangement tordues l'une dans l'autre sur la table devant lui, réchauffant sa peau pâle, dessinant jusqu'aux veines bleutées de ses doigts. Ces mains qui lui rappelaient à chaque instant ce qui le hantait parce que leurs paumes brûlaient toujours de s'être posées sur ce qu'elles n'auraient même pas dû frôler, parce que ce sang était celui qui s'était enflammé à ce contact jusqu'à lui faire perdre la tête, lui faire perdre de vue tout ce qu'il était. Et ce qu'il avait perdu, il ne parvenait plus à le retrouver. Alors, comme cela lui arrivait régulièrement depuis deux mois, il sentit une bouffée de haine l'envahir, combler les trous qui le constituaient désormais, colmater les brèches et les fissures et soulager les blessures pendant une courte mais heureuse seconde. Il détesta avec violence l'astre lumineux, il aurait aimé pouvoir l'arracher de la voûte céleste pour le faire choir à son tour, car il ne pouvait avoir le droit de les éblouir. Plus maintenant. Plus jamais. Et Henri désira plus que tout, oubliant un instant la douleur de son cœur et l'étau qui enserrait sa poitrine, venger l'affront que lui faisait le soleil et le noyer dans son sang pour qu'une nuit éternelle, plus propre à ses pensées, puisse l'environner. Après tout, n'avait-il pas été jusqu'à assassiner un homme pour elle ? Jusqu'où était-il prêt à aller pour l'oublier ?

- Il ne faut pas sous-estimer la puissance des Reynel, comte, insistait Anseau de Traînel pendant ce temps, avec le ton véhément de celui qui a plusieurs fois répété la même phrase sans avoir été entendu, phrase qui réussit à rompre le brouillard qui environnait son seigneur et à pourfendre les idées noires pour s'imposer à Henri, qui se redressa enfin, tout en ôtant vivement ses mains de la table pour les dissimuler sur ses genoux.
- Faut-il pour autant en venir à la guerre avec eux ? Laissons-leur encore un peu de temps pour y songer, plaida Joinville, appuyé par Brienne qui rappela que des rumeurs d'affrontements prochains dans l'ouest circulaient et qu'il ne fallait pas disperser ses forces, en attendant que le roi ne convoque ses vassaux, ce qui lui attira d'ailleurs un regard noir du sénéchal qui protesta que ce n'était pas là ce qu'il avait voulu dire.
- Ils ne se sont pas présentés à la cérémonie de l'hommage au comte, s'exclama le connétable, que voulez-vous encore attendre ? D'après les rumeurs – et je les crois véridiques, ils regardent déjà du côté du roi des Romains nouvellement élu, et ils nous défient ouvertement.
De nouveau, les regards se tournèrent vers le comte de Champagne à qui revenait la décision finale de ce qu'il convenait de faire et Henri les sentit peser âprement sur lui, dans un silence assourdissant. En d'autres temps, son père avait mis à feu et à sang Issoudun, en avait démoli le donjon pour punir son seigneur d'avoir cherché à rogner sur des terres de Blois, lui-même avait envoyé des mercenaires à son frère Étienne pour qu'il puisse s'imposer à ses vassaux récalcitrants. Mais le jeune homme se taisait, comme s'il n'y avait nulle parole possible face à la vacuité de ces questions, comme s'il se trouvait face à un choix qu'il lui était impossible de faire, non parce que cela avait de trop grandes implications mais parce qu'au contraire, cela n'avait aucune importance. Il savait bien que cela n'aurait pas dû être le cas pour lui mais les fêtes qu'on avait donné en son honneur lors de sa prise de fonction officielle en tant que comte de Champagne, ce qu'il avait attendu toute son existence, ce pour quoi il s'était préparé depuis sa plus tendre enfance, étaient déjà, dans son esprit, teintées du voile de l'irréalité. Ses souvenirs de tous ces seigneurs qui s'étaient déplacés de toute la région pour venir mettre genou à terre devant lui, des grands repas qui s'en étaient suivi, des verres et des rires qui tintaient joyeusement au sein d'une soirée où c'était lui qu'on célébrait, ces souvenirs-là paraissaient bien flous dans son esprit, comme vécus dans une autre existence, dans un autre lieu où il n'aurait pas été réellement présent mais qu'il aurait observé par une fenestrelle entrouverte, résigné à l'idée qu'il ne pouvait pas y participer, faute d'être encore capable de rire ou de sourire. Des foules de visages avaient défilé sous ses yeux absents et s'il les voyait, il ne les regardait pas, car aucun d'eux, malgré leurs apprêts somptueux, malgré leur volonté d'être remarqué, ne méritait son attention. Ils n'étaient pas elle, ils ne pouvaient pas lui parler d'elle, ils ne la connaissaient même pas. Y avait-il vraiment manqué le seigneur de Reynel dans cette mascarade ? Henri n'aurait su le dire avec certitude, il avait fallu qu'on lui en fasse la remarque pour qu'il s'en rende compte. Comment leur en tenir rigueur ? Lui, il avait abandonné son cœur, sa dignité et son honneur à Blois, il était resté dans cette chambre en sa compagnie, et dans les bijoux d'or, dans les tissus richement brodés, dans les mets abondants, il la revoyait encore et toujours vaciller et s'effondrer. Comme une image obsédante qui s'était imprimée sur sa rétine avec tant de force que personne ne pourrait l'éblouir assez pour la faire disparaître.
- Comte ? Nous devons prendre une décision, l'apostropha enfin Anseau de Traînel, vous vous sentez bien ? La seigneurie de Reynel est sous la juridiction du comte de Champagne depuis longtemps et il est certain que le nouveau roi des Romains, Frédéric cherchera à marquer un coup de force à son accession au pouvoir, même s'il est votre...
- Cela suffit, l'interrompit Henri d'une voix ferme en le fixant, visage fermé, brusquement excédé par cette discussion qui n'en finissait plus, désirant soudain sortir de cet endroit au plus vite, nous ne lancerons pas d'expédition militaire contre le seigneur de Reynel. Joinville, que suggères-tu ?
- Un ultimatum ? Balbutia le sénéchal qui ne s'attendait pas à ce qu'on lui pose la question.
- Laissons-leur quelques semaines pour faire amende honorable, je n'ai pas été mis à la tête de la Champagne pour la dévaster par la guerre, approuva le comte en se relevant déjà, ce qui déclara la séance de conseil terminée au grand déplaisir du bouteiller et du chancelier qui avaient visiblement d'autres problèmes à soulever mais dont les gestes ne furent pas même aperçus du jeune homme qui les dirigeait et qui sortait à larges enjambées du lieu, les laissant presque désemparés. Aucun d'entre eux, en repliant les documents qu'ils avaient gardés sous les yeux, ne se permit le moindre commentaire mais l'humeur noire d'Henri leur parut s'être communiquée à la salle du conseil, comme si ses pensées sombres s'étiraient désormais comme des filaments au-dessus de leurs têtes, comme des nuages gris annonciateurs du mauvais temps, pesant tel un couvercle sur leurs nuques courbées et oblitérant un peu l'éclat du soleil. Sauf que si Henri avait abandonné là quelques-uns de ses soucis, il n'était pas reparti le pas plus léger ou les épaules moins basses.

Ce fut avec un soulagement palpable que le comte de Champagne put faire quelques pas hors de l'atmosphère étouffante du palais de Provins. Personne ne prêtait attention à celui qui était pourtant pleinement le maître des lieux depuis deux mois et on allait et venait dans une farandole bien réglée à laquelle le jeune homme n'appartenait pas mais dont il n'avait cure tant qu'on ne l'entraînait pas de force dans la danse. Au moins n'était-il plus la cible des regards, au moins ces serviteurs affairés n'attendaient-ils rien de sa part, et au grand air, combien même le soleil brillait encore à son firmament, Henri sentit la chape qui l'oppressait se desserrer lentement. Des rires brisèrent soudain la quiétude de cette fin d'après-midi et il vit surgir une petite troupe d'enfants qui galopait depuis les larges rues de la ville pour se réfugier dans les murs de la citadelle, à grand renfort d'exclamations et de cris de joie. Ils ne paraissaient pas perturbés par la chaleur ou par leur course et brusquement arrêtés par une charrette couverte de victuailles destinées à la table comtale qui les empêchait de passer, ils s'arrêtèrent en s'apostrophant avec enthousiasme. Pour la première fois de la journée – et peut-être davantage, il aurait été en peine de s'en souvenir, Henri, encore dissimulé dans l'ombre apportée par son palais, esquissa un sourire devant les garnements, les petits pages que l'on élevait au sein de sa cour et qui étaient destinés à devenir des chevaliers à leur tour, quand ils seraient assez âgés pour recevoir l'accolade de leur seigneur et défendre les couleurs de leurs blasons, à qui le maître d'armes avait visiblement laissé une journée de repos. Ils étaient l'image même de l'insouciance, ces jeunes garçons qui parlaient et riaient sous ses yeux, ils ne connaissaient pas encore la déception, la douleur ou la passion, cet amour si puissant qu'il apportait nécessairement souffrance. Non, ils ne pensaient encore qu'à s'amuser ou qu'à prouver leur valeur à l'image du petit meneur qui lançait quelques ordres pour contourner l'obstacle, mais un jour, il leur faudrait nécessairement grandir et cette pensée fit se rembrunir Henri. Pourquoi Dieu accordait-Il de tels instants de bonheur si c'était pour les ôter et pire encore, ne pas permettre à la conscience de saisir à quel point on est alors heureux ? Et s'il avait pensé jusque-là que les enfants étaient des êtres encore incomplets, en formation en quelque sorte, Henri se prit pourtant à songer que c'était peut-être l'âge pendant lequel l'homme pouvait vraiment être lui-même. Avant que ses intérêts ne l'aveuglent et ne lui fassent oublier qui il est et ce qu'il souhaite. Avant qu'il ne doive abandonner des parts de lui-même au cours de son chemin, s'arracher lui-même un cœur lacéré et ne finir par être qu'une ombre, une silhouette qui évolue dans un palais où nul ne le regarde et où il ne voit personne. Il leur souhaita, avec une ferveur que d'autres auraient préféré le voir mettre à l'ouvrage, de ne jamais tomber amoureux, de laisser cela aux poètes qui savaient en tirer de beaux vers et de se protéger des dames belles à se damner. Peut-être était-ce donc pour servir d'édification que Dieu le faisait souffrir le martyre ?
- Seigneur ! Seigneur ! Souhaitez-vous nous accompagner jusqu'à la lice ?
C'était le chef de la petite bande qui l'avait avisé et l'appelait à présent, fier de sa proximité avec le maître des lieux qu'il avait connu dès sa plus tendre enfance et qui prenait soin de lui depuis qu'il était orphelin.
- Vous pourriez faire quelques passes d'armes avec nous, insista le jeune André de Montmirail avant de poursuivre en fanfaronnant sur le ton qu'il employait généralement lorsqu'il se montrait complice avec Henri et qui arracha un petit rire à ce dernier, mais si vous craignez d'être vaincu, vous pouvez vous contenter d'observer tous nos progrès.
Le comte allait répondre en plaisantant à son tour mais ses yeux s'arrêtèrent sur les boucles blondes du petit garçon qui suivait de près Montmirail, comme attirés magnétiquement par tout ce qui pouvait la rappeler à lui. C'était en effet Aymeric de Déols qui s'était timidement approché à la suite du plus âgé qui avait osé interpeller le comte et un pincement de douleur serra le cœur d'Henri, lui rappelant par la même occasion qu'il était toujours là, assombrissant le visage du jeune homme et faisant disparaître d'un seul coup toute la bonne humeur et la légèreté fugace qui s'étaient emparé de lui. Il lui ressemblait tellement avec ses deux grands yeux bleus et sa chevelure dans laquelle se reflétaient les rayons du soleil que la vision de l'enfant suffit à Henri pour se souvenir qu'elle n'était pas là mais que son souvenir continuait à le hanter et à habiter cet endroit où elle avait passé plusieurs jours pour découvrir la foire, ces jours pendant lesquels il s'était aperçu qu'il lui avait irrémédiablement donné son cœur. Il dut se faire violence pour ne pas tourner les talons ou ne pas ignorer le jeune seigneur de Déols qui ne méritait pas cette attitude mais il répondit d'un ton distant :
- Je ne peux pas, j'ai des obligations, je viendrai vous voir plus tard.
Son air fermé découragea la plupart des chevaliers en herbe, d'autant que la charrette venait enfin de dégager le passage et qu'ils pouvaient filer. Seul Aymeric s'attarda un instant mais il attendit que Montmirail soit parti pour faire sa demande d'une toute petite voix, comme s'il craignait que ses camarades de jeux ne se moquent de lui :
- Comte Henri ? Serait-il possible d'envoyer une lettre à ma mère ? J'aimerais lui montrer que j'écris maintenant très bien en latin aussi et je voudrais lui donner de mes nouvelles.
Il avait levé des yeux plein d'espoir vers son parrain mais demeurait un peu en retrait, un peu rougissant, comme honteux de faire une telle requête qu'il ne devait pas juger digne du chevalier pourfendeur de dragons qu'il était mais Henri acquiesça, sa gravité se transforma en grand sourire et il décampa après avoir lancé un remerciement. Laissant derrière lui un jeune homme profondément troublé, envahi d'un terrible malaise qui lui donnait la nausée car il lui semblait que la mélancolie l'avait agrippée à nouveau, avec encore plus de force que durant le conseil, qu'elle lui montrait avec une insistance cruelle tous les endroits où elle s'était tenue, où il avait admiré les courbes de son corps si désirable, tout ce qu'il avait manqué et auquel il n'avait pas le droit. Lâchement, comme il le faisait depuis désormais deux mois, il prit la fuite. Cependant, si l'on peut quitter des lieux, on ne peut tourner le dos à ses souvenirs et à ses remords.

