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 [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.

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Sybille de Déols
Petite boudeuse <3
Sybille de Déols


Messages : 38
Date d'inscription : 23/05/2013

[Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  Empty
MessageSujet: [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.    [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  EmptyMar 25 Juin - 17:33

Si les festivités données en l’honneur du mariage du comte de Blois s’étaient poursuivies jusqu’à une heure avancée de la nuit, bien après le départ des jeunes mariés, la forteresse avait tout de même fini par retrouver un semblant de calme et bien que l’aube ne soit pas encore levée, l’on n’entendait déjà plus que de pâles éclats de voix qui semblaient bien lointains. La fête avait été grandiose, aucun effort n’avait été épargné, si bien l’on avait fini par oublier l’air bien peu réjoui du comte et de la nouvelle comtesse pour se préoccuper du banquet et des nombreux divertissements prévus pour l’occasion dès la cérémonie terminée. Poète, jongleurs, acrobates en tous genres s’en étaient donné à coeur joie pour impressionner les convives, tandis que sur les tables s’étaient succédés quantité de mets auxquels on avait volontiers fait honneur, le tout sous les yeux de Thibaud et Sybille qui avaient bien dû se résoudre à faire bonne figure entre deux séances de félicitations et de bons souhaits. C’est donc en se forçant à afficher sinon un air joyeux, du moins quelques sourires de circonstances que la jeune femme, nouvellement comtesse de Blois, avait dû affronter qui ressemblait bien à la plus longue nuit de sa vie, car si chacun se réjouissait, elle ne voyait dans ce mariage qu’un cuisant échec. Elle qui s’était promis de ne jamais épouser le fils de Thibaud IV n’avait pas fini par céder par choix, mais bien par se rendre puisqu’il s’agissait de la seule façon de débarrasser Châteauroux des troupes d’Henri Plantagenêt. Elle avait encore peine à croire que celui-ci avait bien osé mettre le siège devant sa forteresse, et ce qui avait découlé des négociations avec l’Angevin et le comte de Champagne, mais hélas, ce qui s’était passé en cette soirée de festivités prouvait bien que tout cela n’avait rien d’un long et désagréable rêve. Elle, la fière veuve de Déols, avait bel et bien pris pour second époux le comte Thibaud de Blois, et par là, confié à ce dernier les terres qu’elle gardait farouchement depuis le départ d’Abo en croisade, il y avait de cela cinq ans. Telles étaient les sombres pensées qui n’avaient cessé de la hanter durant la cérémonie du mariage, puis le banquet, pensées qui n’avaient que rendre plus difficile à envisager puis à supporter les suites de la nuit. Elle n’avait que quinze ans lors de son premier mariage, mais même l’enfant qu’elle était alors face à l’imposant Abo n’avait vu d’un si mauvais oeil la nuit de noce se rapprocher. Ce n’était pas avec appréhension, mais avec colère qu’elle avait vu les heures défiler, écouté les sous-entendus plus ou moins subtils inhérents à toute fête de mariage puis fini par abandonner les convives pour se plier à ses devoirs et consommer son échec. Un colère dont elle ne se débarrasserait pas facilement, et qui ne lui laissait entrevoir qu’un avenir bien amer.

C’est en ayant résolument tourné le dos à Thibaud qu’elle tenta de trouver le sommeil, mais celui qui la fuyait déjà à l’ordinaire ne se montra pas plus charitable cette nuit-là et c’est en vain qu’elle se força à garder les yeux fermés deux heures durant, tout en tentant de vider son esprit de toutes les préoccupations qui la tenaient éveillée. Le calme était donc bien retombé sur la forteresse quand, sans se demander si son époux dormait ou non, elle repoussa les couvertures pour enfiler à la hâte une robe, une cape de fourrure et s’échapper de la chambre. En quelques courtes minutes à peine, elle fut dans le couloir et là seulement, elle s’autorisa un long soupir qui lui sembla résonner avec disproportion dans l’obscurité. Elle fit quelques pas pour s’éloigner mais aperçut une torche au loin et, ne souhaitant ni être surprise, ni parler à qui que ce soit, s’appuya contre le mur pour laisser l’intrus passer. Là, immobile dans le noir, elle ferma un instant les yeux, surprise par d’antiques souvenirs. Elle avait bien grandi, avait bien changé depuis les escapades qu’enfant elle entreprenait dans l’austère forteresse d’Amboise pour aller défier les fantômes de la nuit et observer les étoiles. Elle se faisait d’ailleurs généralement surprendre avant de parvenir à cette dernière étape, par un garde ou un quelconque domestique, ou même par son père qui veillait souvent. Sans doute lui aussi avait-il bien assez de soucis propres à le tenir éveillé : le belliqueux Sulpice avait sans doute dû s’infliger quelques nuits blanches à force de lutter continuellement contre ses seigneurs et voisins angevins ou blésois. Geoffroy Plantagenêt, Thibaud IV, autant de noms qu’elle avait entendu résonner avec colère entre les hautes murailles du château. Ce même Thibaud IV qui avait finalement eu raison du farouche seigneur d’Amboise, l’ayant fait prisonnier puis torturé. Ce même Thibaud IV qui gardait encore Hugues en otage, même après avoir brûlé la place forte qu’il avait voulu extirper à Sulpice. Ce même Thibaud IV dont elle venait d’épouser le fils, et dont elle n’avait toujours rien obtenu malgré ses exigences. Sybille se prit alors à adresser une prière muette à son père, le priant de lui pardonner une faiblesse que lui ne se serait jamais permis, qui aurait même constitué à ses yeux une fracassante trahison et, la gorge nouée, resta un moment encore immobile, appuyée contre le mur, avant de se rendre compte que les couloirs étaient de nouveau déserts. Elle n’avait pas la moindre idée de l’endroit où elle voulait se rendre dans ce château encore inconnu, mais une chose était certaine : il lui fallait s’éloigner.

Veillant à ne pas attirer l’attention, à tâtons d’abord puis le pas plus assuré lorsqu’elle eut trouvé une torche, la comtesse de Blois erra un moment dans la forteresse avant de reconnaître les couloirs empruntés plus tôt. Elle s’apprêtait à descendre un escalier qui devait la mener à une porte sur l’extérieur quand elle croisa une jeune femme qui, de surprise, manqua de laisser échapper tout son chargement. Sybille sursauta légèrement de son côté mais ne s’attarda pas et après avoir assuré à la demoiselle qui s’inquiéta des raisons de sa présence ici que tout allait bien, poursuivit son chemin et parvint enfin à sortir. L’air était froid en cette heure avancée, ou très matinale, mais elle ne s’en formalisa pas et il lui sembla qu’elle pouvait enfin respirer librement. Elle abandonna sa torche à un garde qui passait et ne comprit visiblement pas ce qui se passait ou à qui il avait affaire, puis s’éloigna. La nuit était claire, et la lune bien assez haute et ronde pour éclairer les pas de la dame de Déols. Celle-ci passa rapidement dans la cour, où elle savait qu’elle ne serait pas tranquille, contourna l’imposante bâtisse de pierre et se retrouva tout au bord du promontoire rocheux sur lequel elle était bâtie, et qui dominait la ville sur laquelle son regard se promena un instant, avant de revenir à l’anneau que le prêtre avait passé autour de son doigt. De quoi se plaignait-elle ? Le comte de Blois possédait les grandes étendues qu’elle avait sous le yeux auxquelles la nuit, effaçant l’horizon, conférait un air d’infini, et par conséquent, elle aussi en était maîtresse. Agnès de Donzy, qui ne portait pas la même rancune aux ennemis de son défunt mari que sa fille ne lui avait-elle pas dit que c’était là une alliance en or ? Comtesse de Blois, n’était-ce pas là un titre qu’on lui jalouserait ? Mais rien n’y faisait, Sybille avait beau tenter de tourner et retourner le problème, aucune de ces perspectives ne semblait pouvoir effacer l’amertume de ce qu’elle ressentait comme une défaite. Sans doute était-elle trop fière, trop mauvaise perdante, trop exigeante, trop obstinée pour voir les choses différemment, ce que jamais elle n’admettrait, encore moins maintenant après la soirée infernale à laquelle elle avait dû faire face. Elle soupira à nouveau puis après avoir secoué la tête, et esquissé un rictus amer, entreprit de longer le muret de pierre qui courait à flanc de roche sur le promontoire. Le jour était encore loin de se lever, elle aurait tout le temps de regagner ses appartements plus tard, pour l’heure, elle ne pouvait se résoudre à retourner s’enfermer.