C'était dans le jardin qu'il retrouva sa mère. La comtesse Mathilde se promenait entre les arbres fruitiers entourée de sa petite cour de vieilles dames qui discutaient avec animation. Elle fit une pause sous une tonnelle chargée de roses blanches pour que son fils puisse la rejoindre et prendre son bras. Les plantes aromatiques et les fleurs étaient luxuriantes en cette fin d'été et s'épanouissaient dans un mélange enivrant de parfum mais une fois encore, Henri ne put que reprocher silencieusement à cette nature de se montrer aussi belle quand elle aurait du s'accorder aux sanglots qui faisaient trembler son cœur. Sa mère resta un instant silencieuse et le jeune comte crut qu'elle admirait les lys ouverts mais en retournant la tête vers elle, il constata qu'elle aussi paraissait absente et il eut un élan d'affection pour cette femme aux traits marqués par l'âge, aux coins des yeux prématurément ridés et aux mèches blanches qui se mêlaient à sa chevelure brune, dépassant de son voile strict, ces mèches qui lui allaient lui falloir bientôt couper, une affection qu'il n'avait ressenti pour sa génitrice qui n'avait jamais su montrer l'amour qu'elle portait à ses enfants, si tant elle est qu'elle eut été capable d'amour. Mais en cette journée, il se sentait en accord avec la nostalgie lisible sur son visage, plus encore, il la comprenait et vivait la même chose. Mathilde ne s'était jamais intéressée aux fleurs, mais elle était venue là, consciente qu'elle ne les verrait bientôt plus car elle arrivait au terme de son existence et car elle allait renoncer au monde. Pourtant c'était déjà l'indifférence qui prédominait, car ce monde-là continuait de tourner et de produire de la beauté même quand on était parti, sans prêter la moindre attention à ce qu'on pouvait bien ressentir. Et alors que les oiseaux auraient dû pleurer, que les fleurs auraient dû se faner et les arbres s'effondrer, la nature reverdissait encore et toujours.
- Vous êtes décidée, mère ? Finit-il par demander pour briser le silence.
Elle hocha la tête avant de répondre :
- Je placerai cette abbaye de ma fondation sous le patronage de l'abbesse Héloïse à laquelle ton père avait permis de s'installer au Paraclet, sur ses terres de Marigny. J'espère que tu me donneras les terres dont j'ai besoin, je pourrais m'y retirer dès que tu m'en donneras l'autorisation.
- Je vous le promets.
Brusquement le visage de Mathilde de Carinthie s'éclaira d'un sourire passager ce qui poussa Henri à relever les yeux mais croisant le regard de la dame Quéruel, il les détourna bien vite, brusquement gêné. Il eut pleinement conscience que la jeune femme faisait un grand détour pour les éviter ainsi que sa mère ne cachait pas sa satisfaction à l'idée que son fils n'eut plus de relation avec celle qui avait pourtant été la dame de son cœur pendant de longs mois, même si elle n'avait aucune explication sur ce qui s'était produit pour pousser les deux jeunes gens à s'éviter ce qu'Henri s'était efforcé de faire avec la méticulosité de celui que cette question obsède. Cela faisait très exactement un mois et demi que cela durait. À ce moment-là, encore, le jeune homme pensait qu'il allait pouvoir sortir la tête de l'eau dans laquelle il se noyait inexorablement. Il s'était dit qu'il parviendrait à l'oublier même s'il avait commis un faux pas irréparable en l'embrassant puisqu'il avait mis un terme à tout ce qui aurait pu en naître, à tous les espoirs qui auraient pu se développer. Il s'était imaginé qu'il les avait bel et bien détruits jusqu'à la racine, il ne lui restait donc plus qu'à se soigner des blessures que lui avait infligé l'amour. Il se sentait capable d'aller au-delà, de surmonter son cœur brisé. Puis un soir, la dame Quéruel était venue le retrouver dans sa chambre, comme elle en avait pris l'habitude lorsqu'il lui arrivait encore de penser à elle. Elle n'avait pas compris le trouble qui l'agitait, elle n'avait pas compris qu'il pensait à une autre qu'elle et avec horreur, il l'avait vue accomplir de nouveau les gestes qui l'avaient tant de fois enivré, elle avait dénoué sa longue chevelure brune puis avait laissé glisser un pan de sa robe pour dévoiler son épaule dénudée jusqu'à son sein blanc, attendant qu'il la saisisse par la taille pour la faire tomber sur le lit, se mordant la lèvre quand il avait reculé avec horreur et laissant ses yeux s'emplir de larmes quand il lui avait demandé de se couvrir. Faire comme si de rien n'était, comme s'il pouvait se contenter de ce sentiment fade qu'il avait éprouvé pour cette dame, comme s'il pouvait caresser ce corps qu'il ne désirait plus, avait été au-dessus de ses forces. Puisqu'il ne pouvait pas vivre son amour, il ne voulait plus se bercer d'illusions, autant renoncer à la joie et à l'amour car elle n'était pas là. Il pensait alors qu'il pourrait faire comme si de rien n'était. Dame Quéruel avait pleuré et protesté, il lui avait rappelé qu'elle avait sacrifié son honneur et sa vertu pour lui. Juste pour que tout se termine comme cela, par ce refus d'une terrible froideur, par ce dégoût qui se lisait dans son regard quand il la voyait. Sans lui, elle n'était plus rien et plus personne ne voudrait d'elle maintenant qu'elle s'était entièrement donnée. Il n'avait su que répondre, il lui avait uniquement ordonné de sortir pour infliger ses sanglots à quelqu'un d'autre et de ne jamais revenir. Avec le recul, il savait désormais ce qu'il aurait dû lui répliquer : lui non plus n'était plus rien.

Il s'en était rendu compte assez vite finalement. Cela avait commencé lorsqu'il avait officiellement refusé avec hauteur la proposition de mariage avec la jeune dame d'Hildesheim sans donner plus d'explication alors son cousin Frédéric de Hohenstaufen lui avait fait parvenir un message pour lui signaler qu'il aurait aimé une alliance avec lui. Il s'était ensuite aperçu qu'il ne cessait de trouver les femmes de son entourage trop futiles, trop stupides et qu'il cherchait en un sourire, en des yeux brillants n'importe quoi qui aurait pu la lui rappeler. Puis, c'était elle-même qui lui était revenue, d'abord ténue lors des journées qu'il occupait à travailler pour s'occuper l'esprit puis de plus en plus omniprésente, surtout les nuits où elle peuplait ses rêves comme ses cauchemars dont il se réveillait transi de froid malgré l'été, terriblement seul dans un lit où nulle femme ne se blottissait dans ses bras ou ne lui tenait compagnie. Parfois, dans un demi-sommeil, il tentait de la rattraper avant qu'elle ne s'effondre mais ses paumes ne se refermaient que sur le vide car elle n'était pas là. Mais à quoi bon se répéter cette phrase lancinante puisqu'il avait décidé de tout arrêter ? Puisqu'il lui avait affirmé qu'il ne ressentait rien pour elle, qu'elle n'était qu'une erreur ? Mais il gardait en mémoire sa réaction quand il avait prononcé ces mots fatidiques. Au bout de quelques semaines, il revivait même intégralement la scène durant ses nuits, sa déception visible, son vacillement, sa colère, tout cela s'entremêlait avec le goût de ses lèvres qui s'étaient posées sur les siennes, avec le frôlement de ses mains dans sa nuque quand elle avait répondu à son baiser.  Et de manière obsédante, remplaçant la constatation de son absence et du manque terrible qu'il ressentait, il se demandait si elle l'aimait, si elle l'avait aimé. Il aurait préféré savoir que c'était sans espoir, qu'elle le détestait comme elle aurait du le faire, d'ailleurs, mais si son cœur avait battu pour lui, la douleur ne s'en trouvait que plus forte. Ne pas en avoir la certitude le rendait fou et avait fini par le plonger dans cette mélancolie ravageuse, le rendant indifférent à tout, le poussant à ressasser encore et toujours ses souvenirs, jusqu'à ce qu'il ne sache plus s'il se faisait des idées ou si tout ça avait été réel. Il avait tenté de retrouver l'homme qu'il avait été avant de la connaître mais il ne l'avait plus retrouvé comme s'il avait brûlé comme son cœur à la lueur de cette étoile. Sauf que personne ne l'avait remplacé, il n'était que coquille vide.
- Je veux me retirer assez rapidement, je ne suis plus utile à cette cour, dit brusquement Mathilde après un long temps pendant lequel ils s'étaient tu, ramenant Henri au moment présent combien même était-il aussi désespérant que ses pensées, la construction de la Pommeraie devrait se terminer rapidement.
- Vous n'êtes pas obligée, mère, vous partirez quand vous le souhaiterez...
- Je n'ai pas le choix, tu sais, répliqua-t-elle d'un ton sans appel, toute ma vie, je l'ai consacrée à mon époux même si je ne l'avais pas choisi. Je suppose que je dois continuer à le faire même par-delà la mort. Je vais consacrer ma vieillesse à prier pour lui et pour son salut.
- Est-ce... ?
- C'est cela que l'on attend de nous, que l'on expie les péchés à leur place, termina-t-elle non sans une certaine amertume, pourvu que le châtiment soit plus doux dans l'au-delà.
Sur ces paroles, elle salua son fils d'un signe de tête puis le quitta pour rejoindre ses appartements, le laissait seul dans des jardins qu'il ne supportait décidément pas, troublé par cette dernière idée. Au fil du reste de la soirée, après avoir retrouvé les salles du palais, il pensait qu'il s'en serait débarrassé mais elle revint avec insistance, comme une nouvelle obsession, comme une nouvelle question sans réponse. L'amour qu'il ressentait n'était-il qu'une façon d'être puni pour ce que son père avait accompli ? Voire était-ce là ses propres péchés qui le tourmentaient avant l'heure et lui faisait subir mille souffrances parce qu'il n'avait su arrêter l'invasion de la Champagne ce qui avait conduit à l'incendie de Vitry, parce qu'il n'était parvenu à faire de sa croisade un succès, parce qu'il avait tué le seigneur de Loches ? Était-ce donc Dieu qui lui infligeait cette passion destructrice et innommable pour la femme de son frère ? Devait-il donc souffrir en silence parce le Tout-Puissant l'avait décidé ? Dieu était-Il donc aussi cruel avec les pauvres pécheurs qui ne demandaient que miséricorde ? L'amour était-il donc punition divine ? Il devait parler à Bernard au plus vite, seul l'abbé de Clairvaux et son précepteur pourrait calmer l'angoisse qui sourdait dans sa poitrine et qui le faisait littéralement suffoquer quand il s'y penchait. Il ne savait s'il était rassurant de penser que la passion qui brûlait en ses veines n'était pas sa faute mais la conséquence des erreurs de sa famille, le poids du châtiment ou si cela rendait encore ses actes plus affreux. Était-ce simplement vrai ?
- L'abbé de Clairvaux n'est pas en Champagne en ce moment, lui répondit Gauthier de Brienne quand il lui posa la question, il est à Paris auprès du roi Louis.
- Je pourrais lui écrire...
- Si vous souhaitez lui parler directement, nous ne sommes qu'à deux jours de marche, lui proposa le chevalier, d'autant plus que le roi va sans doute vouloir avoir votre position sur le mariage entre le duc de Normandie et la duchesse d'Aquitaine.
Henri médita la proposition durant la soirée mais alors qu'il sortit de la grande salle où l'on avait dansé il y avait de cela des mois, sa décision était prise. Il lui fallait quitter Provins avant de totalement étouffer. Et enfin se confier à Bernard qui était le seul à avoir des réponses à lui apporter.