C’est donc persuadée d’être seule pour un long moment encore qu’elle se remit en marche, tout en se perdant à nouveau dans pensées. Sans chercher à lutter, elle rumina plus qu’elle passa en revue les éléments notables des dernières heures qui s’en était suivie. Cette sordide fête n’avait pas été perdue pour tout le monde, puisque l’une de ses cousines s’était visiblement entichée du comte de Sancerre avec lequel elle n’avait passé une grande partie de la soirée. Agnès, quant à elle, n’avait été d’aucun soutien à sa fille dès lors qu’elle avait fait la rencontre de Bernard de Clairvaux, ce qui avait étonné l’assemblée entière car on ne s’attirait pas facilement l’intérêt sans les imprécations de ce dernier. Les mariés n’avaient cependant pas été les seuls à ne pas se réjouir, et au souvenir de de la mine sombre du comte de Champagne, Sybille sentit la colère l’étreindre à nouveau. Elle atteignait alors une petite terrasse, sur laquelle se trouvaient ordinairement quelques gardes. Comme la comtesse s’y attendaient, ces derniers avaient déserté leur habituel poste de garde mais l’endroit n’était pas désert pour autant. Ce n’est que lorsqu’elle leva la tête, et bien trop tard pour reculer, qu’elle se rendit compte qu’il s’y trouvait déjà une silhouette, et une silhouette bien connue. Aussitôt, les traits de la jeune femme se figèrent, et son regard n’était plus que froideur lorsqu’il croisa celui d’Henri, qui était, il faut bien le dire, l’une des personnes qu’elle souhaitait le moins rencontrer en cet instant.
« Je ne m’attendais pas à vous voir ici, comte, lâcha-t-elle en guise de salut. »
Elle aurait très bien pu faire demi-tour, après tout, il savait mieux que quiconque ce qu’elle pensait de ce mariage, mais pour une raison qui lui échappait - tout comme elle ignorait pourquoi la seule évocation de son nom avait suffi à l’agacer tout au long des festivités - elle fit encore quelques pas vers lui et alla s’appuyer sur le mur de pierre, qui dominait la ville.
« Vous ne dormez pas ? continua-t-elle sans d’abord le regarder. Vous méritez bien du repos, pourtant, après tant d’efforts couronnés de succès... Félicitations, vous avez obtenu ce que vous désiriez, finalement. »
Elle ne s’était tourné vers lui que sur la seconde partie de cette réplique, et ne se gêna pas pour le dévisager. S’il y avait une personne qui aurait dû se réjouir de ce mariage, c’était lui. Lui qui, depuis des moins maintenant, tentait de la convaincre des bienfaits d’une telle alliance pour elle, pour ses terres, pour Aymeric. Mais s’il avait fait bonne figure durant la cérémonie et le banquet, Sybille n’était pas dupe. Elle le savait habile dissimulateur, et il n’avait pas montré l’enthousiasme attendu. Pour cela, comme pour bien d’autres raisons dont elle n’avait pas même encore conscience, elle lui en voulait, et ne chercha pas à le cacher.
« Car c’était ce que vous vouliez, n’est-ce pas ? reprit-elle, avec aigreur, tout en plantant son regard dans celui du comte. »
Sans qu’elle ne s’en rende compte, la jeune comtesse s’était mis à triturer nerveusement l’anneau qu’elle avait au doigt, et qui lui pesait plus d’heure en heure. Sentant une colère amère reprendre le dessus, elle détourna les yeux.
« Aymeric sera envoyé en Champagne dans quelques semaines, les terres de Châteauroux ne sont plus à la merci du premier loup venu, vous pouvez être fier de vous : vous avez tenu votre promesse faite à Abo, asséna-t-elle durement. »
Car c’était bien là que tout avait commencé, sur une promesse faite en Terre Sainte à un chevalier mourant. Sybille ne se doutait pas, alors, que contrairement à ce que les derniers évènements pouvaient laisser croire, ni elle, ni Henri n’en avaient terminé avec les conséquences de cette promesse.
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Henri de Champagne
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[Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  Empty
MessageSujet: Re: [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.    [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  EmptyJeu 27 Juin - 15:44

La nuit était tombée depuis longtemps quand les festivités en l'honneur du mariage du comte de Blois s'étaient petit à petit éteintes jusqu'à rendre à l'antique forteresse le calme qu'elle n'avait pas connu depuis des jours et que quelques invités continuaient à troubler comme le prouvaient des éclats de voix et des rires dans le lointain. Cependant, Henri de Champagne s'était éloigné des derniers convives pour déambuler dans les couloirs de ce qui avait été le château de son enfance. Trop troublé par ses pensées dans lesquels il ne parvenait pas à mettre bon ordre, il n'avait même pas cherché à regagner les quartiers qu'on lui avait alloués à lui et à ses quelques hommes, sachant fort bien qu'il allait les trouver vides de toute présence. Et alors que dans un souffle, le sommeil tombait sur Blois et ses environs, lui continuait à avancer dans les escaliers sombres, sachant intuitivement, par l'habitude conférée depuis sa toute petite enfance où se trouvaient les pièges à éviter, où les marches grinçaient et où les quelques gardes qui n'avaient pas quitté leur poste pour se mêler aux beuveries pouvaient bien passer, ne pouvant se résoudre à s'enfermer dans une pièce noire pour tenter de fermer les yeux sur tout ce qui s'était accompli sous son regard lors de cette journée. Cela aurait sans doute été un soulagement que de laisser les souvenirs disparaître à sa conscience et de voir s'éteindre cet agacement qui l'avait poursuivi toute la journée, agacement qui lui laissait encore à cette heure tardive un goût amer dans la bouche mais il se connaissait assez pour savoir qu'il ne pourrait y parvenir. Et même s'il avait pu, il aurait eu trop peur que des songes ne viennent l'assaillir et que peut-être ils ne viendraient révéler ce qu'il tentait de se cacher à lui-même depuis le début de la cérémonie, depuis des semaines plus probablement. Alors obstinément, le comte de Champagne auquel les murs froids et peu accueillants semblaient rappeler à chaque pas qu'il n'était plus là chez lui, gardait les paupières ouvertes, préférant se rappeler avec nostalgie du temps où il aimait à réveiller ses frères et ses sœurs, en pleine nuit, pour partir en exploration, se rêvant chevalier conquérant, libérateur de Jérusalem, faisant mille et une promesses de fidélité à ses petits frères, ses seuls amis, car rien n'aurait jamais pu les séparer, il en était persuadé à l'époque. Ses enjambées le menaient pourtant ailleurs que dans les recoins de la grande salle du conseil où ils voyaient trôner leur père Thibaud avant que ce petit homme sec et affûté comme une lame n'ordonne à ses vassaux de se rassembler pour partir en guerre et semer des incendies dans la campagne comme un défi adressé à Dieu, ailleurs que vers les appartements des femmes où reposaient leurs sœurs et leur dragon de gouvernante qui avait contraint de multiples fois les jeunes chevaliers héroïques à se replier dans leur propre chambre à cause des remontrances qu'elle crachait, ailleurs encore que dans la grande salle du banquet où des serviteurs affairés n'effaçaient pas les traces d'un des multiples repas donnés par leur mère pendant lesquels on jouait des scènes inspirées de la première croisade ou des batailles de Guillaume le Conquérant mais bel et bien celui du mariage de son frère cadet. Ce mariage que, confusément, il cherchait sans doute à fuir alors qu'il était celui qui l'avait initié. Le temps de l'enfance et de l'insouciance était bel et bien terminé et il devait faire face à ses responsabilités. Percevant un bruit devant lui, il s'arrêta quelques secondes jusqu'à ce que les intrus ne s'éloignent dans un grand éclat de rire qui résonna lugubrement jusqu'au jeune homme. Cela lui laissa l'occasion de songer que d'autres enfants viendraient désormais arpenter ces couloirs, chercher à déjouer la surveillance de leurs parents pour s'emparer de ces lieux comme s'ils étaient les leurs et y construire leurs rêves éveillés. Seulement ces enfants-là seraient ceux de Thibaud et Sybille et Henri eut un curieux pincement au cœur.

Quand tout danger de se faire surprendre fût écarté, il se remit en route. Il était las de devoir face à des visages réjouis et souriants et ne souhaitait en aucun cas devoir répondre à des interrogations qu'on ne manquerait pas de se poser à voir le comte de Champagne privilégier la solitude aux jeux des gardes et des derniers convives. Et dans l'obscurité du château, il avait pu abandonner son masque de bonne humeur et son éternel sourire, laissant son visage se figer dans une expression neutre qui dissimulait mal son écœurement. Il avait pourtant fait bonne figure pendant la totalité du mariage, pendant les préparatifs tout d'abord, quand il avait fallu subir la déception à peine voilée de son frère Thibaud qui se faisait violence pour lui obéir, pendant la cérémonie quand celui qu'il considérait comme son deuxième père, son précepteur, Bernard de Clairvaux avait béni l'union des deux époux avant de passer l'anneau au doigt de Sybille de Déols. Il avait même ri et paru enthousiaste pendant les pitreries des jongleurs alors que les invités, au courant des ressorts de ce mariage, venaient lui adresser leurs compliments à demi-mots pour être parvenu à ses fins après de longs mois de bataille acharnée avec la veuve d'Abo. Pourtant, il n'avait pu ignorer l'amertume qui lui rongeait le cœur et la colère qui lui avait occupé l'esprit quand ses regards s'étaient posés sur la mine sombre de la mariée, curieux accord avec la grâce de sa parure et de sa longue chevelure blonde et bouclée retombant sur ses joues blanches. Il avait pensé y parvenir quand il était encore entouré de ses amis ou de ses frères et sœurs. Gauthier de Brienne avait été le premier à disparaître tandis qu’Étienne avait fini par jeter son dévolu sur une demoiselle de Donzy. Même Bernard de Claivaux l'avait laissé seul avec ses sentiments contradictoires au milieu des réjouissances pour trouver des affinités avec la mère de l'épousée. Il avait eu des heures de longue souffrance pour montrer tous ses talents de dissimulateur, pour rire aux remarques grivoises des chevaliers mais quand le couple avait fini par monter dans la chambre qu'on leur avait alloué, le sourire s'était transformé en grimace, le rire en appel de désespoir. Il n'était pas assez idiot pour ne pas reconnaître là des sentiments qui n'auraient en aucun cas dû l'assaillir. C'était la jalousie qui troublait son âme. Il n'avait pourtant cherché les honneurs à tout prix, il était au contraire toujours ravi de voir l'un de ses frères se mettre en avant et pourtant... Pourtant, il ne voulait pas risquer d'avoir des pensées déplacées aussi fuyait-il avec acharnement la réalité. Il n'avait pas conscience qu'il venait de s'enfermer lui-même dans une situation impossible mais de toute façon, cette conscience-là, il la rejetait de toutes ses forces.

Il venait enfin d'atteindre l'air libre, après avoir passé une porte restée ouverte et faisait désormais quelques pas dans la cour d'honneur sous un clair de lune qui baignait les bâtiments d'une clarté faible et pâle mais même le froid vif qui le saisit à travers l'épaisseur de son bliaud de cérémonie, richement orné, profondément décalé en ces circonstances, ne le ralentit pas. Il avait un objectif précis et ce ne fut qu'en arrivant à la petite terrasse dont il chassa les gardes d'un geste de la main qu'il s'arrêta enfin et prit une profonde inspiration qui le soulagea quelques courtes secondes. C'était là, sur cet espace un peu éloigné de la bâtisse en pierres nues, construit sur une motte rocheuse qui permettait de saisir d'un seul coup d’œil l'étendue des possessions du comte de Blois, qu'il se sentait bien. C'était même l'endroit où on était sûr de le trouver quand, jeune garçon, il cherchait à échapper au remue-ménage causé par ses innombrables frères et sœurs qui s'apparentaient plus à un clan qu'à une famille et voulait un peu de solitude. Il aimait à surplomber ces terres qu'il ne posséderait jamais, à en mesurer l'infini comme si Thibaud IV avait raison et qu'il était bien l'unique prince à régner là. Cette nuit-là, on ne pouvait distinguer qu'avec peine les plis des terres à l'horizon, les frondaisons des forêts et les toits des demeures blotties au pied de l'escarpement pour quémander protection et sécurité. Henri avait peine à croire que quelques heures auparavant encore les rues étaient animées de fêtes, les gueux aimant à festoyer pour les événements joyeux qui arrivaient à leur comte et profitant des écus qu'on leur avait versé pour l'occasion. Ils avaient cherché à voir le visage de leur comtesse, à lui souhaiter grande descendance mais ces rumeurs avaient fini par s'apaiser et tout ne paraissait n'être qu'un mauvais cauchemar en cet instant où Henri s'appuyait contre le mur de pierres. Peut-être finirait-il par se réveiller et se retrouver lui-même, aussi décidé qu'il devait l'être, non agité de sentiments troubles ? Mais le destin s'acharnait à se rappeler à lui car des bruits de pas se firent entendre dans son dos. C'était des pas légers, accompagnés du bruissement d'une robe, ceux d'une femme qui ne trouvait pas non plus le sommeil, peut-être Marie ou Isabelle qui aurait le tact de tourner les talons après l'avoir toute la soirée encombré l'esprit de remarques sur la beauté de la mariée. Mais si les pas s'interrompirent, ils ne firent pas demi-tour pour autant et lorsque le visage de Henri se tourna vers l'intruse, il croisa le regard de Sybille de Déols.