Quelques jours plus tard, le comte de Champagne et sa suite organisée par Brienne qui l'accompagnait arrivait dans un palais de la Cité en pleine ébullition. Le mariage entre deux des plus grands vassaux de la couronne avait été annoncé et chacun se demandait si le roi, que l'on avait insulté, comptait réagir. Cela ne permit pas au jeune homme de parler tout de suite au très occupé abbé de Clairvaux dont la bure blanche virevoltait absolument partout, à mesure qu'il délivrait ses conseils – qui se résumaient à sauver la paix à tout prix.  Néanmoins, Henri avait bon espoir de pouvoir lui adresser quelques mots à la sortie du premier conseil pendant lequel il se contenta de se positionner comme son cousin de Nevers et d'approuver la mise sur pied d'une armée pour faire ravaler sa superbe au Plantagenêt. Pendant toute la discussion, il ne cessa de se tordre les paumes, tout entier tendu vers sa confrontation à venir avec son maître, assis aux côtés de son frère Thibaud également présent à Paris lorsqu'il était arrivé – mais seul fort heureusement. Il jetait de temps à autre des regards vers le comte de Blois mais Thibaud n'avait, semble-t-il, rien noté dans l'attitude de son aîné qu'il traitait avec toujours la même affection qui augmentait encore davantage la culpabilité qui serrait la gorge d'Henri. Comment osait-il être amoureux de son épouse ? À son grand soulagement, le conseil se termina enfin lorsqu'un Louis VII satisfait leva la séance, et ils sortirent en échangeant quelques paroles dans une grande salle où une partie de la cour était rassemblée en les attendant, avide de rumeurs sur ce qui allait se dérouler. Henri salua quelques connaissances pendant que Bernard tentait de convaincre Thibaud que c'était une mauvaise idée que de faire la guerre à son puissant voisin quand son regard balaya la foule. Et immédiatement, il accrocha une silhouette connue qui fit se figer son mince sourire forcé. Son esprit fut plus lent à prendre conscience qu'elle était là mais dès que cela fut fait, il sentit son cœur se mettre à battre d'une mesure folle. Sybille était là, en compagnie de sa jeune sœur Élisabeth d'Alluyes. Elle se trouvait devant lui, à quelques pas, seulement quelques pas et il pourrait lui adresser quelques mots, la voir sourire peut-être, s'imprégner de la chaleur de son corps qui lui avait si affreusement manqué qu'il avait l'impression qu'il ne pouvait vivre que par elle. Mais ce fut alors qu'elle releva la tête et que le regard plein d'émotion d'Henri croisa celui glacial et honteux de la dame, ce qui lui fit l'effet d'une claque et il resta là, stupidement immobile, détournant les yeux pour ne pas avoir à lui faire face. Cette arrivée à laquelle il ne s'attendait pas venait de bouleverser tous ses repères, et comme saisi d'une brusque fièvre, il ne savait plus ce qu'il faisait là. Peut-être... Peut-être pourrait-il seulement lui parler pour lui demander de briser ses derniers espoirs, de lui confirmer qu'elle ne ressentait rien pour lui comme son attitude crispée tendait à la faire croire ? Ainsi, il pourrait enfin passer à autre chose sans état d'âme et sans regret ? Prenant prétexte de la lettre d'Aymeric qu'il avait à lui donner, il s'excusa auprès du comte de Nevers qui cherchait son épouse, pour fendre la foule en direction de Sybille. Il n'avait qu'à lui tendre la lettre et lui demander l'honneur de le voir plus tard, dans un endroit plus discret. Rien d'autre, se répéta-t-il. Mais quand il arriva auprès de la benjamine d'Amboise, Sybille avait filé dans une autre direction.
- Oh comte ! C'est un plaisir de vous revoir, je n'ai jamais eu le loisir de vous remercier pour mon frère, s'écria Élisabeth.
Henri dut faire un effort considérable pour détacher ses yeux du dos de Sybille qu'il voyait s'échapper non sans frustration et écouter la conversation de la jeune femme à ses côtés.
- Le plaisir est partagé, ma dame. J'espère que vous vous portez bien. Comment va votre sœur ?
- Fort bien merci. Laquelle ? Le questionna Élisabeth, visiblement embarrassée, Sybille ? Oh, elle vient d'arriver à la cour, elle doit être un peu fatiguée par son voyage. Alors, il se dit que vous...
Mais le comte n'écoutait plus et après l'avoir remerciée, emboîta le pas à la dame à laquelle il désirait plus que tout échanger quelques mots. Cette dernière se comportait comme un animal pris au piège, allant de groupes en groupes pour échapper à son poursuivant. Henri hésita à la suivre jusqu'à Thibaud qu'elle était allée saluer mais se résigna en songeant que son attitude pouvait paraître suspecte. Le comte de Blois se trouvait en compagnie de Bernard qui vrilla sur le nouvel arrivant un regard acéré et de Mahaut de Vendôme qui devait s'inquiéter d'une possible guerre.
- Ah voilà mon frère qui saura peut-être davantage vous éclairer, dame Mahaut, s'exclama le comte de Blois.
Henri salua, tout en songeant que cette situation ne lui permettait pas d'adresser quelques paroles à Sybille. Après avoir rassuré la Vendôme qu'il détesta pour le miel qu'elle distillait dans ses paroles, il se retourna vers la jeune dame pour lui signaler qu'il avait une lettre de son fils quand de nouveau, elle leur demanda de l'excuser pour s'enfuir jusqu'à une porte où elle disparut. Une sourde colère grandit dans le cœur d'Henri. Ne comprenait-elle donc pas qu'il avait besoin de lui parler ? Trouvait-elle amusant de le laisser seul dans sa souffrance ?

Faisant mine d'être appelé à l'autre bout de la pièce, Henri quitta à son tour le petit groupe pour hésiter un instant, le temps d'être certain que personne ne s'intéressait à ce qu'il faisait puis à pas mesurés, il alla jusqu'à la porte par où Sybille s'était enfuie, et sortit à son tour, la refermant soigneusement sur lui, se trouvant dans un immense couloir. Il ne savait pas exactement où il menait, sinon à des appartements réservés à des invités sans doute et il mit quelques secondes, à cause de l'obscurité pour distinguer ce qu'il y avait devant lui. À première vue, le couloir était désert et pas un bruit ne venait perturber sa quiétude et une vague déception envahit le comte. Mais un mouvement brusque lui confirma que ce n'était pas le cas et la forme de Sybille s'enfonça soudain dans le couloir, en une marche rapide, presque affolée.
- Attendez ! S'écria Henri, je veux juste vous parler, je vous en prie !
Elle semblait décidée à ne rien en faire car elle ne ralentit pas l'allure jusqu'à parvenir à un escalier devant lequel elle marqua un temps d'arrêt qui lui fut fatal car le jeune homme, juste derrière elle, l'attrapa par le bras pour l'empêcher de fuir davantage. Si elle lui ordonna de la lâcher tout en se débattant, il ne lui obéit pas, rendu furieux par son attitude, comme si la fièvre qu'il ressentait depuis qu'il l'avait revue, s'était muée en une rage qui l'aveuglait. Sentant qu'elle le repoussait, il la repoussa vers le mur pour l'y plaquer sans aucune délicatesse dans un grognement de colère, lui arrachant un cri de surprise. Pour éviter toute nouvelle surprise, bras tendus, il posa ses paumes contre le mur froid, juste à côté de la tête de la jeune femme, la sentant plus proche qu'elle ne l'avait jamais été. Son regard chercha les pupilles bleues et de nouveau, une flambée de rage le fit trembler de la tête aux pieds :
- Vous voulez donc me rendre fou ? Cracha-t-il sans pour autant cesser de la fixer droit dans les yeux, chaque jour depuis notre dernière entrevue à Blois a été une torture car je n'ai pas pu arrêter de penser à vous, et maintenant que je peux enfin vous parler, vous me fuyez ? Cruelle que vous êtes ! Moi j'ai tout tenté pour vous oublier, je n'y suis pas parvenu, lorsque je fermais les yeux, c'est vous que je voyais, lorsque je ferme les yeux, je continue à voir votre sourire, vos yeux dans lesquels je me perds toujours et vos lèvres... Vous me rendez fou, répéta-t-il en se passant sa main sur ses paupières dans un geste d'une profonde lassitude.
Il s'interrompit un instant comme s'il cherchait à retrouver ses esprits, sentant la colère s'évanouir pour être remplacé par un profond désespoir, ce même désespoir qui l'avait habité pendant deux mois, celui qui s'était nourri de ses illusions et de ses espoirs. Il releva la tête vers elle pour constater qu'il avait plié les bras et que le visage de la jeune femme se trouvait bien trop proche mais son ton se fit suppliant :
- Je vous en prie, dites-moi que vous ne ressentez rien pour moi, dites-moi que vous m'êtes totalement indifférente, que vous me haïssez comme celui qui a détruit votre existence, dites-moi que je n'ai aucun droit sur votre cœur... Brisez mes fausses espérances, ma dame, s'il vous plaît, je veux n'être rien pour vous...
Sa bouche parlait mais il ne savait plus ce qu'il disait, il ne savait plus ce qu'il devait penser et il voulut se corriger, dire qu'il se contredisait mais comme s'il était à bout de souffle, il s'arrêta, continuant néanmoins à la supplier du regard, haletant, les yeux éperdus, attendant qu'elle parle, qu'elle le fasse définitivement s'écrouler et toucher le fond pour qu'il puisse enfin rebondir. Même si en réalité, il ignorait ce qu'il désirait vraiment qu'elle lui réponde et quelle parole il la priait de prononcer.
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[Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  Empty
MessageSujet: Re: [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.    [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  EmptyLun 30 Déc - 0:06

Adossée au mur froid, seule dans l'obscurité de l'immense couloir où elle avait trouvé refuge, la comtesse de Blois ferma les yeux et prit une longue inspiration pour calmer la sourde angoisse qui enserrait sa poitrine dans un étau et faisait battre violemment son cœur en une course effrénée. Sans la moindre douceur, elle laissa sa tête tomber en arrière et heurter la pierre, comme si une nouvelle douleur, plus raisonnée celle-ci, pouvait lui faire oublier celle qui s'était saisie de son âme toute entière et la rongeait, ne laissant derrière elle que quelques lambeaux épars de celle que Sybille avait un jour été, la veuve indéchiffrable, froide parfois, qui tenait tête à tout un chacun quoi qu'il lui en coûtât et surtout, n'aurait en aucun cas pris la fuite comme elle venait si lamentablement de le faire. Où était donc passée la dame de Déols qui s'était farouchement dressée face au jeune Henri de Champagne lors d'une grise journée d'automne et avait repoussé ses offres de protection avec la hauteur de celle qui considère qu'elle n'a besoin de rien ni personne ? Elle avait été balayée  par le souffle trop puissant d'une passion destructrice, sans ménagement, elle qui jamais ne se serait abandonnée à de tels sentiments capables de lui faire perdre tout empire sur elle-même, ceux qu'elle avait tant de fois entendu les trouvères chanter, mais le sourire aux lèvres, sans penser un seul instant qu'elle pourrait un jour en connaître les tourments qui n'étaient le lot que des grandes héroïnes ou des êtres déraisonnables. En ouvrant les yeux sur les ténèbres qui l'entouraient et ne lui laissaient qu'apercevoir une torche qui brillait faiblement au bout du tunnel sombre et sans fond que semblait être ce couloir, comme l'était son existence, Sybille songea que cette dame-là était bien loin. Elle avait disparue quelque part sur les routes de Champagne, aveuglée par le brasier que l'amour avait attisé en son âme, s'était perdue dans un regard brun, un sourire chaleureux qui en disparaissant l'avaient emportée avec eux, laissant derrière elle la simple femme désemparée, incapable de se protéger contre les élans de son cœur et la douleur qu'un tel abandon ne pouvait que traîner avec lui. Et il n'y avait dans ce couloir, dans cette obscurité oppressante, pas le moindre repère, pas le moindre signe de celle qu'avait été la maîtresse de Châteauroux, celle qu'il lui aurait fallu redevenir, au moins en apparence, car Sybille ne pouvait se permettre de pâlir ou de prendre la fuite dès lors que ses pas croisaient ceux du comte de Champagne, cela ne lui ressemblait pas et ne devait pas lui ressembler. Elle ne pouvait accepter plus longtemps de se laisser abattre, de céder à la panique qui l'avait envahi en croisant son regard dans la grande salle, de lui donner la moindre raison de penser qu'elle redoutait sa simple présence quand bien même il lui avait porté dans cette petite chambre de la forteresse de Blois un coup dont, près de trois mois plus tard, elle peinait encore à se relever et doutait d'en être seulement capable. Mais alors que, forte de cette trop faible résolution, la jeune dame envisageait de se redresser, de retourner dans la grande salle affronter qui s'y trouverait, lui revinrent brusquement et dans le chaos le plus total les souvenirs obsédants de ce baiser qu'elle avait cru ardent et de leur dernière conversation, des mots d'Henri qui s'étaient plantés avec la force d'autant de poignards dans son cœur qui en saignait toujours, et sa gorge se noua. Elle ferma à nouveau les yeux sur les ombres qui rôdaient autour d'elle et lui représentaient sans cesse la silhouette du comte dressé face à elle, lui assénant avec froideur qu'il n'avait pour elle nul autre sentiment que l'estime d'un protecteur alors qu'elle vacillait en réalisant à quel point elle avait été trompée et s'était complu dans de faux espoirs. Non, il lui fallait bien se résigner : la veuve prête à faire face à tout et n'importe quoi, trop fière pour prendre la fuite, sur laquelle la passion ne semblait pouvoir avoir de prise avait définitivement disparu, elle avait été effacée par l'amour. Sybille n'était plus cette froide dame qui avait un jour accueilli le fils du comte de Champagne comme un étranger dont il lui faudrait se méfier. Elle avait brusquement changé à la faveur d'une farandole enjouée où leurs regards s'étaient croisés, elle s'était inexorablement abandonnée en route, sans espoir de retour et en vain, puisque celui pour lequel elle s'était perdue ainsi ne l'aimait pas.

La comtesse de Blois avait toujours les yeux clos et la tête appuyée contre le mur lorsqu'une porte s'ouvrit non loin. Elle sursauta violemment en réalisant qu'il s'agissait de celle par laquelle elle avait fui la grande salle. Un instant, elle songea – espéra – qu'il s'agissait peut-être d'un sombre inconnu qui ne se préoccuperait pas d'elle, ou de sa sœur dont elle avait évité le regarde et qui devait sans doute se poser des questions sur l'attitude de son aînée. La perspective d'avoir avec Elisabeth la conversation qui s'imposait était loin de lui plaire, mais tout lui semblait préférable à la possibilité de se retrouver face à Henri qu'elle reconnut malgré l'obscurité. Elle se crispa, la gorge nouée, le cœur battant une mesure douloureuse et souhaita avec violence de pouvoir disparaître, d'être avalée par l'ombre qui la dissimulait encore, mais trop imparfaitement à son goût. Pourquoi la poursuivait-il ? Pourquoi vouloir lui imposer – leur imposer l'épreuve d'une entrevue alors qu'il avait lui-même souhaité qu'ils cessent de se voir ? Se plaisait-il à la voir se débattre alors qu'elle ne souhaitait qu'être débarrassée de son souvenir obsédant, de son image qui ne cessait de hanter ses nuits, même sans sommeil, et ses trop longues journées de désespoir ? Ne lui suffisait-il pas d'avoir piétiné son cœur dans cette chambre de Blois, fallait-il qu'il ravive lui-même la douleur alors qu'elle tentait de panser la plaie béante qu'il avait creusé dans sa poitrine ? Succédant à l'angoisse, une vive colère s'empara soudain de Sybille, une colère toute entière dirigée contre l'objet de tous ses tourments qui s'était arrêté devant la porte après l'avoir refermée et alors que quelques secondes plus tôt, elle aurait voulu se fondre dans le mur afin qu'il ne la trouvât pas, elle s'en détacha brusquement et sans un regard en arrière, s'éloigna à grande allure du jeune homme, poussée par la rage qui courait désormais dans ses veines, remplaçant pour quelques heureuses secondes la désespoir qui l'oppressait.
- Attendez ! Je veux juste vous parler, je vous en prie ! lança dans son dos la voix du comte de Champagne.
Sybille ne répondit pas. Poings serrés, elle se contenta d'accélérer sa course. Elle fuyait, encore une fois, parce qu'elle était incapable de lui faire face, en se dirigeant vers la torche qu'elle voyait briller au loin et sur laquelle ses yeux s'étaient désespérément posés, comme un repère qu'elle ne pouvait lâcher du regard sous peine de se perdre définitivement. Elle ne voulait pas lui parler. À quoi bon ? Tout ce qu'elle aurait voulu lui dire c'était à quel point elle l'aimait, au point de lui en vouloir avec une force qu'il ne pouvait soupçonner d'attiser en elle une telle passion car c'étaient là des paroles qu'elle n'avait aucun droit de prononcer, pas alors qu'elle avait en elle l'enfant de Thibaud. Cet enfant qu'elle portait déjà lorsqu'il l'avait embrassée, lorsqu'elle s'était pris à nourrir le doux espoir qu'il partageait son amour et s'était laissée aller à une déception si visible lorsqu'il lui avait assuré le contraire qu'il ne pouvait avoir été dupe de la prétendue froideur qu'elle avait tenté de lui montrer. Cette simple idée, le souvenir de cet être qui grandissait en elle mêlé à celui du goût des lèvres d'Henri sur les siennes fit naître le long de l'échine de Sybille un long frisson nauséeux qui la parcourut de part en part , lui rendit odieux le bruit des pas du chevalier derrière elle et redoubla sa colère. Comment osait-il encore la poursuivre, souhaiter lui parler ? Ses noces avec Thibaud, cet enfant dont elle ne voulait pas, ce cœur déchiré à la course aussi douloureuse qu'assourdissante, c'était à lui et seulement lui qu'elle les devait. N'en avait-il pas déjà assez fait ? Quel coup pouvait-il bien encore lui porter ? Furieuse, l'esprit en proie au plus violent des désordres, Sybille aurait souhaité pouvoir se fondre dans les ombres et disparaître, échapper à sa présence qui savait aussi bien réchauffer son cœur que le détruire, comme si le fuir ce jour-là pourrait enfin arracher à ses pensées tous les souvenirs dont il était l'objet, et à son âme la passion qu'il y avait fait naître. Les yeux rivés sur la torche, elle dut faire un effort pour ne pas céder à l'angoisse que seule la colère parvenait à dissimuler et ne pas accélérer encore, courir se réfugier là où il ne pourrait la rattraper. Le fuir, suivre la lueur vacillante qui dessinait déjà sur ses pupilles une large tâche noire tant elle la fixait, c'était tout ce à quoi elle devait songer.