Le comte de Champagne sentit un brusque coup au cœur et tout le soulagement qu'il avait éprouvé à se trouver dans son refuge disparut en un instant. S'il y avait une personne qu'il ne souhaitait pas voir, c'était bien elle car elle était la plus à même de lui rappeler la confusion de ses sentiments. Il songea pendant quelques secondes, le temps qu'ils se jaugent, à quitter les lieux car après tout, que pouvait-il ressortir de cette confrontation ? - mais ses membres refusèrent de lui obéir aussi resta-t-il, accoudé alors qu'elle le saluait avec une froideur comme si elle était elle-même créature de cette nuit qui l'avait engendrée.
- Je ne m'attendais pas à vous voir ici, comte.
Il fut presque étonné de constater que sa voix était toujours la même, qu'après toutes les heures qui avaient défilé, elle restait la Sybille de Déols qu'il avait connu. Il ne sut que répondre aussi lâcha-t-il à son tour la même constatation vide de sens, d'un ton sec, dépourvu de toute chaleur ou d'entrain :
- Il en est de même pour moi.
Il voulut en savoir davantage, demander pourquoi elle n'était pas restée dans la couche qu'elle partageait désormais avec son époux mais la vision de la jeune femme dans les bras de son propre frère le dégoûta et il la chassa avec empressement. Le déni et le refus de savoir l'emportèrent. De toute façon, Sybille ne semblait pas en attendre davantage de sa part et loin de quitter l'endroit, elle se rapprocha encore, comme pour continuer à le torturer, comme si elle n'en avait pas déjà assez fait.
- Vous ne dormez pas ?... Vous méritez bien du repos pourtant, après tant d'efforts couronnés de succès... Félicitations, vous avez obtenu ce que vous désiriez, finalement.
Non, la jeune femme, la nouvelle comtesse de Blois, sa belle-sœur désormais ne voulait pas en rester là et avec à la fois de l'amertume et de la rage, elle acculait le comte de Champagne jusque dans ses retranchements comme, curieux paradoxe alors qu'elle lui certifiait qu'il était victorieux. Il s'était redressé pour lui faire face mais nulle parole ne franchit ses lèvres et elle continuait, vibrante de colère :
- Car c'était ce que vous vouliez, n'est-ce pas ?
Henri ne nia pas car c'était l'absolue vérité, il avait tout fait pour parvenir à cet instant, il avait conspiré en ce sens, il avait cherché à convaincre son entourage des bienfaits d'une telle alliance, il avait négocié avec son cousin d'Anjou et il était même allé au-delà de ce que les lois permettaient, mettant en péril la survie de son âme. Et pourtant, il aurait tout donné pour ne pas être là, à chercher avec désespoir une expression sur le visage de Sybille, un éclat dans ses yeux que la nuit lui dissimulait obstinément.
- Aymeric sera envoyé en Champagne dans quelques semaines, les terres de Châteauroux ne sont plus à la merci du premier loup venu, vous pouvez être fier de vous : vous avez tenu votre promesse faite à Abo, poursuivait Sybille avec dureté, jouant avec son alliance, cette alliance qui symbolisait tout ce qui les avait rapproché et qui les séparait désormais et que Henri se prit à haïr.
Il voulut lui dire de cesser de la toucher, hurler qu'elle n'avait qu'à l'ôter mais il se contenta de se rapprocher d'elle de quelques pas pour la dominer de toute sa hauteur et sentir la colère l'étreindre à son tour.

Il avait disparu le jeune homme sympathique toujours prêt à sourire et à s'amuser, son agacement devant ces félicitations qu'il n'avait pas voulu, surtout de sa part à elle faisait briller ses prunelles d'une lueur étrange et il se mit à trembler de rage contenue, ne supportant pas qu'on ose le défier. Car il prenait ces paroles comme un défi qui lui était directement adressé alors qu'elle ne faisait que souligner sa victoire. Il le savait qu'il aurait du se montrer heureux. Il aurait d'ailleurs du l'être pour trois mais il n'y était pas parvenu et qu'elle le souligne avec autant d'acidité le mettait terriblement mal à l'aise. Il n'y avait donc plus que la colère comme échappatoire.
- Est-il besoin que je justifie ma volonté de me retrouver seul ? Vous qui me voyez comme un homme à la tête toujours emplie de complots pour savoir comme imposer ma volonté, vous ne devriez pas être étonnée de me trouver là, à ce que je sache, lança-t-il avec une terrible ironie qui dut plus le blesser qu'elle.
Il la saisit par les épaules pour l'obliger à le regarder droit dans les yeux et enfin, à cette distance-là, il parvint à voir le bleu sombre de son regard ainsi que la brillance du reflet de la lune mais il la lâcha bien vite, comme s'il s'était brûlé et qu'il ne pouvait supporter le moindre contact.
- Vous me voyez donc bien comme quelqu'un d'égoïste qui ait fait tout cela pour moi, pour prouver à tous que je pouvais présider aux destinées ? Continua-t-il avec plus d'amertume, me suis-je donc moqué de vous ? D'Aymeric ? Ou d'Abo ? Je n'ai pas joué contre vous, Sybille, nous n'avions pas commencé une partie d'échecs ou alors j'ai joué dans votre camp, vous étiez la reine, je n'étais que le cavalier... Ou plutôt le fou.
Il désigna d'un geste la nuit environnante et cracha, plein de colère :
- J'ai fait de vous la comtesse de Blois et votre fils sera formé pour prendre un jour votre succession à Déols, est-ce donc tout cela que vous me reprochez ? Vous n'avez pas pu faire un mariage d'amour ? La belle affaire ! Avez-vous seulement aimé, ma dame car depuis que je vous connais, vous avez le cœur aussi sec que vos yeux et vos lèvres forment plus des moues que des sourires ? En vérité, vous avez le cœur aussi sec que ce père auquel vous tenez tant, tout ce qui vous intéresse, c'est votre petit jeu et le peu pouvoir dont vous avez l'impression de jouir sans vous préoccuper de ce qui est le mieux pour votre fils. Alors considérez-vous comme victime ou comme perdante si cela vous amuse, vous venez de gagner.
Et s'il y avait une chose dont Sybille de Déols n'avait pas conscience c'est qu'elle avait absolument tort. Henri de Champagne avait travaillé à sa propre perte pendant tous ces mois où il s'était rendu à Châteauroux et il avait déposé les armes car on ne pouvait lutter davantage contre les sentiments. Comment aurait-il pu seulement s'en réjouir quand l'avenir s'annonçait bien sombre, aussi sombre que la nuit blésoise qui les environnait ?
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Sybille de Déols
Petite boudeuse <3
Sybille de Déols


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[Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  Empty
MessageSujet: Re: [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.    [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  EmptyVen 28 Juin - 23:56

Il y avait bien des raisons pour lesquelles Sybille pouvait montrer tant d’aigreur et de rancune à l’égard du comte de Champagne dont certaines, bien lointaines car découlant des inimitiés de son père, ne lui avaient jamais pouvoir peser si lourd. L’admiration qu’elle avait toujours nourri pour son belliqueux père, quoi que consciente des nombreuses erreurs qu’il avait pu faire, admiration réveillée par ces sombres derniers jours passés au sein de l’une des familles honnies de son enfance aurait rendu vaine toute tentative de lui faire entrevoir combien il était peu judicieux de s’en remettre avec tant de conviction aux aigreurs familiales. N’avait-elle pas bien des fois entendu la terrible voix d’un Sulpice furieux maudire les Blois-Champagne et toute leur engeance après une énième querelle ou une bataille perdue ? N’avait-elle pas si souvent tremblé en imaginant la haute silhouette de son père juché sur sa monture, se démenant en vain sur le champ de bataille contre les hommes aux couleurs blésoises ? N’avait-elle pas, au détour d’un couloir ou derrière une porte, poussée par sa curiosité enfantine, entendu les inquiétudes, les éclats de satisfaction ou les redoutables colères qui faisaient parfois trembler les murs de la solide forteresse d’Amboise ? Jamais son père ne lui avait confié le moindre mot sur ces querelles, jamais il n’avait exigé le moindre serment de sa part, la moindre promesse de suivre ses traces, mais pour toutes ces raisons, Sybille s’était longtemps sentie comme l’héritière d’inimitiés que ses soeurs, trop effacées, et son frère, trop jeune, ne pouvaient porter. Pourtant, même ravivées par l’amertume, ces antiques batailles ne pouvaient à elles seules expliquer l’agacement qui l’avait étreinte durant toute la cérémonie à l’évocation du comte, et la colère qui la saisissait maintenant qu’ils se faisaient face, pour la première fois depuis quelques jours. Sans doute y avait-il d’autres sujets de rancoeur, qui ne devaient rien aux rancunes familiales. Il y avait les intrusions d’Henri à Châteauroux, que seule l’affection qu’Aymeric nourrissait pour son parrain autorisait, du moins Sybille se plaisait à le croire. Il y avait les morts d’Abo et de Sulpice dont il s’était fait le messager, celle de Loches dont elle le soupçonnait toujours d’être responsable, et qui lui avait valu de devoir déployer des trésors de diplomatie pour ne pas avoir maille à partir avec les Angevins. Il y avait les insistances du jeune homme pour la convaincre de se plier à cette union qu’elle ne désirait pas, ses ruses pour parvenir à ses fins, mais ça n’était pas cela qui faisait vibrer de rage la voix de la nouvelle comtesse de Blois. Sans doute aurait-ce été plus facile car alors, elle aurait pu mettre des mots clairs, des noms sur ses reproches. Mais Sybille n’était pas d’humeur à se voiler la face, et à l’évidence, c’était bien quelque chose de plus qui provoquait sa colère.

Ce quelque chose, elle crut mettre le doigt dessus lorsqu’elle le vit, seul, hanter cette même nuit dans laquelle elle traînait sa propre amertume, et s’y accrocha lorsqu’elle s’approcha résolument du jeune homme au lieu de tourner les talons, avant de prendre la parole. Pourquoi ne pouvait-il avoir l’air heureux, ou même seulement satisfait ? Pourquoi ne pouvait-il se réjouir de ce mariage, lui qui y avait si durement travaillé ? Voilà ce qui rendait les mots de la comtesse si acides : sa mine sombre, son manque d’enthousiasme, même habilement dissimulé, quand, s’il y avait bien une personne que l’on aurait dû voir se réjouir, c’était lui. Sybille aurait supporté les piques, les jubilations à demi-mots, les victoires claironnées tout haut, mais pas cela. Tout ce qui s’était passé durant cette longue journée, tout ce qui allait en découler, tout cela était de son fait, et de son fait uniquement. Et il osait ne profiter que forcé des festivités, il osait se trouver là, l’air sombre, tandis qu’elle-même ruminait sa défaite scellée par l’alliance qu’elle avait au doigt et consommée dans la couche qu’elle venait de fuir ? La jeune femme eut brusquement la sensation que tout cela était plus vain, qu’elle avait été plus jouée encore qu’elle ne le songeait, et c’est bien ce qui guida ses paroles pleines de rancoeur, car elle ne pouvait ni ne voulait chercher plus loin les raisons de cette sourde colère qu’elle retenait depuis de trop longues heures. Elle n’avait jamais rien voulu de tout cela, elle l’avait dit et répété, elle avait refusé mainte fois ces noces, et si même Henri ne s’en montrait pas satisfait, alors que faisaient-ils là, et pourquoi cette bague qu’elle ne pouvait s’empêcher de faire tourner autour de son doigt, pourquoi la nuit qui venait de s’écouler lui rappelaient-elle sans cesse à quel avenir amer elle venait de s’enchaîner ?

Le regard plein de colère, mais dissimulé par l’obscurité dans laquelle la forteresse des Blois était baignée, Sybille avait fini par se tourner à nouveau vers le comte qui, à son tour, s’était approché d’elle. Elle ne baissa pas le regard, et se redressa également pour lui faire face, bien qu’il la dominât largement.
« Est-il besoin que je justifie ma volonté de me retrouver seul ? lança finalement Henri après avoir gardé un silence obstiné, le ton plein d’ironie. Vous qui me voyez comme un homme à la tête toujours emplie de complots pour savoir comme imposer ma volonté, vous ne devriez pas être étonnée de me trouver là, à ce que je sache. »
Elle sursauta violemment lorsqu’il la saisit par les épaules, mais ne baissa pas les yeux. Elle se prit à songer un instant qu’il avait tort. Si elle avait d’abord regardé avec la plus grande méfiance ce jeune homme qui, dès leur première rencontre, avait tenté de s’ériger en un protecteur dont elle n’avait pas besoin, et même si cette méfiance ne s’était jamais éteinte, elle avait appris à passer outre, et parfois à voir quelqu’un d’autre que l’habile manipulateur : le chevalier dont elle partageait nombre des intérêts, que son fils considérait presque comme son père... Mais ces pensées ne firent que redoubler sa colère, et alors qu’il la lâchait, elle détourna le regard, poings serrés.
« Vous ne savez rien de l’homme que je vois, siffla-t-elle.  
- Vous me voyez donc bien comme quelqu'un d'égoïste qui ait fait tout cela pour moi, poursuivit pourtant Henri, pour prouver à tous que je pouvais présider aux destinées ? Me suis-je donc moqué de vous ? D'Aymeric ? Ou d'Abo ? Je n'ai pas joué contre vous, Sybille, nous n'avions pas commencé une partie d'échecs ou alors j'ai joué dans votre camp, vous étiez la reine, je n'étais que le cavalier... Ou plutôt le fou. »
La jeune femme ne répondit pas, parce qu’elle ne savait que répondre, elle qui, depuis le début, ne voyait que cette partie d’échecs dont il niait l’existence, et parce que voir les choses autrement rendait le out plus difficile encore. Ils s’étaient affrontés autour de ce mariage, parfois même au dépends d’autres, elle avait résisté, mais il avait fini par l’emporter, voilà le constat auquel elle s’était bornée, mais l’amertume qu’elle cru déceler dans les dernières paroles du comte jetèrent un instant le doute sur ces certitudes pourtant fortement enracinées. Un faible et furtif doute seulement, car les mots qu’Henri se mit à cracher par la suite en eurent aussitôt raison.
« J'ai fait de vous la comtesse de Blois et votre fils sera formé pour prendre un jour votre succession à Déols, est-ce donc tout cela que vous me reprochez ? Vous n'avez pas pu faire un mariage d'amour ? La belle affaire ! Avez-vous seulement aimé, ma dame car depuis que je vous connais, vous avez le cœur aussi sec que vos yeux et vos lèvres forment plus des moues que des sourires ? En vérité, vous avez le cœur aussi sec que ce père auquel vous tenez tant, tout ce qui vous intéresse, c'est votre petit jeu et le peu pouvoir dont vous avez l'impression de jouir sans vous préoccuper de ce qui est le mieux pour votre fils. Alors considérez-vous comme victime ou comme perdante si cela vous amuse, vous venez de gagner. »

Sybille resta un instant muette, et ne put que faire un pas en arrière devant une telle réplique. Pourtant, ce ne fut pas tant la surprise que la rage qui lui firent serrer les poings plus encore qu’ils ne l’étaient déjà, le visage traversé par une expression glaciale rendue plus froide encore par l’éclat blafard que la lune y jetait. À son tour, elle tremblait, mais ça n’était que de rage difficilement contenue - et de fait, qu’elle ne put contenir bien longtemps.
« Mais à quoi vous attendiez-vous, comte ? lâcha-t-elle enfin, la voix vibrante. À des remerciements ? À ce que je me montre reconnaissante pour ce que vous avez fait ? À des félicitations sincères pour la façon - habile, je dois vous le reconnaître - dont vous avez fini par arriver à vos fins ? Est-ce parce que vous n’avez rien eu de tout cela qu’on vous a vu si peu enthousiaste aujourd’hui ? »
Le ton de la jeune femme s’était durci au fur et à mesure et plus elle parlait, plus elle sentait la colère la gagner.
« Vous m’avez fait comtesse de Blois, mais jamais je n’ai voulu de ce titre ! continua-t-elle en désignant la même nuit que lui, quelques instants plus tôt. J’avais bien assez de Châteauroux et de mes fils, mais les terres sont maintenant celles de votre frère et quant à mes fils... Vous et votre cour m’ôtez le premier après que votre indiscrétion ait failli me coûter le second. Sans vous, sans votre obstination, nous n’en serions pas là, vous êtes la cause de tout cela ! »
Et dans ces mots, elle incluait cette confrontation dont il ne pouvait visiblement rien sortir de bon.
« C’est vous, et seulement vous qui souhaitiez de ce mariage. Même votre frère n’en voulait rien, et s’il l’a fait, s’il était là aujourd’hui, c’est uniquement parce qu’il est incapable de vous désobéir, et tremble sans doute à la simple idée de vous décevoir ou de faire quoi que ce soit qui vous desservirait. »
Sybille pensait ces paroles. Elle ne connaissait que peu son époux, mais elle les avait vu tous les deux. Dès leur première rencontre, il lui semblait des siècle auparavant, lorsqu’elle avait vu Thibaud baisser la tête et lui réclamer l’honneur de porter ses couleurs parce qu’Henri l’avait ordonné à demi-mots, elle avait compris. Peut-être aurait-elle pu faire alliance avec le jeune comte de Blois contre ce mariage, si elle n’avait pas eu la sensation ce jour-là qu’il ne ferait jamais rien contre son frère. Et en effet, qu’avait-il fait pour s’opposer à cette union ? Rien, et elle avait maintenant elle était liée à cet homme pour le reste de leur vie. Soudain, en plus de la colère, c’est l’écoeurement que l’on put lire sur le visage de la toute nouvelle comtesse, dont le regard, impitoyable, n’avait pas quitté les traits d’Henri. Emportée par sa fureur, elle leva la main gauche où brillait son alliance et la plaça à quelques centimètre à peine du visage du jeune homme.
« Mais peu importe que vous soyez le seul à vouloir de cette union : vous voyez, c’est fait. Et pourtant, vous osez ne pas être satisfait ? J’ai désormais pour époux que je n’ai jamais souhaité ne serait-ce que connaître, et pour famille l’homme qui a tué mon père, ne vous attendez pas à un quelconque enthousiasme de ma part. »
Un père pour lequel il savait pertinemment que ses yeux n’étaient pas restés secs, mais le malaise dont elle avait soudain été saisie lorsqu’il l’avait accusée de pas avoir aimé avait dissuadé Sybille de relever le moindre mot à ce sujet. Elle n’en avait cependant pas fini et, baissant la main, elle se rapprocha d’un pas pour se planter à nouveau face à lui.
« Maintenant, ce qui est fait est fait, asséna-t-elle avec plus d’amertume qu’elle n’aurait dû en sentir face à lui. À votre tour de tenir vos engagements, comte. Libérez mon frère, et nous n’aurons plus à nous revoir. »
Elle était bien trop en colère pour comprendre que ce n’était pas uniquement la rage qui lui avaient dicté ces derniers mots, et qu’elle ne les pensait pas entièrement. Mais c’était là une chose dont elle ne pouvait, ni ne voulait prendre conscience cette nuit-là, et qu’elle devait rejeter de toutes ses forces.
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[Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  Empty
MessageSujet: Re: [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.    [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  EmptyDim 30 Juin - 0:26