La jeune dame s'était si bien laissée aveuglée par la flamme vacillante qui éclairait difficilement l'immense couloir qu'elle eut un instant d'hésitation lorsque, l'ayant dépassée, il ne resta plus devant elle qu'une volée de marches dont elle ignorait où elles menaient. Un court, très court instant et pourtant, lorsqu'elle voulut reprendre sa course, la main d'Henri se referma fermement sur son bras, l'empêchant d'aller plus loin. Un brusque frisson lui échappa et, furieuse, elle tenta de s'éloigner.
- Laissez-moi, je n'ai rien à vous dire ! lui intima-t-elle avec une fermeté dont elle ne se pensait pas capable.
Comme ses paroles restaient sans effet, elle se débattit violemment. L'affolement qui l'avait gagnée céda soudain la place à la rage aveugle, mais bienvenue à laquelle elle ne s'était encore jamais abandonnée, qui semblait être la seule à pouvoir, même un instant, soulager son âme. Mais malgré toute sa fureur, Sybille n'était pas de taille à lutter et sans lui laisser la moindre chance de lui résister, Henri la plaqua brusquement contre le mur, juste sous la torche qui avait été son seul repère, lui tirant un cri de surprise qu'elle ne put étouffer. La comtesse de Blois darda sur le chevalier un regard ardent de colère, furieuse de s'être laissée rattraper, tremblante, sans savoir si c'était la rage ou les battements effrénés de son cœur qu'elle devait en blâmer. Elle aurait voulu prendre la parole à nouveau, lui ordonner de lui laisser les lambeaux de paix qu'elle conservait depuis leur dernière conversation mais ses mots moururent dans sa gorge, arrêtés par le nœud qui s'y était soudain formé et, impuissante, elle n'en prononça pas un seul, prise au piège des prunelles brunes, douloureusement troublée par le peu de distance que laissaient entre eux ses deux mains posées de part et d'autre de son visage.
- Vous voulez donc me rendre fou ? cracha soudain Henri, chaque jour depuis notre dernière entrevue à Blois a été une torture car je n'ai pas pu arrêter de penser à vous, et maintenant que je peux enfin vous parler, vous me fuyez ? Cruelle que vous êtes ! Moi j'ai tout tenté pour vous oublier, je n'y suis pas parvenu, lorsque je fermais les yeux, c'est vous que je voyais, lorsque je ferme les yeux, je continue à voir votre sourire, vos yeux dans lesquels je me perds toujours et vos lèvres... Vous me rendez fou.
Un silence suivit ces paroles. Sybille aurait voulu pouvoir répondre, mais sa propre voix lui faisait soudain défaut, et tandis qu'une lueur d'incompréhension brillait dans ses yeux grand ouverts, son cœur s'affola dans sa poitrine, comme s'il avait compris, lui, ce qu'Henri venait de lui dire, alors que son esprit peinait à réaliser la portée de ses mots. Il avait parlé avec une colère qui avait d'abord nourri celle de la jeune dame, mais brusquement, tout s'était évanoui : la rage comme la douleur, la laissant muette et incrédule, si bien qu'elle ne se rendit compte qu'avec un temps de retard que le visage du comte était soudain tout proche du sien alors que du loin de limbes qu'elle croyait avoir oubliées, renaissait sans prévenir l'espoir qu'elle avait tant haï.
- Je vous en prie, poursuivit Henri d'une voix d'où avait disparu tout colère, dites-moi que vous ne ressentez rien pour moi, dites-moi que vous m'êtes totalement indifférente, que vous me haïssez comme celui qui a détruit votre existence, dites-moi que je n'ai aucun droit sur votre cœur... Brisez mes fausses espérances, ma dame, s'il vous plaît, je veux n'être rien pour vous...
Sa voix qu'elle n'avait jamais entendue si troublée, son regard dont elle ne parvenait plus à se détacher, tout suppliait Sybille de le repousser, de mettre des mots tangibles, terribles sur la fureur sourde qui l'avait saisie lorsqu'elle avait reconnu sa silhouette dans le couloir alors qu'elle cherchait désespérément à le fuir. Et du fond de l'agitation dans laquelle elle se trouvait, elle sentit une nouvelle bouffée de colère flamber en elle à l'idée qu'il lui demander de répéter ces phrases que lui-même lui avait asséné à Blois et qui avaient arraché son cœur à sa poitrine, ce cœur qui battait de nouveau à tout rompre, en dépit des blessures qui l'avaient jusque là laissé abattu. Pendant un instant, elle en voulut ardemment à Henri. Elle lui en voulut de lui rappeler cette scène qui ne cessait de la hanter et, immobile, de peur de ce que pourrait provoquer le moindre mouvement alors qu'il se trouvait si près d'elle, elle lui lança un regard noir.
- Comment osez-vous... ? souffla-t-elle, à peine audible.

Sybille voulut détourner le regard, se redresser, le pousser à s'éloigner mais elle était soudain incapable de faire le moindre geste et seule sa bouche parlait, laissant échapper des phrases décousues, des mots qu'elle ne pouvait retenir, comme si une fois brisé, elle ne pouvait plus retrouver le long silence dans lequel elle s'était enfermée ces trois derniers mois.
- C'était vous... vous avez souhaité que nous ne nous voyions plus. C'est vous qui auriez dû pouvoir oublier,  qui vous disiez indifférent et il faudrait...
Et il faudrait qu'elle prétende, elle, qu'elle le haïssait ? Il lui faudrait proférer un tel mensonge alors que c'était à l'amour qui la brûlait qu'elle devait le désespoir qui l'avait abattue ces trois derniers mois, la torture que son absence avait été pour elle ? Il lui faudrait lui assurer qu'il n'avait aucun droit sur ce cœur qu'il lui avait ravi depuis longtemps alors qu'il battait à tout rompre dans sa poitrine, lui rappelant combien elle l'aimait ? Il lui faudrait prétendre le contraire alors que lui non plus ne l'avait pas oubliée, alors qu'il venait de lui avouer que leurs tourments étaient les mêmes ? La jeune dame ouvrit la bouche pour poursuivre, mais les mots lui firent défaut : elle ne le pouvait pas, pas après un tel aveu. Et alors qu'elle aurait dû répondre, mettre fin à un espoir qu'ils ne pouvaient se permettre, se souvenir de ce qui l'amenait à la cour, alors qu'elle aurait dû mentir et prétendre qu'il n'était rien pour elle, Sybille abolit le peu de distance qui les séparait encore et l'embrassa. Elle plaqua presque douloureusement ses lèvres sur celles du chevalier qui hantait ses toutes pensées, avant de saisir son visage entre ses mains, comme si elle craignait qu'il ne lui échappe, le corps parcouru d'un long frisson, celui qu'elle avait déjà ressenti à Blois, lors de cette étreinte qu'elle n'avait pu oublier, ignorant la surprise qui semblait l'avoir saisi. Elle ferma les yeux, effleurant avec douceur ses pommettes sur lesquelles ses mains étaient toujours posées, mains qui glissèrent ensuite le long de la nuque d'Henri en une caresse enivrante qui fit flamber le brasier qui brûlait en elle et tous ses sens. Pourtant, étouffant un soupir, elle s'éloigna légèrement, comme si un reste de lucidité l'avait rappelée à l'ordre, mais si c'était le cas, alors il fut aussitôt balayé par les yeux bruns du jeune homme dans lesquels elle plongea les siens et se perdit.
- Je ne peux vous dire ce que vous attendez de moi, murmura-t-elle.
- Ça ne peut pas être une erreur que de vous aimer, répondit Henri dans un souffle en lui effleurant la joue.
Non, ça ne pouvait être une erreur, quand bien même il l'avait prétendu à Blois, quand bien même Sybille portait en elle l'enfant d'un autre. Sa conscience s'était égarée avec son esprit, et le souvenir de Thibaud comme celui de sa grossesse avec alors qu'elle prenait dans sa main celle d'Henri, posée sur sa joue. Tout ce qui comptait, c'étaient ces quelques mots prononcés dans un souffle qui firent manquer un battement à son cœur, la certitude, soudain, qu'elle n'avait pas espéré en vain, et leur lèvres qui se trouvèrent à nouveau, avec plus de douceur cette fois. Toujours plaquée au mur, elle passa encore une fois ses bras autour de sa nuque, effleurant tendrement ses cheveux, s'abandonnant sans détour aux tremblements de bonheurs qui la parcouraient et la douceur fit place à la passion, cette passion qui la consumait et qu'il lui avait avoué, à demi-mots, qu'il partageait. Un soupir de plaisir lui échappa. Il n'y avait que lui, tout était oublié sinon ce baiser dans lequel elle aurait voulu se perdre, qu'elle aurait voulu voir durer une éternité, parce c'était Henri qu'elle embrassait et qu'elle l'aimait désespérément. Mais brusquement, une porte claqua, cette même porte par laquelle elle s'était enfui ce qui lui semblait des heures plus tôt. Aussitôt, elle sursauta et l'esprit encore tout plein de ce qui venait de se produire, enivrée par le parfum du comte de Champagne, elle ne le laissa s'éloigner qu'à regret, ne souhaitant que de voir passer rapidement l'intrus afin de pouvoir le prendre à nouveau dans ses bras. C'est alors qu'elle tourna la tête, et que son regard tomba sur une bure dont la blancheur, aussi vive que les plumes d'une colombe, ne put laisser à Sybille le moindre doute sur l'identité de celui qui se dirigeait à grands pas vers eux. L'abbé de Clairvaux, en effet, s'approcha, les yeux plissés, presque méfiant et son regard qui croisa celui de la comtesse de Blois lui sembla comme un éclair venu la foudroyer, ramenant avec lui sa conscience, sa raison et le souvenir de ce qu'elle faisait à Paris. Sybille blêmit violemment, comme si un fantôme lui était apparu, et de fait, avec Bernard, c'est le spectre de Thibaud qui venait de s'imposer à elle. Le spectre de Thibaud et de leur enfant qu'elle portait en elle... alors qu'elle venait d'embrasser son frère. Horrifiée par son geste, elle se prit brusquement à trembler et son regard, fuyant celui de Bernard et plus encore celui d'Henri, se baissa sur ses mains tordues. Devant le poids de son erreur, l'horreur de la situation et la nausée qui l'envahit, il lui sembla qu'elle ne pourrait plus jamais redresser la tête.
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Henri de Champagne
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[Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  Empty
MessageSujet: Re: [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.    [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  EmptyMar 14 Jan - 1:06

Sans doute Henri de Champagne n'aurait-il pas du se lancer sur les traces de celle qui n'était autre que sa belle-sœur pour lui demander des explications qu'elle ne lui devait pas. Sans doute était-ce là une erreur de plus parmi toutes celles qu'il avait déjà commises, mais après coup, lorsqu'il se rendrait compte de l'étendue de sa faute, il se souviendrait surtout de son impression de perdre pied dans la réalité, de la nécessité absolue qu'il avait éprouvé de l'entendre confirmer par ses propres mots qu'elle ne ressentait rien pour lui, que cet attachement qu'elle paraissait lui avoir manifesté n'était qu'une illusion, même s'il ignorait alors ce qu'il espérait vraiment en retirer. Du soulagement ? Un signe qu'il lui fallait réellement cesser de se complaire dans ce malheur qu'il s'était à lui-même imposé ? Après coup, il se rendrait surtout compte de son aveuglement. Il aurait dû se douter qu'il ne lui fallait se retrouver seul avec Sybille de Déols, que tout ce qu'il pourrait lui-même lui dire ne ferait que les enfoncer davantage dans le piège dans lequel ils se débattaient avec d'autant plus d'énergie qu'ils ne voyaient pas de porte de sortie ni de libération possible. Mais dans un monde qui ne lui semblait n'avoir plus aucune importance, le visage de Sybille, son regard froid, son ton indifférent, tout cela était le seul point de repère que son cœur reconnaissait, le seul auquel se raccrocher. S'il perdait l'espoir que les yeux de la jeune femme ne se feraient plus jamais doux pour lui, que son ton ne serait plus accueillant, que ses lèvres ne pourraient plus s'écarter en un sourire qui lui serait adressé, peut-être pourrait-il alors se tourner vers un autre futur dans lequel elle ne serait plus là, ou alors seulement comme une ombre qui obscurcirait son ciel mais sans peser sur ses épaules jusqu'à l'en faire étouffer de douleur. Sans doute le comte n'aurait-il pas du se laisser envahir par la colère, la colère sourde qui le faisait trembler de rage lorsque la dame de Déols avait tourné les talons pour tenter de le fuir. Mais elle n'avait pas le droit de lui échapper, de le laisser seul suffoquer dans sa toile d'araignée, pas le droit de se voiler la face pendant que lui voyait à quel point leur situation était désespérée. S'il était perdu, elle seule pouvait lui indiquer le chemin – à moins qu'elle ne décidât de se perdre avec lui. Il avait fini par réussir par la saisir pour la plaquer contre le mur, juste sous une torche qui creusait les traits de la jeune dame, la rendait encore plus pâle et aussi rapidement qu'elle était venue, la colère reflua jusque dans son cœur qui tressaillait dans sa poitrine, comme s'il voulait prouver qu'il n'était pas encore entièrement calciné et qu'il reconnaissait sa maîtresse et son bourreau. Ce cœur qui, loin de vouloir se détacher de celle qui le torturait, voulait encore davantage s'offrir à elle, se déposer entre ses mains et accomplir le sacrifice ultime pour elle. S'il battait, c'était pour elle. Si elle ne voulait plus qu'il batte, et bien il obéirait et il mourrait. Henri, lui, ignorait ce qu'il désirait entendre de la bouche de Sybille. Ses paroles réclamaient l'indifférence et la froideur mais la voix qui les prononçait était comme étrangère, comme appartenant à un autre homme, celui qui avait été en colère et qui n'avait existé que pendant quelques courtes secondes. Derrière la supplique, peut-être fallait-il davantage entendre la prière du cœur, celui qui s'impatientait d'entendre les mots fatidiques, celui qui voulait être aimé et qui tremblait de se trouver repoussé. Et si le jeune homme empêchait Sybille de partir, en la gardant plaquée contre le mur glacial du couloir, en la cernant de ses bras tendus, il avait l'impression que c'était lui qui se trouvait à la merci de la jeune femme, qu'elle était celle qui avait le pouvoir dans cet échange, celle qui pouvait avancer son pion dans la partie qu'ils avaient commencé depuis fort longtemps, depuis une visite impromptue après la croisade où il était allé se présenter à la veuve d'Abo, avancer sa dame pour le faire échec et mat, renverser le roi et tuer le fou. Elle pouvait mettre un terme à ce jeu malsain dans lequel ils s'étaient engagés, non sans laisser son adversaire brisé. Tout reposait sur elle, mais Henri, s'il avait pu réfléchir au calme, si ses pensées n'étaient pas totalement brouillées, se serait vite aperçu que ses espoirs entremêlés seraient forcément déçus. Car quel qu'aurait été le mouvement de son pion sur l'échiquier, elle ne pouvait pas remplir toutes ses attentes contradictoires.

- Comment osez-vous... ? Souffla Sybille en lui lançant un regard noir.
Il perdait pied à nouveau, il aurait voulu lui hurler qu'il n'avait pas le choix, que s'il voulait vivre, tout dépendait d'elle, car depuis qu'ils s'étaient quittés, il n'était plus l'ombre que lui-même. Il aurait voulu avoir le courage de lui expliquer ce qu'il ressentait, pourquoi il lui avait menti avec tant d'aplomb trois mois auparavant à Blois, ce qu'il lui prenait de venir tout lui avouer alors qu'elle était une femme mariée et qu'il commettait de nouveau un péché impardonnable, en osant aimer celle qui faisait partie de sa famille. Mais sa gorge serrée devant la colère de la jeune dame ne lui permit pas d'apporter des explications. Il ne parvint pas à déglutir et la certitude de décevoir Sybille lui fit presque monter les larmes aux yeux.
- C'était vous... Vous avez souhaité que nous ne nous voyions plus. C'est vous qui auriez dû pouvoir oublier, qui vous disiez indifférent et il faudrait...
Était-ce là son châtiment ? Celle de recevoir une nouvelle blessure, puisqu'elle lui rappelait qu'il n'était qu'un parjure honteux ? Mais comment pouvait-elle seulement imaginer qu'on pouvait rester indifférent à l'éclat qu'elle diffusait autour d'elle ? A sa beauté et sa grâce qui irradiaient chacun de ses mouvements ? Au goût délicieux de ses lèvres qu'il aurait désiré goûter encore et encore ? Face à cela, l'oubli n'avait aucune chance, pas quand toute son existence paraissait s'articuler sur cet instant. Mais encore une fois, il garda le silence, notant le trouble qu'elle laissait voir, le prenant pour de l'énervement. Désespéré, haletant comme un marin qui venait de faire naufrage et qui espérait tout de la personne qui venait de le recueillir, suspendu aux paroles de la dame, il attendit son jugement. Suspendu à une force qu'il ignorait posséder, il attendit de sombrer de manière définitive, de se laisser gifler par la colère de la jeune femme. C'était à son tour de le faire souffrir, de lui transpercer l'âme de son glaive pour le laisser gisant dans la mare de son sang, dans une nuit éternelle seulement éclairée par la lueur de la flamme de la torche imprimée sur sa rétine, comme le feu éternel d'un Enfer où les menteurs, les incestueux et les assassins subissaient les tourments éternels. Sauf que son Enfer serait sur terre. Rien dans l'expression de Sybille, dans le silence terrifiant qui les oppressait, rien ne prépara Henri à ce qui allait se produire. Un dernier sursaut de conscience, ce mauvais génie qui vivait en lui pour lui rappeler en chaque instant qu'il n'était pas digne de son nom, le fit croire qu'il était parvenu à ses fins à Blois cette journée-là, qu'elle le haïssait assez pour le repousser sans hésiter. Il aurait voulu fermer les yeux, dissimuler les larmes qui troublaient son regard brun, lui cacher enfin ce qu'il ressentait vraiment, comme pour se protéger mais il continua à la fixer. Et il la vit alors distinctement se mettre sur la pointe des pieds et son visage se rapprocher du sien. En un instant, et avant qu'Henri ne puisse comprendre ce qu'il lui arrivait, il sentit la douceur des lèvres de Sybille sur les siennes.

Il n'avait pas oublié son goût et son odeur, il ne se rappelait juste pas à quel point elle était enivrante, à quel point elle lui avait manqué durant ces longues semaines. Leurs bouches s'épousèrent en une union parfaite et Henri sentit le souffle erratique de la jeune femme aussi violemment que la chaleur du baiser et la proximité du corps de la jeune femme. La surprise l'avait saisi mais aucune pensée cohérente ne parvint à se faire jour dans son esprit, et seul son cœur qui avait compris avant lui ce dont il retournait s'était mis à battre avec frénésie, recollant les divers morceaux en lesquels il s'était brisé, renaissant de ses cendres dans les flammes de la passion comme le phénix. Le jeune homme eut le sentiment qu'il allait exploser et jaillir hors de sa poitrine tant il martelait son propre rythme, redistribuant un sang rougeoyant aux membres de son propriétaire, le faisant retourner à la vie qu'il avait tant détestée. Et Sybille continuait à l'embrasser, à presser sa bouche contre la sienne, continuant à panser les plaies, colmater les blessures encore ouvertes, le guérissant de tout le désespoir qui l'avait emporté, lui rendant son souffle. Elle effleura de ses mains les joues d'Henri, les laissant glisser sur sa nuque pour s'accrocher à lui en une caresse qui fit s'embraser le sang du jeune femme et le remplit d'un désir ardent qui lui rappelait que c'était à elle qu'il voulait se donner et qu'elle était la seule qu'il voulait faire sienne. Tous les gestes, tous les mouvements vains qu'il avait exécutés mécaniquement étaient effacés, il avait enfin retrouvé sa place, il n'existait que pour aimer Sybille et le souffle qu'elle lui rendait lui prouvait qu'elle n'était pas le châtiment envoyé par Dieu, qu'elle n'était pas non plus une simple erreur ou une voie de perdition. Elle était un port pour le naufragé qu'il était, son regard n'était que le guide qui lui évitait de se perdre dans les errances de l'existence, ses lèvres redonnaient vie et espoir, car elles étaient le goût même de cette vie, elles en chassaient l'amertume et la douleur. Et Henri comprit qu'il était vain de lutter, chaque fibre de son être aimait Sybille, et réclamait la place à ses côtés. Il sentit ses muscles se détendre et commençait à répondre au baiser quand dans un soupir, elle s'écarta et se détacha de lui. Lorsque leurs regards se croisèrent, ils s'accrochèrent pour ne plus se quitter et Henri se noya dans le bleu profond de ses pupilles, sentant une profonde joie remplacer la souffrance dans son ventre. Comment avait-il pu la repousser quand tout dépendait d'elle ? Comment avait-il pu penser qu'elle n'était qu'un instrument d'un punition divine quand Dieu n'était Lui-même qu'amour et qu'Il lui permettait de toucher du bout du doigt une telle félicité, un avant-goût d'un paradis où les hommes renaissaient dans la béatitude ? S'il lui était permis d'embrasser Sybille, de sentir sa paume dans la sienne et d'être l'unique objet de ses sourires, alors plus jamais il ne serait malheureux, et les menaces du Jugement dernier n'auraient plus aucune importance puisqu'avec Sybille, il ne pourrait jamais se damner. Elle était la bonté et l'amour, la vie elle-même.

- Je ne peux vous dire ce que vous attendez de moi, murmura-t-elle.
- C'est la réponse qu'attendait mon cœur, répliqua Henri dans un souffle en levant doucement sa paume et en effleurant sa joue qu'il trouva bien froide, car ça ne peut pas être une erreur que de vous aimer... Non...
Son souffle se coupa sur ce dernier mot alors que Sybille posait sa main sur la sienne et qu'un frisson le parcourut entièrement quand il sentit sa peau si douce contre la sienne. Son esprit confus retrouvait peu à peu la clarté et il comprit que sa défaillance à Blois avait été réelle, que tous les signes qu'elle lui avait laissé apercevoir en Champagne étaient fondés. La réponse qu'elle lui avait fourni valait en effet toutes les paroles, elle éprouvait des sentiments pour lui, elle l'aimait ! Et dans l'ivresse qu'il éprouvait, il fut celui qui se pencha vers elle cette fois-ci, pour effleurer tendrement ses lèvres dont il n'aurait pu se lasser, sentant la chaleur de son corps si proche de lui, prisonnier entre le chevalier et le mur inhospitalier mais qui gardait le secret de la révélation qui s'était imposée à eux. Tout était oublié, les questions, les douleurs ou les interdits, rien n'existait plus que Sybille, sa lèvre qu'il mordillait, les bras qu'elle avait passé autour de sa nuque pour s'abandonner à lui et soudain, une passion brûlante les dévora. Henri plaqua sa bouche contre celle de Sybille, sentit leurs souffles se mêler, laissant ses mains laisser les joues de la jeune femme pour glisser lentement sur son cou puis ses épaules où ils caressèrent les boucles blondes toujours aussi indisciplinées. Oubliée aussi cette porte qui pouvait s'ouvrir à tout moment et derrière laquelle s'agitait une cour de serpents et la réalité, le jeune homme, fou de désir et d'amour, fit légèrement glisser l'étoffe de la robe de Sybille pour dévoiler son épaule et passa le pouce sur la ligne que formait sa clavicule, non sans continuer de l'embrasser à en perdre le souffle. Et l'esprit. Elle le voulait autant que lui, il le savait désormais, elle l'aimait, lui, celui qui n'avait pourtant rien faire pour lui être aimable ou estimable. Leurs deux cœurs battaient la chamade à l'unisson. Mais son geste et le baiser furent interrompu par un claquement et un puissant instinct le poussa à se détacher de Sybille et à s'écarter de cette étreinte si passionnée, même s'il ne savait plus où il était ni même qui il était. C'était cette fameuse porte qui venait de s'ouvrir puis de se refermer brusquement, et avec horreur, Henri constata qu'ils avaient été surpris. Un intrus venait de s'introduire ce qui avait été là leur cachette et malgré l'obscurité, il avait sans doute vu que le couple devait lui se tenait enlacé. Henri maudit cette lumière qui les trahissait mais avec un aplomb qu'il était loin de ressentir, il se retourna vers la silhouette qu'il distinguait du coin de l’œil et qui lui paraissait avancer vers eux. Une silhouette blanche qui fut comme un coup de poignard car de tous ceux qui auraient pu les voir, Bernard de Clairvaux était sans doute le moins indiqué pour se montrer compréhensif. Pourtant le doute n'était pas permis, la bure blanche de l'abbé cistercien indiquait son identité et Henri se décomposa, réticent à faire face à son précepteur dont il ne voyait pas l'expression du visage mais dont les deux yeux brillaient dans l'obscurité d'une lueur perçante. Il comprit en un éclair qu'il était vain d'espérer qu'il s'en sortirait facilement.