S'il y avait une leçon que Henri pourrait retirer de cette confrontation qu'il n'avait en aucun cas souhaitée et qu'il avait plutôt tenté de fuir tant la vue de Sybille de Déols semblait vouloir lui ôter le voile qui recouvrait ses yeux alors qu'il préférait rester aveugle, c'était que la colère ne soulage rien, n'éteint aucun regret et ne laisse derrière elle que rancœurs et amertume au lieu de la délivrance attendue. Il avait assez de l'exemple de son père, pourtant, père dont les fureurs étaient terribles et qui, à l'image de son ami Bernard, dans un autre registre, s'enflammait tout entier jusqu'à accomplir des actes impardonnables et à s'attirer des inimitiés durables. Parmi ces dernières, il y avait bien celle que lui vouait Sulpice d'Amboise qu'il avait fini par torturer jusqu'à la mort de la plus effroyable des façons comme si cette colère s'était transformée en flammes pour lécher le corps transi de douleur du père de Sybille. Qu'était-il resté de cette fièvre qui avait saisi Thibaud IV ? Uniquement des cendres et de la rancune. Le jeune homme avait pertinemment conscience qu'il était vain de songer qu'on pouvait pardonner ou que les enfants ne portaient pas les haines et les serments de leurs pères. Il avait essayé de le rendre possible par le biais de son amitié avec la veuve d'Abo ou par ce mariage entre les deux maisons mais l'ombre de leurs pères et de leurs colères demeurait, aussi palpable que la nuit dans laquelle les deux jeunes héritiers se faisaient face, enchaînés là par le poids du passé et par cette même rage qui les tendaient comme deux arcs qui se tendaient et se tendaient jusqu'à lâcher des flèches acérées l'un sur l'autre dans le but de blesser toujours plus durement. Malgré tout ce dont il avait conscience, malgré sa volonté de ne pas ressembler à ce père qu'il avait tant admiré avant de chercher à s'en détacher et qui lui offrait un contre-modèle quand Bernard lui peignait le chevalier idéal, le jeune comte n'était pas parvenu à garder son calme et le détachement qu'il aurait pourtant dû avoir selon toute logique, au mariage de son frère cadet. Au contraire, il s'était laissé emporter par sa propre colère, goûtant à quel point celle-ci était confortable et rassurante car elle permettait de fuir avec aisance ce qu'on ne voulait voir, elle aveuglait encore plus facilement que le vin ou les batailles. Cela ne ressemblait pourtant pas au jeune homme toujours souriant et affable, même devant ceux qui le trahissaient ou l'affrontaient. Bien plus, les mots avaient dépassé sa propre pensée. Henri savait pourtant que les paroles marquaient les esprits aussi nettement qu'une plume sur un parchemin, que dans ce monde où un serment avait force de loi, où une promesse orale valait bien plus qu'une malheureuse signature sur un parchemin, quand on savait signer ce qui n'était même pas le cas de tous les chevaliers, on ne pouvait pas prononcer des mots sans qu'ils ne fassent leur propre chemin, on ne pouvait dire de manière légère et badine, tout comptait et tout pesait lourd dans les cœurs jusqu'à en grever les âmes pour qu'elles ne puissent plus faire face au Jugement dernier. Ces paroles que l'on disait sous le coup de la rage, celles qu'on ne maîtrisait plus et qui sortaient sans qu'on l'ait voulu de la traîtresse bouche, c'était bien celles qui étaient les plus dangereuses et celles qu'on était amenés à regretter davantage.

D'ailleurs, ces paroles détestables, dignes d'une vipère de la cour, il les regretta dès l'instant où il les prononça. Non pas tant parce qu'il se montrait injuste car après tout, son objectif était de blesser la jouteuse qu'il avait face à lui et qui avait osé l'attaquer de la plus directe des façons jusqu'à le pousser dans ses retranchements mais surtout parce qu'il ne maîtrisait plus ce qu'il disait. Faisant fi de toute prudence, il s'était montré amer et avait laissé couler ses véritables préoccupations, les véritables reproches qu'il pouvait adresser à la jeune femme alors qu'il aurait préféré les laisser cloîtrés au fond de sa gorge. Qu'avait-il à faire de ce qu'elle pensait de lui après tout ? Pourquoi cette question revêtait-elle une telle importance à ses yeux ? Mais il se révélait encore davantage dans la dernière diatribe qu'il lui avait adressée, diatribe pendant laquelle il chercha encore davantage à lui faire mal, à lui lancer des flèches si pointues, badigeonnées de venin qu'elle ne se relèverait pas. A moins que ce ne soit que pour atteindre ce cœur qu'il accusait d'être si sec et qui n'avait su se lamenter que de la mort d'un homme léché par les flammes qu'il avait lui-même attisées. Si seulement... Si seulement elle n'avait jamais eu ces sourires en le voyant arriver à Châteauroux et qu'elle ne parvenait pas à dissimuler derrière ses moues, ces yeux pétillants en découvrant des manuscrits, cet enthousiasme ou cet air rêveur en écoutant le lai d'un trouvère... Tout ce qui avait prouvé à Henri qu'elle était peut-être plus que cette femme seulement intéressée par ses possessions et ces quelques grammes de pouvoir qu'elle dérobait à un fils trop jeune. Mais fort heureusement, il s'était interrompu avant de poursuivre et il se félicita que l'expression de son visage ne soit pas visible à cause de l'obscurité environnante. Car ce n'était pas dans une crispation de rage que Sybille aurait pu lire qu'une intense déception. Un sentiment qu'il n'avait pas à ressentir. Pas maintenant. Pas en faisant face à la comtesse de Blois, sa belle-sœur qui sortait tout juste du lit de son frère. Laquelle était restée muette comme pour mieux se laisser transpercer de part et d'autre par les flèches de Henri, allant jusqu'à reculer d'un pas quand il formula ses accusations injustes. Le comte de Champagne n'avait pas quitté ses yeux un seul instant et constata, malgré l'éclat blafard de la lune, que le visage de la jeune femme se transformait jusqu'à adopter une expression figée digne du marbre froid dans lequel avait également été taillé son cœur. Certes, elle avait été touchée par ses paroles mais loin de grimacer, loin de s'enfuir comme une autre l'aurait peut-être fait, elle sembla se grandir encore et fit face, plus courageuse, plus digne de louanges et des couronnes de lauriers qu'on adressait aux vainqueurs des tournois, armée de ses mots et casquée de sa fierté. Elle tremblait à son tour mais elle ne voulait plus laisser le terrain à son adversaire qui aurait pourtant tout donné pour ne pas être sa cible et qui regretta dès ses premières paroles de ne pas avoir choisi d'aller chercher l'oubli dans sa propre chambrée, dans le noir profond où vivent les fantômes et les songes.

- Mais à quoi vous attendiez-vous, comte ? Et sa voix vibrait jusqu'à se répercuter en écho sur l'armure du chevalier qui se tenait devant elle, incapable d'arrêter ces traits même s'il l'avait voulu. À des remerciements ? À ce que je me montre reconnaissante pour ce que vous avez fait ? À des félicitations sincères pour la façon - habile, je dois vous le reconnaître - dont vous avez fini par arriver à vos fins ? Est-ce parce que vous n’avez rien eu de tout cela qu’on vous a vu si peu enthousiaste aujourd’hui ?
Contre toute attente, Henri ne sut que répondre et comme giflé, ce fut lui qui recula d'un pas. Elle venait de lui poser directement la question à laquelle il s'était obstinément refusé à apporter de réponse pendant toute la journée. La raison de son peu d'enthousiasme, de son amertume, de sa jalousie même. S'il ne pouvait se l'avouer à lui-même, comment aurait-il pu lui expliquer à elle qui n'avait que faire de ses hésitations et qui montrait assez qu'elle le détestait pour tout ce qu'il venait de lui faire ? Elle ne paraissait pas attendre de réponse, toute à sa colère qui lui faisait serrer les poings et poursuivit :
- Vous m’avez fait comtesse de Blois, mais jamais je n’ai voulu de ce titre ! J’avais bien assez de Châteauroux et de mes fils, mais les terres sont maintenant celles de votre frère et quant à mes fils... Vous et votre cour m’ôtez le premier après que votre indiscrétion ait failli me coûter le second. Sans vous, sans votre obstination, nous n’en serions pas là, vous êtes la cause de tout cela !
Sybille crachait toute la haine qu'elle avait pour lui dans un seul et même fleuve de paroles qui faillirent emporter Henri avec eux, tant il pâlissait dans la lueur étrange de la lune. Il chercha à protester, à souligner qu'il n'avait jamais voulu lui prendre ses enfants ou ses terres mais elle ne l'écouta pas car il n'était plus le temps de se défendre ou de se chercher des excuses. Elle ne voyait pas les avantages d'une telle situation ou le fait que son aîné, devenu page à la cour de Champagne, bénéficierait des meilleurs maîtres. Ce genre d'arguments avec lesquels il avait combattu avec acharnement pour la convaincre des bienfaits de cette idée semblaient dérisoires en cet instant, comme si la nuit par son étrangeté rendaient ridicule ce qui semblait important le jour et ne cherchait qu'à mettre en lumière ce qu'on dissimulait ardemment dans les ténèbres. Le pire était pourtant encore à venir car la colère de Sybille mettait désormais en avant Thibaud lui-même, soulignait à quel point il n'avait pas voulu de cette union, rappelait à Henri les trésors de persuasion qu'il avait dû mettre en œuvre pour le faire aller jusqu'à l'autel en ce jour. Elle mettait à bas, piétinait cette si belle entente qu'il s'imaginait entre lui et ses frères, cette alliance forgée par le sang à la demande de leur aïeule, faisait du comte de Blois un faible aux ordres de son aîné qui n'avait que faire de ses aspirations. Comme s'il se comportait exactement comme leur père l'avait fait, avec plus d'hypocrisie et de manipulation encore, jouant sur les sentiments et les fidélités des uns et des autres pour parvenir à ses fins... Ce beau lien idéalisé n'était qu'une vaste mascarade mais ce qui blessa le plus Henri, c'était que Sybille avait entièrement raison. Cette dernière n'avait que faire des traits figés de son adversaire et s'était plantée devant lui, elle lui brandit sa main gauche sous les yeux, se délectant de voir le regard brun de Henri, assombri encore par la nuit se poser sur cette bague que personne n'avait jamais voulu.