- Ça alors, s'exclama son précepteur, je ne m'attendais pas à vous trouver là, dame Sybille ! Ni toi, d'ailleurs, Henri...
Un silence gêné accueillit ces premières paroles et le comte de Champagne évita soigneusement de se tourner vers la jeune femme, fixant sans baisser les yeux l'abbé qui se trouvait devant lui sans faire mine de s'éloigner, comme s'il attendait réellement une réponse.
- J'avais quelques mots à échanger avec dame Sybille, parvint-il à prononcer tout de même, comme si cela lui demandait un effort considérable mais il fut coupé par la vivacité avec laquelle Bernard se tourna vers lui, une vivacité qui aurait pu laisser penser que Bernard n'était pas dupe et qu'il n'appréciait guère le mensonge qu'on venait de tenter de lui faire croire.
- Il y a d'autres endroits pour échanger « quelques mots » qu'un couloir aussi sombre que celui-ci, surtout lorsque nous parlons de guerre et d'actions punitives contre le comte d'Anjou, répliqua le vieil homme avec sécheresse d'une ton qui ne souffrait aucune contradiction.
- Où alliez-vous, mon père ? Tenta Henri.
- Dans mes modestes appartements que l'on m'a accordé non loin des couloirs de services, je devais aller récupérer une lettre... Mais j'en ai désormais une à écrire.
L'abbé de Clairvaux se retourna vers Sybille si bien que le jeune comte osa un regard vers la dame qu'il aimait. Elle ne les observait pas et son visage, baissé, restait dans l'ombre dans un puissant contraste avec le haut de sa tête éclairé par la torche, soulignant les volutes du voile qui tombaient autour d'elle, lui donnant une allure de pénitente. Tout en leur attitude respirait la faute mais Bernard ne fit pas de remarque et commença à s'éloigner. Henri, entièrement tendu, crut que cette affaire allait se terminer-là mais juste avant d'être avalé par l'ombre en descendant l'escalier devant lequel le jeune homme avait arrêté Sybille, le vieil homme se retourna et lança en direction de la dame :
- Si je suis aussi étonné de vous trouver là, comtesse, c'est que vous aviez une annonce à faire à votre époux. Ne tardez pas trop, nous sommes tous impatients de l'entendre.
Trop heureux de ne plus sentir sur lui ce regard lourd de reproches, Henri ne releva pas et quitta immédiatement le mur contre lequel il s'était adossé pour rejoindre la jeune femme et saisit son menton pour lui relever la tête d'un geste tendre et saisir à nouveau son regard bleu qu'il découvrit obscurci.
- Sybille ? Souffla-t-il, tout va bien ?
Il se pencha pour déposer un baiser dans le creux de son cou, là où elle avait précipitamment replacé l'étoffe qu'il avait ôté, la trouvant tendue et tremblante. Il aurait aimé la serrer dans ses bras, la rassurer aussi fit-il glisser ses mains lentement le long de ses bras, effleurant sa poitrine pour les placer sur ses hanches mais il fut arrêté avant par un geste ferme de la jeune femme qui le repoussa. Étonné, Henri s'interrompit et releva la tête pour la fixer droit dans les yeux, inquiet. Il ne l'avait pas lâchée mais ses mains ne bougeaient plus alors que son visage affichait un air interrogateur.
- Écoutez, nous allons pouvoir arranger tout cela, c'est possible, commença-t-il d'une voix d'abord faible puis de plus en plus assurée, vous êtes mariée mais les mariages peuvent se défaire, de nombreux sont facilement rompus pour non-consommation et ensuite...
Ensuite, elle pourrait épouser qui bon lui semblait, ensuite il pourrait peut-être passer une bague à son doigt et lui donner son nom et son cœur devant Dieu et les hommes. Ensuite, un avenir si glorieux et si splendide s'ouvrait à lui qu'il en balbutia et ne parvint pas à finir sa phrase. Mais la jeune femme le repoussa encore plus violemment tant et si bien qu'il dut se détacher d'elle et malgré son étonnement et la peine qu'il ressentait, il parvint à saisir ses mains pour les garder dans les siennes.
- Si vous m'aimez autant que je vous aime, nous trouverons une solution, ma dame..., murmura-t-il avec empressement, les amoureux trouvent toujours une solution...
Il crut voir une larme briller sur la joue de Sybille, laquelle arrêta son geste lorsqu'il leva la paume dans le but de la lui ôter.
- Je vous en prie... Je vous en prie, répéta-t-il, la voix brisée, se rendant soudain compte qu'elle lui dissimulait quelque chose.
Il ne savait plus vraiment pourquoi il la suppliait. Après coup, lorsqu'il serait retourné dans ses appartements pour pleurer toutes les larmes de son corps, jusqu'à devenir entièrement vide et sec, il se dirait qu'une sorte de prémonition l'avait saisi et qu'il s'était de toute son âme refusé à apprendre ce qu'elle était pourtant obligée de lui dire. Comme si son cœur avait su avant son esprit qu'elle allait finir par le tuer d'un glaive d'autant plus tranchant qu'il ne s'était douté de rien.
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Sybille de Déols
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[Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  Empty
MessageSujet: Re: [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.    [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  EmptyJeu 23 Jan - 22:03

Peu importait la situation, cette porte qui menaçait de s’ouvrir à tout moment, cette nouvelle qu’elle était venue annoncer à Thibaud et qui n’aurait jamais dû quitter son esprit, pendant quelques instants et pour la première fois depuis de longs mois, Sybille fut heureuse. Le poids qui l’oppressait continuellement et pesait lourdement sur sa poitrine, le vide douloureux laissé par son coeur en lambeaux, tout cela s’était envolé à l’instant où, encore tressaillante de l’avoir embrassé, son regard s’était perdu dans celui d’Henri, lorsqu’il avait prononcé ces quelques mots qu’elle n’osait plus espérer tout en brûlant de les entendre. Tout semblait s’être effacé, il ne restait plus aux yeux, à l’esprit de la jeune femme que le chevalier, la tendre caresse de sa main sur sa joue, la chaleur rassurante de son corps tout près du sien, son parfum enivrant et ses paroles qui n’étaient qu’un souffle, qui n’appartenaient qu’à eux mais avaient assez de force pour redonner vie à son coeur, comme si celui-ci voulait prouver qu’il était toujours là, prêt à se lancer dans une nouvelle course folle, comme s’il voulait montrer que c’était bien à Henri qu’il appartenait et que lui seul avait le pouvoir de lui insuffler ou lui ôter la vie. Comment aurait-il pu en être autrement ? Comment le moindre souvenir de la réalité douloureuse dans laquelle Sybille s’était noyée ces trois derniers mois aurait-il pu s’imposer à elle quand celui pour lequel elle brûlait venait de lui murmurer qu’il l’aimait ? Quand elle comprenait qu’elle ne s’était pas bercée de vains espoirs, qu’il ne pensait pas réellement les mots qui l’avaient fait vaciller à Blois ? Quand elle sentait une joie incomparable l’envahir, la délivrer des limbes sinistres qui l’avaient happée et dans lesquelles elle se débattait en vain jusque là ? Non, lorsqu’elle posa sa main sur celle du jeune homme, la comtesse avait bel et bien tout oublié, son esprit avait repoussé bien loin de sa conscience la cruelle vérité, et tous les interdits, la laissant soudain convaincue qu’un si grand bonheur ne pouvait être un erreur. Et forte de cette conviction et de l’amour qui ne la consumait plus mais réchauffait tout son corps, lui rappelant ce qu’était la vie, elle répondit avec tendresse au baiser d’Henri dont les lèvres se posèrent avec douceur sur les siennes, comme pour sceller les mots qu’ils venaient de prononcer, les graver en eux et leur donner tout leur sens. Sybille passa ses bras autour de la nuque du chevalier, dans un abandon bien peu digne de la comtesse de Blois dont le mari hantait la grande salle du palais, non loin de ce couloir bien indiscret, mais cette dame-là n’existait plus. Alors que la passion les emportait, rendant leurs souffle haletants, recouvrant ses idées d’un voile opaque, elle n’était plus que cette femme éperdument amoureuse qu’elle avait tenté en vain d’oublier, de faire disparaître derrière le devoir, la colère ou l’indifférence. Elle sentit avec délice les mains d’Henri descendre le long de son cou pour aller un instant se perdre dans les mèches blondes qui retombaient éparses sous son voile, puis glisser sur l’une de ses épaules qu’il découvrit légèrement. Sybille ferma les yeux, savourant sans cesser de l’embrasser la douceur d’une caresse qui oubliait toute prudence. Mais au diable la prudence, tout ce qui aurait dû l’alerter ce qui se produisait avait été annihilé par la passion qu’elle ressentait, et dans un soupir, elle l’embrassa de plus belle, tressaillant alors qu’il effleurait sa peau. Le temps aurait pu s’arrêter en cet instant, sans doute l’aurait-il dû, car elle n’avait nul autre désir que de rester là, de se blottir contre lui, de lui dire à quel point elle l’aimait, quand bien même il n’existait sans doute pas de mot pour décrire son bonheur à l’idée qu’il l’aimait aussi. Lui dire qu’elle était sienne, coeur et âme. Seulement, Sybille avait oublié que son corps ne lui appartenait plus.

La porte qui claqua, la distance qu’il fallut bien remettre entre eux, la silhouette reconnaissable de l’abbé de Clairvaux se chargèrent brusquement de le lui rappeler. Le souffle encore court, la dame de Déols remit précipitamment en place l’étoffe qu’Henri avait fait glisser sur son épaule, geste qui aurait pu lui faire monter le rouge aux joues s’il ne lui avait pas attiré un regard perçant du vieil homme dont l’éclat lui noua la gorge. Avec son intrusion, c’est la réalité qui heurta violemment Sybille et lui fit prendre conscience de ce qu’elle avait fait. Comment avait-elle pu oublier ? Comment avait-elle pu s’abandonner ainsi, se laisser si aisément emporter par la passion alors qu’elle portait l’enfant de Thibaud, que c’était pour cette seule raison qu’elle se trouvait à la cour ? Bien loin de rougir, elle se sentit plutôt blêmir, tandis que l’éclat de la torche qui brûlait toujours au-dessus d’elle éclairait les traits sévères de l’abbé, traits qu’elle n’observa qu’un court instant avant de détourner les yeux, comprenant à son expression qu’il en avait bien trop vu.
- Ça alors, lança-t-il, je ne m'attendais pas à vous trouver là, dame Sybille ! Ni toi, d'ailleurs, Henri...
Sybille ne put que baiser la tête, non sans avoir évité le regard d’Henri, la gorge bien trop nouée pour que le moindre mot puisse en sortir. Elle eut la sensation d’être dévisagée de haut en bas, comme si l’obscurité dans laquelle ils baignaient tous les trois malgré la faible lueur de la torche ne pouvait lui être d’aucun secours, comme si sa pâleur était évidente et pire encore, la légère rondeur que dessinait son ventre, même habilement dissimulée sous les étoffes de sa robe. Son ventre qui portait l’enfant de son époux, alors même qu’elle venait d’embrasser le frère de celui-ci, et de lui avouer à demi-mots qu’elle l’aimait.
- J'avais quelques mots à échanger avec dame Sybille, répondit Henri alors que le coeur de la dame de Déols se serrait, songeant qu’il ne se doutait pas un instant de la raison pour laquelle ils n’auraient jamais dû se retrouver seul à seul.
- Il y a d'autres endroits pour échanger « quelques mots » qu'un couloir aussi sombre que celui-ci, surtout lorsque nous parlons de guerre et d'actions punitives contre le comte d'Anjou, rétorqua sèchement l’abbé de Clairvaux, loin d’être dupe.
- Où alliez-vous, mon père ?
- Dans mes modestes appartements que l'on m'a accordé non loin des couloirs de services, je devais aller récupérer une lettre... Mais j'en ai désormais une à écrire.
A ces mots, Sybille sentit qu’il l’observait à nouveau, mais garda obstinément la tête baissée, trop occupée à observer ses mains se tordre nerveusement. Pendant un court instant, elle crut qu’il en avait terminé, qu’il allait rejoindre ses appartements et la délivrer de ses yeux perçant, mais alors qu’elle réalisait avec horreur qu’elle s’était mise à triturer sans en avoir conscience l’anneau que le comte de Blois avait passé à son doigt quelques mois plus tôt, la voix de l’abbé se fit entendre une dernière fois.
- Si je suis aussi étonné de vous trouver là, comtesse, c'est que vous aviez une annonce à faire à votre époux. Ne tardez pas trop, nous sommes tous impatients de l’entendre, lança-t-il, poussant l’intéressée à lever brusquement la tête.
Elle croisa son regard, sévère et désapprobateur malgré l’ombre des escaliers qui l’avait déjà presque entièrement avalé, et à l’instant où il disparaissait entièrement, elle comprit qu’il se doutait de quelque chose. Qu’il soupçonnait, lui, ce qui l’avait amenée à voyager de Blois à Paris dans le seul but de parler à Thibaud. Cette idée la laissa tendue, effrayée, prunelles fixées sur l’ombre dans laquelle venait de disparaître l’abbé de Clairvaux, immobile, tant et si bien qu’elle sursauta violemment lorsque le comte de Champagne se rapprocha soudain d’elle.