- Mais peu importe que vous soyez le seul à vouloir de cette union : vous voyez, c’est fait. Et pourtant, vous osez ne pas être satisfait ? J’ai désormais pour époux que je n’ai jamais souhaité ne serait-ce que connaître, et pour famille l’homme qui a tué mon père, ne vous attendez pas à un quelconque enthousiasme de ma part.
La cruelle continuait à le torturer avec autant de patience que d'acharnement. Le jeune homme s'efforçait de subir les flèches avec autant d'indifférence apparente dont elle avait fait preuve mais il n'y parvenait pas entièrement. Si son visage s'était arrêté en une grimace qui pouvait passer pour de la colère, ses yeux s'étaient mis à briller autant par la rage que par le désespoir, fort heureusement, seule la lune eut connaissance de cette faiblesse.
- Maintenant, ce qui est fait est fait, répéta Sybille avec dureté, comme pour achever le jouteur en face d'elle (en un éclair, Henri se remémora l'assurance tranquille avec laquelle elle avait tué le cerf sous ses yeux quelques mois auparavant), à votre tour de tenir vos engagements, comte. Libérez mon frère, et nous n'aurons plus à nous revoir.
Un silence accueillit ces derniers propos, un silence glacial pendant lequel seul un souffle d'air passa sur eux, agitant légèrement la robe et la chevelure décoiffée de la jeune femme, obligeant le comte à croiser les bras sur sa poitrine pour se protéger un peu du froid. Le rappel de la promesse qu'il lui avait faite avait cependant permis à Henri de reprendre contenance. D'un ton froid, signe que sa colère n'était pas retombée mais qu'il la maîtrisait à son avantage, il répliqua :
- Je vous ai promis de libérer votre frère, je le ferai car jamais je n'ai failli à ma parole et jamais je ne faillirai.
Il marqua ensuite une hésitation, ne sachant que répondre. Il ne pouvait pas lui fournir les explications qu'elle désirait et de toute façon, la cruauté avec laquelle elle l'avait blessé, elle s'était acharnée sur lui jusqu'à détruire pièce par pièce tout l'espoir que son cœur peu raisonnable aurait pu vouloir concevoir faisait qu'elle ne les méritait pas. Il se détourna un instant, laissant penser que la conversation pourrait se terminer là mais un dernier regret l'empêcha de partir tout à fait. Quand il se retourna, Sybille paraissait déjà s'éloigner, sans attendre davantage de lui, comme si elle le connaissait assez pour le savoir lâche et ne plus rien espérer de sa part. D'un geste, il lui saisit le bras avec force et l'obligea à lui faire face, la maintenant presque pour qu'elle l'écoute. Qu'avait-il pourtant à dire ? Que pouvait-elle seulement écouter ?
- Je n'attends rien de vous, commença-t-il d'un ton plus ardent, plus pressé comme s'il craignait qu'elle ne lui échappe, surtout pas des félicitations car je sais bien que vous ne pourriez être sincère mais je ne veux pas non plus des reproches car j'estime avoir rempli mon devoir tout comme Thibaud a aujourd'hui rempli le sien. Vous avez tort, mon frère a vu quel était son intérêt, pas celui de vous prendre vos terres mais celui de protéger les biens de votre fils pour en faire un de nos alliés. Lui conserver son héritage, celui qu'Abo lui a laissé, c'est tout ce que je désire, tout comme vous.
Désormais assuré qu'elle n'allait pas chercher à s'enfuir, il la lâcha et se sentit soulagé de ne plus la sentir sous ses paumes, de ne pas la tenir par ses bras où Thibaud l'avait peut-être caressée quelques heures auparavant. La nausée qu'il ressentit à cette pensée se transforma en nouvelle flambée de colère :
- La seule chose que je regrette, lâcha-t-il avec cruauté, c'est de lui avoir donné une épouse amère et incapable de passer au-delà des haines de sa famille alors qu'il méritait beaucoup mieux. Vous n'avez pas perdu vos terres, vous n'avez pas perdu vos fils car Aymeric appartiendra toujours à celle qui lui a donné la vie... Mais ce qui vous chagrine c'est que je ne sois pas là devant vous à exulter ? N'ayez crainte, une fois votre frère revenu dans sa famille, je ne vous imposerais pas davantage ma vue qui semble tant vous indisposer, vous n'aurez plus jamais à vous soucier de moi et de mes sentiments. Montrez-vous au moins aimable avec Thibaud, c'est là tout...
Un bruit de pas l'interrompit alors qu'il allait tenter de lancer une dernière phrase avant de partir, furieux contre Sybille mais surtout contre lui-même. Il se détestait pour avoir respecté sa promesse à Abo, pour avoir été aveugle comme pour être trop clairvoyant. Était-ce là son châtiment pour ses fautes ? A qui allait-il désormais devoir faire face ? Heureusement ce ne fut qu'un garde qui passait par là, attiré par les bruits des voix.
- Tout va bien, comte ? Demanda-t-il en reconnaissant le frère de son maître, inconscient de la fureur qu'il allait déclencher.
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Sybille de Déols
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Sybille de Déols


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MessageSujet: Re: [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.    [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  EmptyLun 1 Juil - 1:00

Tout en Sybille n’était plus que colère et amertume, et le hasard avait terriblement mal fait les choses en plaçant Henri sur sa route ce soir-là, car de tous les convives qui s’étaient rassemblés à Blois pour les festivités de la noce il était le plus à même de comprendre la fureur de la jeune femme, et sans doute celui qui méritait le plus d’en subir les conséquences. Il était pourtant rare que la nouvelle comtesse se laisse aller à de tels accès de rage, elle qui n’avait pas son pareil pour souffler chaud et froid en prenant bien garde à se rendre indéchiffrable pour ses adversaires, à ne pas leur laisser l’occasion de comprendre ce qui pouvait bien se passer derrière le masque imperturbable qu’elle arborait en toutes circonstances, à grands renforts de moues et de regards indéfinissables. Le comte de Champagne lui-même avait eu de nombreuses fois à faire face à une telle attitude, et Sybille aurait donné beaucoup pour être capable de la conserver, mais les paroles du jeune homme avaient eu raison de tout son sang-froid, de tout son empire sur elle-même déjà rudement mis à l’épreuve dans les heures qui venaient de s’écouler. Elle s’était pourtant promis de rester digne, afin de ne pas faire le plaisir à qui que ce soit de montrer à quel point elle se sentait prise au piège, enfermée dans un mariage dont elle avait la sensation qu’il ne pouvait rien ressortir de bon, car c’était bien là tout ce qu’il lui restait : son indifférence. Elle avait tenu bon pendant une grande partie des festivités, ne laissant parfois échapper qu’un soupir, un rictus, un regard pouvant la trahir avant de se dissimuler à nouveau derrière le masque de la jeune épousée, certes distantes, que l’on venait féliciter en lui souhaitant une longue et heureuse descendance. C’est à peine si ses traits s’étaient crispés, ou si son regard s’était ternis lorsque Bernard de Clairvaux lui avait passé l’alliance au doigt, ou lorsque l’on l’avait poussée avec Thibaud vers le lit béni pour l’occasion, et quoiqu’il avait sans doute été aisé aux personnes qui la connaissaient de lire derrière ses quelques sourires quelles sombres pensées l’agitaient, jusqu’à ce que la nuit de noce ne vienne, et même durant celle-ci, Sybille, fidèle à elle-même, avait su conserver toute sa dignité. Mais là, alors que seule la nuit pouvait lire les visages, face au comte dont les mots étaient autant de flèches acérées et pleines de venin, toute cette belle indifférence s’était envolée et elle ne parvenait plus à dissimuler la fureur qui couvait en elle depuis le début de la cérémonie, fureur à laquelle il n’était pas étranger et qu’il semblait prendre un malin plaisir à attiser par ses accusations injustes, si bien qu’elle regretta amèrement d’avoir provoqué cette entrevue. Mais si elle était blessée, si elle fit mine de reculer, la dame de Déols avait trop à dire et trop de rage au coeur pour laisser le comte tenter de l’abattre sans faire face.

Elle avait pour lui, pour son attitude tant de rancoeur soudain qu’il lui semblait qu’elle ne pouvait que la lui cracher au visage, même si une part d’elle n’ignorait pas qu’elle regretterait ces paroles qui, pour n’être que de pures vérités, n’en étaient pas moins haineuses. Elle savait pertinemment, ou du moins se doutait de ce à quoi elle touchait en l’accusant de manipuler son frère selon ses propres intérêts, sans se soucier de ce que Thibaud pouvait bien en penser, et ces étaient mots prononcés de façon si crue que l’on ne pouvait douter un instant qu’elle avait eu pour seul but de blesser Henri, mais n’était-ce pas là tout ce qu’il méritait après ses propres diatribes ? Sybille avait besoin de laisser s’exprimer toute sa colère, même si celle-ci était loin de s’éteindre, et n’avait que faire de se montrer lucide ou clairvoyante - deux qualités dont, de fait, elle faisait bien peu preuve ce soir, sur le jeune homme qui lui faisait face comme sur les véritables reproches qu’elle aurait eu à lui faire. Elle ignorait alors avec quelle rudesse elle mettait le doigt précisément sur ce qui troublait Henri, et qu’il n’avait pas lui-même les réponses à ses questions, mais même si elle l’avait su, il y avait fort à parier que la nouvelle comtesse ne s’en serait pas émue, car après tout, qu’avait-elle à faire, ce soir, des états d’âmes de celui qui était la cause d’un mariage qui l’écoeurait par avance ? Sybille était alors bien incapable de comprendre qu’il n’y avait pas que de la rancune, de la colère dans ce qui faisait furieusement battre son coeur, et la poussait à serrer les poings si fort, tout comme elle ne pouvait voir briller dans le regard d’Henri autre chose que la même rage que celle qui l’étreignait et qu’elle avait sciemment provoqué par ses paroles. Il n’y avait sans doute rien qui aurait pu lui faire ouvrir les yeux, et personne pour s’y essayer, tout comme il n’y eut aucun mot, aucun geste de la part du comte pour l’obliger à retenir le venin amer qui coulait en chacune de ses paroles en un flot enfin interrompu par une sentence définitive qui ne laissa entre les deux jouteurs qu’un silence aussi froid que les quelques mots qui s’en suivirent.
« Je vous ai promis de libérer votre frère, je le ferai car jamais je n'ai failli à ma parole et jamais je ne faillirai. »
Sybille lui adressa un regard qui pouvait tenir lieu d’avertissement mais ne répondit pas, car elle en attendait plus, elle voulait des réponses aux questions qui lui avaient échappé sans savoir pourquoi exactement, ni quelle utilité elle pouvait trouver à s’acharner ainsi. Mais déjà, Henri semblait vouloir tourner les talons, et après l’avoir observé une courte seconde esquissait ce qui lui semblait être une fuite, la comtesse se résigna brusquement.  