C’est à cet instant précis, alors qu’il lui saisissait tendrement le menton pour la pousser à lever la tête que toute l’horreur de la situation apparut à Sybille. Qu’elle eut conscience de ce que les quelques instants de bonheur auxquels elle avait s’était abandonnée allaient lui coûter. Elle le comprit lorsqu’elle croisa ses yeux bruns, lorsqu’elle l’entendit prononcer son nom, réalisant qu’elle avait non seulement commis la plus grande des erreurs, mais qu’elle allait désormais devoir le lui avouer, là, à cet endroit même où l’aveu de son amour lui avait échappé, qu’elle n’avait été un court moment heureuse que pour rendre la chute plus dure encore.
- Sybille ? Tout va bien ? murmura Henri dont elle ne put supporter le regard.
Pétrifiée à l’idée de ce qu’elle avait fait et de ce qu’il lui fallait faire, la jeune dame ne put prononcer le moindre mot, ni l’empêcher de se pencher dans son cou pour y déposer un baiser, délice et torture sans nom qu’il lui infligeait alors qu’elle se rendait compte qu’elle s’était mise à trembler. Elle se mordit la lèvre pour retenir les pleurs qui menaçaient de lui échapper, luttant contre sa gorge nouée, incapable de réagir jusqu’à ce qu’elle ne sente les mains d’Henri glisser le long de ses bras. En un éclair, elle comprit son intention, qu’il voulait la serrer contre lui, elle qui ne rêvait que de se blottir dans ses bras, mais elle l’interrompit avant qu’il ne puisse poser ses mains sur ses hanches et découvrir par lui-même ce qu’elle n’osait lui dire.
- Non… souffla-t-elle posant ses deux mains sur ses épaules pour arrêter son geste.
Elle aurait voulu parler, mais il leva la tête et plongea dans ses yeux qu’elle sentait brillants de larmes un regard qui lui serra encore un peu plus la gorge, car il lui sembla inquiet dans la lumière vacillante que la torche répandant sur son visage sans y laisser la moindre ombre. Comment parler, alors qu’il lui apparaissait aussi clairement qu’à son tour, elle allait le décevoir, et le blesser, revenir sur les mots pourtant si sincères qu’elle s’était assez oubliée pour lui souffler ? S’il l’aimait, s’il espérait comme elle avait pu le faire trois mois plus tôt, alors elle ne savait que trop bien ce qu’elle allait saccager, sauf que cette fois c’était la vérité crue et cruelle qu’il allait lui falloir imposer. Elle l’avait embrassé alors qu’elle était enceinte de son frère.
- Écoutez, nous allons pouvoir arranger tout cela, c'est possible, lui assura le jeune homme puisqu’elle ne se décidait pas à parler, vous êtes mariée mais les mariages peuvent se défaire, de nombreux sont facilement rompus pour non-consommation et ensuite...
Sybille avait l’impression que son coeur se déchirait lentement, comme si le supplice se plaisait à durer alors qu’elle était incapable d’y mettre fin, chacun des mots qu’il prononçait agrandissant un peu plus la déchirure, parfois un peu plus violemment. Elle aurait voulu l’interrompre, l’empêcher de prononcer cette dernière phrase mais elle ne put que le repousser vivement, les mains appuyées sur ses épaules, comme si elle avait soudain besoin eu d’air. De fait, la jeune dame avait la brusque sensation d’étouffer. Jamais elle n’avait aussi ardemment souhaité entendre des paroles qui n’étaient pourtant que vaines espérances, car s’il y avait bien une chose que l’on ne pourrait faire croire à qui que ce soit, c’était que son mariage n’avait pas été consommé. La preuve était là, dissimulée sous d’amples étoffes, aussi lourde à porter qu’un enfant à naître dont elle ne pouvait plus nier l’existence. Sentant la nausée l’envahir, Sybille voulu s’éloigner, se détacher de ce mur qui garder le souvenir de leurs baisers, mais les mains d’Henri s’étaient refermées autour des siennes et elle n’eut pas la force de les lui arracher.
- Si vous m'aimez autant que je vous aime, nous trouverons une solution, ma dame… les amoureux trouvent toujours une solution...
Elle se figea et l’espace d’un instant, son regard s’accrocha au sien. Il l’aimait. Il l’aimait au point de l’embrasser avec la tendresse et la passion qui les avaient emportés un peu plus tôt, de chercher à la séparer de Thibaud alors même qu’il était à l’initiative de ce mariage. Il l’aimait comme elle l’avait rêvé, comme elle l’avait si ardemment espéré, et alors qu’il prononçait ces quelques mots… elle devait le repousser, ignorer que son coeur, malgré la large déchirure qui le séparait en deux, venait encore de frémir, et mettre un terme à tout ce qui n’avait jamais réellement commencé. A cette pensée, une larme eu raison de la force avec laquelle elle luttait et roula seule sur sa joue. Sybille vit distinctement Henri approcher sa paume mais elle arrêta vivement son geste et, posant ses deux mains sur la sienne, elle l’éloigna.
- Il n’y a pas de solution, souffla-t-elle, presque inaudible.
Elle se sentit faiblir alors qu’il la suppliait, la voix brisée, en songeant que cette fois encore, elle ne pouvait lui dire ce qu’il attendait, mais puisant dans des forces vacillantes, elle retint d’autres larmes et enfin, elle murmura :
- Je suis enceinte.

Sa voix n’avait été qu’un souffle, à peine audible, et pourtant elle lui sembla résonner avec un fracas insupportable, tout aussi insupportable que la façon dont Henri recula, précipitamment, pour s’éloigner d’elle. Elle ressentit avec douleur la brusque distance qui les séparait, et si le supplice était désormais terminé, si son coeur avait enfin violemment été déchiré en deux morceaux, elle n’en ressentit aucun soulagement, seulement une vive souffrance qui lui vrillait la poitrine et faisait à nouveau monter les larmes à ses yeux qu’elle ne leva que pour se porter seule un nouveau coup en voyant quel effet la nouvelle avait eu sur les traits d’Henri.
- J’aurais tant voulu que ce soit possible, que ce cauchemar se termine, souffla-t-elle, mais…
Elle s’interrompit brusquement pour détourner le regard, poser les yeux sur ses mains qui se tordaient, réalisant ce que ces quelques mots impliquaient, qu’elle venait de lui dire qu’elle portait déjà cet enfant lorsqu’il l’avait embrassée et à Blois, ou quand elle avait accompagné Aymeric en Champagne, cet enfant que tout en elle avait ignoré, laissé de côté alors qu’elle aurait dû s’en rendre compte, avant même d’entreprendre ce voyage qui avait tant de conséquences désormais. Sybille sentit soudain la nausée l’envahir. Elle passa ses mains nerveuses sur son visage, en sentant peser sur elle le regard d’Henri. Pouvait-il la voir, cette rondeur qui lui semblait si évidente ? La haïssait-il ? Luttant encore et toujours contre les larmes, elle se mordit la lèvres et osa à peine lever les yeux vers lui.
- Je suis désolée, balbutia-t-elle alors que sa voix se brisait, je n’aurais pas dû… j’aurais dû vous le dire avant…
Elle fut incapable de terminer sa phrase, de rendre son discours cohérent, car plus rien ne lui semblait avoir de sens. Elle aurait voulu s’enfuir, disparaître dans l’ombre, arracher au mur cette torche qui répandait sa traîtresse lumière sur eux, et qui après les avoir trahi auprès de Bernard semblait l’exposer, avec son erreur et sa honte. Jamais elle n’aurait dû venir à Paris, jamais elle n’aurait dû se laisser à un amour qu’elle savait pourtant interdit, qu’elle savait mieux que quiconque condamné. Vacillante, mais cherchant plus que tout à rester debout, à conserver le peu de dignité qu’il lui restait, Sybille se mordit la lèvres et posa à nouveau ses yeux plein de larmes sur le comte de Champagne.
- Il y a plusieurs mois désormais… C’est la nouvelle que je dois annoncer à Thibaud, lâcha-t-elle.
A cette seule pensée, elle se crispa, et la gorge serrée, songea qu’elle aurait déjà dû être partie, faire son devoir d’épouser et quitter ce couloir pour rejoindre la grande salle et la foule, mais il lui sembla brusquement qu’elle n’en serait jamais capable.
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Henri de Champagne
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[Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  Empty
MessageSujet: Re: [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.    [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.  EmptyLun 3 Mar - 0:39

Henri de Champagne ne savait plus pourquoi il suppliait la jeune femme devant lui, il ne savait plus ce qu'il disait ou ressentait, seul son cœur martelait dans sa poitrine chacune des secondes qui passaient et qu'il ne parvenait pas à retenir ou à empêcher de s'enfuir, emportant déjà avec elles le souvenir de ces lèvres sur les siennes, de cette peau qu'il avait senti frémir sous sa paume ou de cette ivresse qui s'était emparée de ses sens jusqu'à ne lui faire vivre plus que l'instant, sans se soucier ni de ses actes passés ni des conséquences de ce baiser qui l'avait pourtant rendu au monde. Il avait balbutié des mots qui recelaient des promesses de bonheur mais qui, au moment où il les prononça lui semblèrent vains et bien trop faibles pour lutter contre l'obscurité de ce couloir, l'obscurité où leur amour allait devoir continuer à se dissimuler et à se faire oublier. La lumière qu'il avait aperçu au bout de ce long cauchemar, espoir de réveil et de soulagement, n'avait été que mensongère, artificielle, et déployait ses ombres sur les visages des jeunes gens qui continuaient à se faire face comme deux échoués qui ne pouvaient se quitter car seule la poigne de l'autre pouvait les empêcher de se noyer, ombres vacillantes qui ne permettaient pas au jeune chevalier de distinguer avec certitude quelle expression tordait la bouche de celle qui repoussait désormais son étreinte après s'être donnée à lui. Mais Henri continuait à vouloir espérer, il se refusait à abandonner la promesse du bonheur qu'il avait vu se profiler à lui car il lui avait semblé si proche, si désirable qu'il l'avait effleuré du bout des doigts, qu'il ne pouvait renoncer à lui sans se battre ou sans chercher à comprendre. Mais on ne peut éternellement se voiler les yeux, on ne peut stopper le cours des événements, et la monde derrière la porte avait continué sa propre route et s'était rappelé à eux, alors qu'Henri aurait voulu le voir se figer, disparaître même car après tout, il n'était qu'une suite d'illusions fades et sans saveur dans lequel il lui fallait juste jouer un rôle. S'évanouir comme le reste de ces vanités, des rangs, des titres, des mariages, des obligations pour ne les laisser que tous les deux, éperdus d'amour et de désir, dans ce couloir hors du temps jusqu'à ce que cette torche ne s'éteigne, les emportant à jamais dans le royaume des ombres. Le sourire de Sybille, ses baisers lui étaient indispensables pour vivre, mais encore plus, ils lui suffisaient. Pour elle, il aurait été capable de tout abandonner, même ce qui la veille encore, avant qu'elle ne change son existence, l'éblouissant de son éclat ou de sa grâce, lui semblait d'une importance capitale, ce qui lui semblait justifier sa vie terrestre. La fierté de son père ou de son précepteur, la reconnaissance des chevaliers, l'honneur de son nom, tout cela n'était plus que secondaire et vain, pâles lumières vacillantes de bougies quand elle était l'étoile qui éclipsait toutes les autres. Pour elle, il aurait été capable d'arrêter le cours du temps et de stopper la course du soleil dans le ciel. Mais les minutes cruelles, imperturbables, avaient continué à défiler, les emportant tous inexorablement vers la fin, vers la mort qui se profilait, mort qui serait d'une douleur sans nom, qu'elle soit donnée par le glaive ou par les mots.

Quelque chose s'était brisé entre Sybille et lui depuis que Bernard de Clairvaux avait ouvert la porte sur la réalité, et Henri avait eu beau tenter de retrouver l'harmonie qu'il avait ressenti en embrassant la jeune femme, le plaisir de savoir que telle était sa place, il n'y était pas parvenu. Les mains de la dame, après avoir caressé sa nuque, s'étaient posées sur ses épaules pour l'écarter d'elle, son sourire après avoir été éclatant s'était évanoui, et son regard, après évité celui de l'homme qui lui faisait face, brillait non plus de désir mais de larmes, comme si en réajustant l'étoffe sur sa peau, elle s'était à nouveau fermée, elle était redevenue la comtesse de Blois, consciente de sa faute. Comme si en tant qu’Ève funeste, elle avait choisi de croquer la pomme et qu'elle avait ouvert les yeux sur le péché qu'elle commettait en s'offrant à lui. Henri aurait pourtant tout donné pour rester dans l'ignorance, même si ce couloir n'avait rien du jardin divin où le premier couple humain avait vécu, il l'aurait suivie jusqu'en Enfer si c'était pour être avec elle, car même la damnation éternelle n'avait que peu de saveur lorsque l'on avait goûté aux lèvres de la jeune femme, soupçon de paradis. Et c'était peut-être la véritable raison pour laquelle il s'était mis à supplier, renonçant à se comporter dignement, adoptant un ton que personne d'autre ne lui avait connu, abdiquant dans sa fierté et dans son orgueil. Sybille peut-être pour qu'elle le laisse la prendre dans ses bras, pour qu'elle l'autorise à l'aimer et à l'épouser. Le temps pour qu'il remonte son cours jusqu'à l'instant où il était pleinement heureux. Dieu pour qu'Il lui accorde la bénédiction de l'ignorance et de la folie. Mais il était trop tard, l'ivresse s'en était allée, emportant avec elle le plaisir et la douceur d'un espoir qui, Henri l'ignorait encore, était vain depuis le début. Si le flot brûlant d'amour submergeait toujours son cœur, il était désormais de nouveau un naufragé. Ils étaient deux naufragés, haletants, brisé par la vague qui les secouait sans qu'ils ne maîtrisent plus rien mais ils ne pouvaient plus rien pour l'autre. Ils avaient seulement la certitude qu'ils n'étaient pas seuls. Mais le jeune chevalier ne pouvait pourtant comprendre pourquoi Sybille ne partageait pas ses sentiments : pourquoi avait-elle choisi de croquer dans la pomme de la connaissance alors qu'elle savait à quel point le réveil était douloureux et honteux ? Avait-elle peur des obstacles qui allaient forcément se mettre en travers de leur chemin ? Jugeait-elle qu'elle n'aimait pas assez pour risquer son honneur de femme mariée, le jugement et le regard des autres ? Sa position même peut-être ? Il n'aurait pu l'en blâmer, qu'avait-il à lui offrir là, à part son amour mêlé de déshonneur, de honte, lui qui avait insisté pour la marier à son propre frère ? Elle était désormais comtesse de Blois, après tout... Mais il y avait autre chose, quelque chose d'infiniment plus douloureux qui planait au-dessus d'eux et se jouait de leurs paroles et de leurs désirs. Une réalité qui faisait assez souffrir Sybille pour qu'elle versât une larme et cette vision bouleversa Henri, car jamais elle n'aurait souhaité montrer ses faiblesses. Une larme qu'il faisait couler par son insistance et une bouffée de regret l'envahit, car il n'aurait jamais voulu la voir malheureuse, elle méritait beaucoup mieux qu'un homme qui n'était même capable d'effleurer sa joue pour sécher cette larme qui continua son chemin sur la joue blanche de la jeune femme avant de disparaître entre ces lèvres roses qu'il aurait aimé posséder une nouvelle fois. Mais si Henri avait eu un pressentiment, jamais il n'aurait pu se douter des mots qui allaient sortir de cette bouche qu'il aurait dû faire taire par des dizaines de baisers. Et ce fut peut-être à cet instant-là qu'il comprit véritablement pourquoi il s'était mis à la supplier. Il l'avait tout simplement priée de le laisser vivre mais il était trop tard.
- Il n'y a pas de solution, souffla Sybille de Déols, je suis enceinte.