À son tour, elle voulu s’en aller, mettre fin à cette confrontation sordide et la laisser derrière elle mais avant qu’elle ait pu s’éloigner réellement, une main se referma avec force autour de son bras et en un instant, elle faisait de nouveau face au jeune homme, qui la retint dans cette position malgré le geste qu’elle fit pour se dégager.
« Je n'attends rien de vous, surtout pas des félicitations, reprit le comte, car je sais bien que vous ne pourriez être sincère mais je ne veux pas non plus des reproches car j'estime avoir rempli mon devoir tout comme Thibaud a aujourd'hui rempli le sien. Vous avez tort, mon frère a vu quel était son intérêt, pas celui de vous prendre vos terres mais celui de protéger les biens de votre fils pour en faire un de nos alliés. Lui conserver son héritage, celui qu'Abo lui a laissé, c'est tout ce que je désire, tout comme vous. »
La dame avait d’abord tenté de se libérer de la poigne qui la maintenait, ne souhaitant pas en entendre plus ni prolonger une dispute qui ne menait à rien sinon à plus d’amertume, mais à nouveau, le comte avait réussi à attiser sa colère et lorsqu’il la lâcha, ce ne fut que pour la voir à se redresser face à lui, prête à lui faire face à nouveau. Osait-il réellement nier que Thibaud avait soudain vu son intérêt dans ce mariage, lui qui n’y était pas moins réticent que la jeune femme ? Comparait-il vraiment leurs vues pour Aymeric, quand il savait pertinemment qu’elle avait déjà sa propre idée concernant son fils ? Elle aurait volontiers répondu, s’il n’avait pas repris la parole avant qu’elle ait seulement le temps d’ouvrir la bouche.
« La seule chose que je regrette, c'est de lui avoir donné une épouse amère et incapable de passer au-delà des haines de sa famille alors qu'il méritait beaucoup mieux. Vous n'avez pas perdu vos terres, vous n'avez pas perdu vos fils car Aymeric appartiendra toujours à celle qui lui a donné la vie... Mais ce qui vous chagrine c'est que je ne sois pas là devant vous à exulter ? N'ayez crainte, une fois votre frère revenu dans sa famille, je ne vous imposerais pas davantage ma vue qui semble tant vous indisposer, vous n'aurez plus jamais à vous soucier de moi et de mes sentiments. Montrez-vous au moins aimable avec Thibaud, c'est là tout... »
Il s’interrompit brusquement, et si elle n’avait pas vu se dessiner dans la nuit une silhouette comme sortie de nulle part, Sybille en aurait sans doute profité pour céder à cette nouvelle flambée de rage qu’il avait provoqué, sans donner la moindre des explications qu’elle avait exigé. Elle dut se contenir pourtant, et c’est avec un regard ardent de colère contenue qu’elle observa le nouvel arrivant, qui se trouvait être un garde.
« Tout va bien, comte ? demanda ce dernier.
- Que faites-vous ici ? intervint aussitôt Sybille. »
Il n’y eut d’abord pour toute réponse qu’un court silence, durant lequel le garde dévisagea la jeune femme qui s’était ainsi adressé à lui, avant de se tourner à nouveau vers Henri.
« Qui est-ce ? Cette dame vous pose-t-elle problème, comte ? »
Il n’en fallu pas plus à la dame en question pour sentir son sang bouillir à nouveau.
« Cette dame est devenue votre comtesse aujourd’hui, gronda-t-elle la voix menaçante, tandis que le garde blêmissait brusquement, adressez-vous à moi ! »
Le malheureux imbécile se confondit en excuses devant la jeune femme qui ne lui laissa guère le temps de s’attarder et lui ordonna sur un ton qui n’admettait pas de réponse d’aller reprendre son poste, ce qui eut pour effet de lui faire marmonner quelques mots incompréhensibles.
« Eh bien, que faites-vous encore là ?
- C’est que, ma dame... mon poste est ici, balbutia le soldat, s’attirant par là un regard plus noir que la nuit qui les entourait.
- Je vous conseille d’aller en trouver un autre. Immédiatement. »
Le ton étant sans appel et le garde ne se fit pas prier, conscient de ce qu’il risquait à s’éterniser plus longtemps. En un instant, il eut disparu, et le bruit de ses pas s’envola avec un nouveau souffle de vent qui fit à peine frissonner Sybille.

C’est dans un silence lourd qu’elle se tourna vers Henri, duquel elle s’était légèrement éloignée à la faveur de son échange avec le garde. Elle le dévisagea un instant, autant qu’il était possible de le faire dans l’obscurité qui les enveloppait, étudiant un instant ses traits si familiers sur lesquels le clair de lune jetait un éclat blafard, ces traits froids que l’on voyait d’ordinaire armés de sourires parfois désarmants qu’elle avait appris à connaître. Elle constata alors que si la colère qui l’étreignait un peu plus tôt était légèrement retombée, l’amertume, elle, n’en était que plus grande.
« Je n’attends plus rien de vous non plus, comte, puisque vous n’êtes pas même capable de vous réjouir d’un évènement qui est de votre fait, ni d’en donner la moindre explication, siffla-t-elle. Mais après tout, pourquoi cela vous concernerait-il désormais, ce n’est pas vous qui êtes marié, poursuivit-elle, amère. »
Par réflexe comme par nervosité, ses mains s’étaient de nouveau mis à jouer avec l’alliance qu’elle craignait de ne pouvoir supporter bien longtemps. Pourquoi s’acharner ? Elle l’avait dit : ce qui était fait l’était, et l’enthousiasme dont aurait pu faire preuve Henri n’aurait en rien rendu cette union plus heureuse.
« Tenez votre promesse, puis pour ma part, je ne veut plus avoir à me préoccuper de quoi que ce soit vous concernant, reprit la comtesse sur un ton sans appel. Vous en avez déjà bien assez fait. »
Un nouveau souffle d’air la fit frissonner cette fois. Elle resserra le lourd manteau de fourrure autour d’elle puis jeta un nouveau regard lourd de rancune, de colère sourde, de venin et de froideur à Henri.
« Maintenant, excusez moi, je m’en vais retrouver la couche de mon époux, et me montrer aimable avec lui puisque c’est là votre souhait, cracha-t-elle. »
Là-dessus elle le salua à peine et tourna les talons, pour lui cacher à lui et à l’éclat parfois traître de la lune que cette dernière flèche lui avait peut-être fait plus mal qu’à lui. Sans un mot de plus, ni un regard en arrière, la toute nouvelle comtesse de Blois s’éloigna et disparut dans la nuit pour retrouver l’ombre froide et inhospitalière des murailles de la haute forteresse. Elle fit d’une traite le chemin qu’elle avait parcouru ce qui lui semblait des heures plus tôt, ignorant le noeud qui s’était formé au fond de sa gorge pour une raison toute aussi obscure que la nuit qu’elle finit par quitter, quoi que l’intérieur du château ne fût guère plus lumineux. Là, elle retrouva son chemin dans le noir, mais une fois parvenue devant la porte de sa chambre, elle s’arrêta. Elle voulu d’abord faire demi-tour mais finalement, la fatigue et la colère commençant à avoir raison d’elle, elle s’adossa longuement au mur froid, l’esprit plein des paroles haineuses qu’elle venait d’échanger avec Henri, et d’un regret insaisissable qui semblait pourtant déjà la ronger de l'intérieur. Elle resta longuement dans cette position, avant que des bruits de pas venant dans sa direction ne la forcent à pénétrer dans la chambre, afin de ne pas être surprise. Là, c’est seulement après avoir laissé tomber son manteau de fourrure qu’elle prit conscience du regard qui pesait dans son dos. Elle ferma un instant les yeux, avant de se tourner vers Thibaud, qui l’observait depuis le lit d’où il n’avait pas bougé.
« Où étiez-vous ? demanda le comte.
- Dehors. J’ai... je dors peu, répondit Sybille. »
Elle coupa court à toute question d’un geste de la main et après une hésitation, tout en étouffant un nouveau regain de colère, le rejoignit. Si elle ferma les yeux, elle n’en trouva pas pour autant le sommeil, et lorsqu’elle les rouvrit, le jour, comme une pâle continuation de la nuit écoulée, lui sembla bien amer.
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Henri de Champagne
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[Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  Empty
MessageSujet: Re: [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.    [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.  EmptyLun 1 Juil - 23:23

Ce fut la brusque impression d'être observé, de sentir un regard extérieur et donc indésirable se poser sur eux alors qu'ils pensaient être seuls pour se cracher des horreurs au visage et pour tenter de se blesser jusqu'à en prononcer des paroles impardonnables, qui arrêta Henri de Champagne en plein dans sa tirade amère. Il s'interrompit même au milieu de sa phrase pour se retourner vers l'intrus, espérant qu'il ne le connaissait pas ou pire que celui-ci n'avait pas surpris leur conversation, fort peu digne de personnes qui partageaient désormais la même famille et qui venaient de le célébrer de manière grandiose. Lui qui aurait tant désiré voir apparaître l'une de ses sœurs pour l'apaiser quand il avait entendu les bruits de pas de Sybille de Déols quelques minutes auparavant, il en venait maintenant à redouter que ce soit l'une d'entre elles et qu'il soit contraint de donner de nouvelles explications, car apparemment, c'était à lui de se justifier alors qu'il ne parvenait pas à mettre des mots sur sa rancune ou sa jalousie. Comment l'aurait-il pu quand ses pensées tournoyantes et désespérées, comme ces rapaces qui volaient au-dessus des cadavres dans le désert de la terre sainte, ne parvenaient pas à se fixer et à enfin le mettre devant ses erreurs et ses regrets ? Pourquoi Sybille tentait-elle de l'obliger à faire se poser ces rapaces quand ils ne pourraient que créer davantage de malheurs et mutiler encore plus les restes de la dignité et de l'estime de soi du jeune homme ? Ne se rendait-elle pas compte de leur dangerosité ? Quand les vautours se posaient sur la caravane des pèlerins allant en Terre sainte, on les chassait à coups d'épée pour éviter leurs coups de becs. Mais son absence de véritable explication à donner à la jeune femme devint secondaire quand il se retourna vers le nouvel arrivant. Fort heureusement, il ne s'agissait que d'un garde qui avait peut-être quitté son poste à l'appel du vin qui coulait à flots dans la forteresse et sans reconnaître Sybille, il ne s'inquiéta que de l’état du comte, qui aurait difficilement pu répondre que tout allait bien. Mais de toute façon, la jeune comtesse ne lui laissa pas le temps de répondre et s'étant détournée de son interlocuteur, toujours aussi vibrante de colère même s'il l'avait senti si froide sous sa paume, elle répliqua sèchement :
- Que faites-vous ici ?
- Qui est-ce ? Cette dame vous pose-t-elle problème, comte ? Insista le garde, inconscient de remuer là ce qui posait précisément problème à Sybille de Déols, laquelle laissa échapper sa fureur contre l'intrus qui s'était glissé dans leur joute mais qui ne faisait pas le poids.

En quelques répliques seulement, il fut d'ailleurs hors-jeu et dut se retirer sans que Henri n'élève une seule fois la voix pour prendre sa défense. Il ne put que constater qu'elle venait d'investir son rôle de châtelaine mais étrangement, il n'en fut pas forcément heureux même si c'était là ce qu'il lui réclamait. Occuper sa place et cesser de ruminer un état de fait. Mais depuis le matin même, il apparaissait qu'il était incapable de seulement se satisfaire de ce qui aurait dû le réjouir. Un silence accueillit le départ du garde, seulement rompu par la brise qui sifflait à leurs oreilles. Le comte ne chercha pas à reprendre la parole et se contenta d'observer la fine silhouette se retourner vers lui et le dévisager. Il loua la nuit pour dissimuler ses traits tout comme cette moue qui s'était formée sur ses lèvres, pâle copie de son éternel sourire joyeux ou moqueur mais tout ce qui faisait de lui l'être qu'il était avait été soufflé par la colère et dévoré par le brasier que Sybille avait allumé. Ce fut à cet instant qu'il faillit tourner les talons, jugeant qu'il n'avait désormais plus rien à lui dire, mais après tout, il n'avait rien à lui dire depuis le début et il lui aurait été plus sage de la laisser partir quelques instants auparavant au lieu de la forcer à lui faire face une dernière fois. Mais assumant son erreur, il subit sans broncher ce regard plein de haine et les paroles qu'elle lui adressa, les dernières même selon elle. Autant de mots qui blessèrent Henri jusqu'au plus profond de lui-même, se logèrent dans un recoin de son esprit et se gravèrent dans son cœur comme des ciseaux dessinent des traits dans la pierre, des mots aux visages grimaçants et ricanants des statues de démons qui ornaient le portail de l'église de Lagny.
- Je n'attends plus rien de vous non plus, comte,  puisque vous n’êtes pas même capable de vous réjouir d’un événement qui est de votre fait, ni d’en donner la moindre explication. Mais après tout, pourquoi cela vous concernerait-il désormais, ce n’est pas vous qui êtes marié...
Henri ouvrit la bouche pour répliquer mais il se rendit compte qu'il n'avait absolument rien à répondre à cela. De plus, son regard avait perçu un éclat brillant et se posa sur la main gauche de la jeune femme qui triturait de nouveau l'alliance qu'on lui avait passé autour du doigt lors de la cérémonie.
- Je doute que mon enthousiasme ou mon air ravi ait changé quoi que ce soit, souffla-t-il, presque imperceptiblement, cela n'aurait pas rendu cette bague plus légère à porter.

Sybille n'avait que faire désormais de ses paroles ou de ses réflexions de toute façon. Elle le tenait à sa merci, elle n'avait plus à redouter une flambée de colère, il ne lui restait plus qu'à faire une dernière bravade, comme pour narguer son adversaire qui devait désormais s'effacer du jeu car il n'avait plus rien à y faire. Dans les nouvelles dispositions, il avait perdu son rôle et on jouerait très bien sans lui, quitte à l'éliminer sans ménagement. Mais cela ne suffisait pas à Sybille, elle désirait visiblement le mettre à terre et s'assurer qu'il ne reviendrait plus jamais troubler la partie qu'elle devait mener seule avec son époux.
- Tenez votre promesse, puis pour ma part, je ne veux plus avoir à me préoccuper de quoi que ce soit vous concernant, reprit la comtesse sur un ton qui ne souffrait pas de contestation, le même ton qu'elle avait employé avec le garde précédemment, vous en avez déjà bien assez fait.
Henri recula d'un pas, comme giflé, comme s'il se rendait soudain compte de ce qu'impliquait sa proposition maintenant qu'elle la formulait. S'en était fini des rencontres à Châteauroux ou à la cour, il n'allait plus être amené à la revoir. Et surtout, elle ne désirait pas le revoir. Cette pensée le blessa plus qu'il ne l'aurait souhaité, peut-être parce qu'il avait pensé qu'elle le considérait comme un ami. Mais en vérité, elle le haïssait, elle le haïssait avec une force qu'il ne soupçonnait pas et cette constatation lui serra la gorge, l'empêchant de répliquer. Si seulement il l'avait voulu.
-  Maintenant, excusez moi, je m’en vais retrouver la couche de mon époux, et me montrer aimable avec lui puisque c’est là votre souhait, cracha Sybille, en fronçant les sourcils, dans un dernier trait d'une cruauté dont elle ne soupçonnait pas la violence et qui fissura le cœur de Henri, lequel baissa la tête, incapable même de continuer à la regarder dans les yeux.

Quand il releva la tête, elle avait disparu, avalée par cette nuit sans pitié, rejoignant les ombres auxquelles elle appartenait, au même titre que le reste des fantômes et des songes qui accablaient le jeune homme. Néanmoins, sa présence resta perceptible dans le souffle de l'air et pendant quelques instants encore, Henri vit son beau visage transformé par la colère, ses traits tendus rendus méconnaissables par la pâle lueur de la lune, ses boucles blondes retombant en désordre sur ses épaules couvertes d'une pelisse comme si elle se trouvait toujours devant lui, poings serrés, rendue furieuse par tout ce qu'il lui avait dit. Et tout ce qu'il ne lui avait pas dit. Plus belle que jamais dans toute la pureté de la rage mais terriblement irréelle et inaccessible. Mais sans qu'il n'esquissa le moindre geste pour le retenir, le songe disparut à son tour dans un bruissement d'air et Henri se retrouva à nouveau seul comme si toute la conversation qu'il avait eue avec la jeune femme n'avait été qu'un rêve de plus à ajouter à la suite des cauchemars qui avaient constitué cette journée, s'enchaînant les uns aux autres uniquement pour créer encore plus d'horreur et pour atteindre cet instant-là. Henri resta immobile quelques minutes, se sentant abandonné de tous, loin des préoccupations de ceux qui continuaient à boire et à s'amuser, loin du sommeil des autres, rejeté avec cruauté mais sans l'ombre d'une hésitation par Sybille de Déols. Il avait la gorge étrangement nouée et il s'aperçut que tous ses membres tremblaient encore sous l'effet de la colère. Celle-ci pourtant s'éteignait avec autant de discrétion que de violence lorsqu'elle s'était réveillée. Et comme il s'y était attendu, une fois effacée, elle ne laissait rien derrière elle sinon de la rancune et ce nœud dans sa gorge dont il ne parvenait pas à se défaire. Il sentait encore les gifles qu'il avait reçues, le brûler avec plus de vigueur que si elles avaient été vraiment données. Mais à part cette blessure-là, il se trouvait étrangement vide, épuisé par le torrent qu'il avait déversé et qui l'avait ballotté entre sentiments contradictoires. Seul le vent qui s'était levé paraissait vouloir lui tenir compagnie, jouait avec les plis de son bliaud, avant de souffler de violentes rafales pour le faire fléchir à son tour. Mais si c'était là le seul qui voulait bien de lui, Henri s'en contenterait. D'un pas d'abord hésitant puis plus assuré, il retourna près du muret de pierres et s'accouda, se plaçant exactement dans la position dans laquelle il avait été surpris par Sybille de Déols. Ce fut au moment où il se félicita d'avoir su rester digne qu'il se laissa aller à un moment de faiblesse. Qui aurait pu s'en émouvoir après tout ? Le vent impitoyable n'en avait que faire. Le jeune homme se couvrit le visage de ses mains, cachant cette nuit trop lumineuse pour lui, tenant d'effacer le monde ou de s'effacer lui-même, il l'ignorait, sentant ses paupières s'embuer mais les larmes ne coulèrent pas. Il resta ainsi pendant plusieurs minutes puis redressa la nuque, ayant réussi à retrouver son masque impassible. Il ne leva les yeux que pour constater que le ciel était obstinément vide et que les étoiles ne luisaient pas cette nuit-là. A quoi bon quand tout espoir avait été balayé ?

Étrangement, cette dernière pensée le soulagea car il ne pouvait se permettre d'entretenir un quelconque espoir, surtout pas après que Sybille se soit donnée à son frère. Il était parvenu à ses fins, tout était pour le mieux et la haine que la jeune femme éprouvait visiblement à son égard simplifiait bien des choses. Il n'aurait plus à la revoir et il pourrait enfouir cette amertume qu'il avait ressenti cette journée-là au plus profond de son cœur jusqu'à ce qu'elle devienne petite et dérisoire, jusqu'à ce qu'il finisse par l'oublier. Oublier même pour quelques heures, voilà une bénédiction qu'on ne lui avait pas accordé. Il pourrait aussi essayer d'effacer cet instant où la colère avait possession de lui, redevenir complètement le jeune comte souriant et plein d'entrain qu'il était, ignorer ce qui s'était brisé en lui quand elle avait placé toutes ses erreurs, toutes ses manipulations sous les yeux. Au final, ils avaient rompu tout lien de la plus violente des façons et bien plus, elle le détestait désormais assez pour ne jamais le flatter ou chercher à la revoir. Cette étrange folie était entièrement terminée. Ce fut rasséréné que Henri prit une profonde inspiration dans l'air glacial de la nuit qui l'environnait et lentement, la boule dans sa gorge se dénoua. Néanmoins, il ne put se résoudre à quitter les lieux et frissonnant de froid, il resta là, les coudes sur le muret, à observer l'obscurité sans rien voir, comme si quelque part, il se doutait que la partie d'échecs n'était pas finie, même si les rôles étaient devenus confus. La suite se chargerait aisément de démontrer que la chasseresse l'avait achevée avec autant d'assurance et d'impitoyabilité qu'elle avait tué le cerf dans la forêt de Déols. En attendant, Henri de Champagne demeura jusqu'à ce que les premières lueurs de l'aube ne déchirent le voile de la nuit et ne laissent place à quelques timides rayons de soleil. Ébloui par la soudaine luminosité, il songea alors qu'une nouvelle existence s'annonçait pour de nombreuses personnes dans ce château. Et que dans son cas, elle se ferait désormais sans Sybille de Déols.
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