En un bond, le comte de Champagne s'était détaché d'elle, si violemment que son dos heurta le second mur du couloir, en face d'elle, le souffle haletant, le cœur hagard, les mains encore devant lui comme si elles le brûlaient. Son corps entier lui semblait comme léché de flammes et l'esprit encore vide, refusant de prendre conscience de ce qu'elle venait de lui dire, il se contenta de baisser les yeux sur ses paumes pour constater qu'elles tremblaient par spasmes comme le reste de ses membres, lui donnant l'impression qu'il allait s'effondrer. Mais ses jambes tinrent bon, il ne sut comment. Le visage baissé, les traits crispés, il ne put murmurer qu'un « non » de dénégation qui ne changea rien à la réalité tranchante qui venait de s'imposer avec lui, avec autant de force qu'il ne s'y attendait pas, se répétant en boucle cette unique question : comment avait-il pu ? Comment avait-il pu ? Toute l'horreur de la situation lui sauta à la figure et un brusque nausée serra sa gorge. Il venait de désirer la femme de son frère. « Tu ne convoiteras point », avait pourtant écrit la Bible. Il venait de désirer ardemment une femme enceinte des œuvres de son frère, il avait proposé une séparation à cette même femme, il l'avait caressée alors qu'elle portait en elle un enfant qui était celui d'un autre. Quel criminel était-il donc ? Quel châtiment lui serait-il réservé dans l'au-delà ? Lui ferait-on place au sein des égorgeurs et des assassins ? Tout ce qu'il avait ressenti pour Sybille était sali, noirci, devenu impur. En ce sein sur lequel il aurait voulu poser sa main, grandissait son propre neveu. Une courte seconde, il se dit que ce ne pouvait être vrai. Il venait de se réveiller d'un cauchemar, on cherchait à le convaincre mais il n'était pas dupe, il ne pouvait avoir commis une telle atrocité. Il releva alors des yeux emplis de larmes sur la jeune femme en face de lui.
- J'aurais tant voulu que ce soit possible, que ce cauchemar se termine, mais...
Il ne pouvait davantage nier la vérité et son regard un instant croisa celui de Sybille avant que cette dernière se détourne pour tordre ses mains et un court mais terrible instant, il la détesta. Il la détesta avec une telle violence que ses frissons reprirent de manière plus évidente, que tous ses muscles se tendirent comme s'il avait à livrer un combat, contre lui-même cette fois-ci. Il la détesta pour l'aimer autant qu'il le faisait et toute sa haine et sa colère rejaillirent en un flot insubmersible sur lui-même. Il n'était qu'un misérable de la haïr alors que tout était sa faute, de jalouser Thibaud, son propre frère pour avoir le bonheur d'être père, et pire encore de se sentir révulsé par l'idée de ce bébé présent entre eux, grandissant dans le ventre de sa mère, l'image de l'innocence même. Il ne parvenait plus à analyser ces émotions, il ne voulait plus rien ressentir. C'était désormais à son tour de goûter au fruit défendu et il trouvait cette pomme décidément bien amère.
- Je suis désolée, continuait Sybille d'une voix peu assurée, comme si elle pouvait encore dire quoi que ce soit qui aurait pu le soulager, je n'aurais pas dû... J'aurais dû vous le dire avant...
- Qu'est-ce que cela aurait changé ? Répliqua Henri d'un ton ferme mais où perçait une douleur sourde, sans attendre la moindre réponse.

En silence, il détailla la jeune femme devant lui, notant une foule de détails qui aurait pu le mettre sur la voie. Ces couches de vêtements tout d'abord, bien inhabituelles en un mois d'août qui était plutôt chaud et qui dissimulaient habilement le ventre de Sybille. Mais malgré le tissu, on percevait bien l'arrondi qui affleurait sous la robe, répercuté encore plus par le flot de lumière diffusé par la la torche. Un frisson de dégoût le secoua, et il se détourna, se maudissant de n'avoir rien, ne n'avoir rien voulu voir. Avait-il raison ? Cela n'aurait-il rien changé ? Peut-être n'aurait-il pas jeté encore plus d'opprobre sur son nom en l'embrassant une fois encore mais il n'en avait cure. Tout ce qu'il avait vécu, tout ce qu'il avait ressenti n'avait plus la moindre importance face à cette souffrance qui enserrait son cœur, à cette cage de fer qui enserrait sa poitrine et l'empêchait de respirer. En quoi toutes ces avancées et toutes ces rebuffades auraient-elles pu avoir un sens ? Toutes ces hésitations pour le mener où ? Dans un couloir sombre où il apprenait qu'il n'allait jamais pouvoir vivre pleinement parce que Sybille était à un autre, qu'elle avait l'enfant d'un autre alors qu'il lui aurait paru si naturel, si merveilleux aussi qu'elle soit à lui et qu'elle portât le bébé qu'il aurait déposé en elle, puisqu'elle aussi l'aimait ? Sa vue se troubla un instant mais il prit une grande inspiration et d'une voix un peu étranglée, il demanda :
- Depuis combien de temps ? Depuis combien de temps êtes-vous enceinte ?
- Il y a quelques mois désormais... C'est la nouvelle que je dois annoncer à Thibaud, lâcha-t-elle alors qu'il hochait la tête, maintenant que tout s'emboîtait dans son esprit.
Thibaud n'était pas au courant. Il constata cette évidence avec un profond détachement, abasourdi peut-être par l'idée qu'il savait avant son frère et que pire encore, celui-ci allait savoir à son tour, allait se réjouir et sourire alors que cette annonce ne viendrait qu'entourer le cœur d'Henri d'un linceul d'un noir profond puisqu'il était mort désormais. Mais alors qu'il se demandait si elle était sur le point de partir, une autre pensée le frappa. Plusieurs mois... Elle était déjà enceinte au moment où elle avait accompli le voyage en Champagne, il le savait d'autant plus que l'on avait jugé beau de lui dire que les deux époux n'avaient pas partagé la même couche depuis le retour de Sybille après qu'elle eût accompagné Aymeric jusqu'à Provins. Un épais voile venait d'être jeté sur tous ses souvenirs joyeux. Il lui semblait désormais que tous les moments qu'ils avaient partagés en Champagne, cet instant où il avait voulu lui prendre la main sur l'échafaudage de Troyes, le marché de Provins où il avait pu frôler sa nuque et la comparer à ce léopard, la danse qui avait suivi et pendant laquelle il s'était rendu de l'étendue de son amour pour elle, leur promenade à cheval enfin à Bar où il avait failli l'embrasser... Tout était devenu faux et grimaçant. Lui qui aimait tant se remémorer ce passage de la dame dans sa comté allait devoir apprendre à les détester car à chacun de ces instants où ils avaient cru être seuls, Thibaud s'était immiscé entre eux par la présence de l'enfant qui, non seulement, les avait rendu vains mais aussi criminels.
- Depuis combien de temps savez-vous ? Souffla-t-il sans pouvoir dissimuler l'horreur qu'il ressentait.
Submergé par la honte, il ne la regardait toujours pas quand elle répondit, les traits dissimulés dans ses mains en coupe comme s'il pouvait arracher ce visage qu'il haïssait désormais, lui qui ne pouvait plus se voir dans un miroir. Savoir qu'elle avait été de toute bonne foi le rassura à peine. Il n'avait jamais eu le droit de l'aimer. À la réflexion, dès le début, dès leur première rencontre, il n'en avait pas eu le droit, elle était la veuve de son meilleur ami, la mère de son filleul, elle était intouchable. Ils n'avaient été que deux victimes, deux jouets du destin. Et s'ils n'étaient que des jouets, il leur fallait continuer à jouer et obéir à ceux qui tiraient les ficelles pour eux. Il n'était de toute façon plus la peine de lutter.

Il constata que le silence s'était de nouveau installé entre eux. Un silence lourd et pesant, le dernier qu'ils pourraient partager avant de se séparer à jamais mais il n'avait rien de mélancolique ou de complice. Au contraire, il semblait porter en lui toutes les menaces et les promesses de mort, comme s'il était animé de ce glaive pour transpercer Henri et n'en faire qu'un cadavre. Le jeune chevalier s'efforça de respirer profondément et ce fut avec un calme absolu qu'il ôta enfin les mains de son visage pour fixer de ses yeux sans larmes la jeune femme toujours présente, hésitante, qui semblait comme attendre un geste, un mot de sa part. Il eut du mal à se lancer, ne sachant quelles paroles pouvaient bien être prononcées quand chacune paraissait vide de sens. Mais comment pouvait-on donner du sens à tout ce qu'ils avaient vécu ? Sinon celui du châtiment ?
- Certaines erreurs ne sont pas réparables, ma dame, parvint-il enfin à prononcer d'une voix glaciale, pâle image de quelqu'un qui paraissait s'être repris alors qu'il se sentait s'effondrer intérieurement, la faute est entièrement mienne puisque j'ai désiré ce mariage, je suis désolé que vous ayez à en souffrir aussi, alors que vous ne faites qu'en recueillir les fruits.
Il s'interrompit un instant, devenu pierre parmi les pierres, se fondant dans le mur de ce château, espérant en recevoir un soulagement mais il ne put dissimuler l'amertume dans ses paroles suivantes :
- Certaines erreurs ne sont pas réparables, certains obstacles ne sont pas surmontables, je me trompais, poursuivit-il, nous nous aimons sans doute mais il faut nous quitter. Nous avons chacun des devoirs à remplir. Considérez donc qu'il s'agissait d'un baiser d'adieu.
Il la vit clairement étouffer un sanglot et le remord faillit l'étouffer mais il résista à l'envie de la saisir entre ses bras, de lui signifier que ses devoirs n'avaient que peu d'importance et qu'il allait mourir de jalousie. Elle se détournait déjà pour le quitter et sans réfléchir, saisi par un élan incontrôlable, il fit un pas pour lui saisir le bras d'une poigne ferme et il la domina de toute sa hauteur alors qu'elle semblait comme se recroqueviller. Il se tut une seconde comme pour la jauger, il grava ses traits dans sa mémoire, aima chacun d'entre eux jusqu'aux larmes qui noyaient ses yeux bleus et l'évidence le saisit :
- Vous n'aurez qu'à me considérer comme mort. À partir de maintenant, je serai mort pour vous, martela-t-il.
Il serait mort. L'évidence. Il allait mourir.

Il la lâcha enfin et elle disparut, avalée par l'obscurité, l'abandonnant derrière elle sans se retourner. Il se sentait presque déjà cadavre dans ce couloir sans fin où il s'était perdu et où il aurait voulu pouvoir s'étendre dans le linceul formé par son amour et se laisser emporter par la pierre qu'était son cœur, poids inanimé dans sa poitrine. Dans le passé, on brûlait les corps sur de grands bûchers et c'était cela qu'il appelait de ses vœux. Disparaître au monde, ne plus souffrir, enfin. Être réduit en cendres. Peut-être que Sybille pourrait le pleurer... Devant cette nouvelle pensée impure, il s'effondra contre le mur et se frappa violemment la tête contre la pierre, comme s'il souhaitait s'assommer ou remplacer une douleur par une autre. Là encore, comme tout ce qu'il avait entrepris sur cette terre, ce fut vain. Il allait recommencer quand un bruissement d'étoffes l'interrompit. Sybille était-elle revenue ? N'avait-elle pas compris qu'il venait d'emporter l'espoir avec lui jusqu'au bûcher ?
- Henri ? Henri, réveille-toi, je t'en prie ! Murmura la voix affolée de Bernard de Clairvaux.
L'abbé s'était penché à ses côtés et le fixait de ses deux grands yeux perçants et son visage inquiet retrouva des traits plus apaisés quand Henri s'anima légèrement.
- Elle est enceinte..., balbutia-t-il, comme l'enfant qu'il avait été sous l’œil sévère de son précepteur, l'enfant qui a commis une bêtise et sait très bien qu'il n'aura le droit qu'à des remontrances.
- Je sais, répliqua avec calme le vieil homme, tu dois la laisser vivre sa vie, Henri. Et tu dois vivre la tienne, il est temps que tu fasses quelque chose des dons et du pouvoir que Dieu t'a accordés. Laisse-moi te guider, d'accord ?
Le jeune chevalier ne répondit rien mais de toute façon, Bernard n'attendait aucune dénégation.
- Lève-toi à présent, cesse de faire l'enfant capricieux et sois un homme. Assume tes erreurs et fais face à la réalité, même si tu l'as trouve horrible. Que crois-tu ? Si chaque homme sur terre avait renoncé dès l'arrivée de difficultés, rien de bon ni de grand n'aurait pu voir le jour. Relève-toi, après tout ce que tu as accompli, c'est la moindre des choses.
La gorgée nouée, Henri obéit à la ferme injonction et comme un pantin sans sentiment, suivit l'abbé jusqu'à la porte qui menait à la grande salle où était restée l'assemblée, inconsciente de tout ce qui venait de se produire à deux pas d'elle. Son précepteur avait raison, il n'avait pas le choix, c'était bien le reste de son chemin de croix que d'aller affronter Thibaud et les invités en face. Que d'aller sourire, comme il parvenait à le faire sans savoir réellement comment. Mais en fixant son regard sur la bure blanche du vieil homme, serein et tranquille, il se fit la réflexion que pour une fois, l'abbé de Clairvaux se trompait. Cette fois-ci, il ne se relèverait pas. Cette fois-ci, il en mourrait et rien ni personne ne pourrait rien faire pour lui. Il était déjà bien trop loin du monde, de ces femmes qui riaient au loin, de ces intrigues de guerre et des complots des vipères, il avait déjà un pied dans l'au-delà et il attendait avec impatience les flammes de l'Enfer pour le consumer.
- Oh mon père, Henri, vous tombez à pic, s'exclama soudain la voix enjouée de Thibaud qui les avait avisés, venez donc, dame Sybille vient justement de revenir et elle doit nous annoncer une grande nouvelle !
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