FAB TEST
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

FAB TEST

Notre repaire : le royaume du PDF (a)
 
AccueilAccueil  Dernières imagesDernières images  RechercherRechercher  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Le Deal du moment : -20%
Ecran PC GIGABYTE 28″ LED M28U 4K ( IPS, 1 ms, ...
Voir le deal
399 €

 

 [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels"

Aller en bas 
2 participants
AuteurMessage
Henri de Champagne
Warrior ébouriffé (perv)
Henri de Champagne


Messages : 41
Date d'inscription : 23/06/2013

[Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" Empty
MessageSujet: [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels"   [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" EmptyMer 3 Juil - 22:38

Le haut donjon de la forteresse de Châteaudun se détachait de manière abrupte dans le ciel bleu à l'horizon, comme un château de papier que l'on découpait pour permettre aux jeunes enfants de jouer leurs milles rêves et aventures. Mais les chevaliers qui galopaient dans la plaine jusqu'à atteindre les premiers postes de garde étaient bien réels et non sortis de l'imagination d'un bambin, leurs armures éclatantes brillaient au soleil dans un éclat aveuglant, les claquements des sabots résonnaient jusqu'à en faire trembler l'air alentour et dans un bruissement, la rumeur qui annonça leur arrivée se propagea des paysans qui avaient juste relevé la tête à leur passage jusqu'aux plus hautes tours de la citadelle, comme un souffle d'air, beaucoup plus rapide que l'allure des chevaux. La petite troupe ne stoppa qu'à la grande porte d'entrée qui donnait sur la cour au grand déplaisir de la monture du meneur qui piaffait d'impatience, gerbe d'écume à la bouche.
- Par ordre du comte, vous ne pouvez pas aller plus loin ! Leur lança un garde lourdement armé, dans un vêtement aux armes des Blois-Champagne.
- Quel est donc ton comte, garde ? Celui qui est malade à Lagny ou celui qui vit à Blois ? Je suis le fils du premier et le frère du second, lança le chef du groupe, sans descendre de son étalon, regardant à peine son interlocuteur, l’œil irrésistiblement attiré par la cour intérieure où les hommes qui passaient s'étaient arrêtés pour observer les nouveaux arrivants, laisse-nous entrer !
Visiblement, l'homme de Thibaud IV avait reçu des ordres stricts car il ne se laissa pas impressionner par le ton sec et cassant du chevalier et d'un geste, dégaina une épée vers le jeune homme en affirmant que le vieux comte ne voulait que personne n'entre dans la citadelle. En un instant, Henri de Champagne fut cerné par ses propres hommes, épée au poing, prêts à défendre chèrement leur vie pour sauver celle de leur seigneur mais eut un geste d'apaisement car toute cette aventure n'était pas censée se terminer dans un bain de sang.
- Je suis le comte de Champagne et je n'ai pas besoin d'autorisation pour rentrer où bon me semble, affirma-t-il, portant enfin un œil sur le garde trop zélé, un œil sombre de colère qui fit autant reculer ce dernier que les lames acérées de Joinville et Brienne.
- Mais... Comment savoir si vous êtes vraiment le comte de Champagne ?... Votre père n'a pas...
Dans une attitude de suprême mépris, Henri talonna son cheval et suivi de ses fidèles, pénétra au cœur de Châteaudun. Il leva la tête vers le donjon où il savait que son père tenait ses prisonniers et il lui sembla que derrière ces épais murs, les seigneurs et les chevaliers pouvaient hurler ou frapper les portes en vain pour demander la liberté jusqu'à ce qu'ils en deviennent fous. Ils n'étaient jamais venus dans cette forteresse dans son enfance et il comprenait désormais pourquoi. C'était là que Thibaud IV manigançait ses trahisons et ses guerres dévastatrices, c'était là où il torturait ses captifs jusqu'à ce qu'ils en meurent, comme protégé du regard de Dieu par ces remparts imprenables, comme si l'obscurité y enveloppait là toutes les actions du voile du secret et du mystère. Derrière l'une de ces fines fenêtres, vivait sans nul doute le plus jeune de ces prisonniers et c'était lui qu'Henri de Champagne était venu chercher ce jour-là. Tous les ordres de son père, tout le zèle des gardes ne pourraient l'empêcher de repartir avec lui. Il avait une promesse à tenir.

On tenta de l'empêcher de monter dans la tour mais en vain car Henri ne souffrait aucune contestation. Il savait que son père se recueillait ce jour-là dans son abbaye de Lagny – qu'il quittait bien trop souvent, selon les dires mêmes de son ami Bernard de Clairvaux qui tentait non sans difficulté de sauver son âme pour éviter qu'elle ne brûle trop longtemps au purgatoire et il s'était donc lancé sur les routes du Blésois pour atteindre Châteaudun. On ne le reconnaissait pas, bien qu'il eut souvent accompagné son père dans sa jeunesse pour sa formation mais on finissait par le laisser passer, rendu muet par son assurance. Un garde voulut refuser d'ouvrir la porte de la geôle mais Henri récupéra la clé et la donna à Gauthier de Brienne qui s'empressa de la glisser dans la serrure.
- Au moins, vous pourrez dire à Thibaud que ce n'est pas vous qui avez ouvert la porte, lança ce dernier d'un ton particulièrement ironique, en tapotant l'épaule du garde dépité mais en s'effaçant pour laisser entrer son seigneur en premier.
Sans plus se soucier de ses arrières, Henri poussa le battant et se retrouva dans une petite cellule particulièrement sombre qui l'obligea à cligner des yeux pour s'habituer à l'obscurité. L'ameublement était particulièrement sommaire, une cheminée dormait dans un coin et une paillasse était déposée au sol. Au centre, une silhouette amaigrie s'était relevée, bien campée sur ses pieds comme pour faire face à toute éventualité, dans une attitude de défi qui concordait fort mal avec la situation de faiblesse dans laquelle elle se trouvait. Si Henri eut du mal à discerner le visage d'Hugues d'Amboise, il distingua deux pupilles noires et brillantes qui s'étaient posées sur lui pour le jauger. Il imagina sans mal les questions que le jeune garçon d'à peine seize ans devait se poser, toutes ces questions qui tournoyaient sans fin dans l'imagination d'un enfant privé trop tôt de sa liberté. Il avait grandi dans le noir, à peine nourri comme le prouvait sa grande carcasse dégingandée. Peu à peu, la vue de Henri devint plus nette et il put observer l'expression de défiance du prisonnier à laquelle il ne prêta pas réellement attention, cherchant plutôt à retrouver chez lui quelques traits de sa sœur Sybille.
- Qui êtes-vous ? Demanda Hugues d'une voix rauque, preuve qu'il ne l'utilisait pas souvent.
- Je suis venu pour vous libérer, expliqua Henri, sans plus s'étendre.
- Qui êtes-vous ? Répéta le jeune garçon d'un ton incrédule mais dans lequel perçait une note d'espoir que perçut le comte, la dernière fois qu'une porte s'est ouverte dans ce donjon, c'était pour faire sortir mon père de sa cellule mais pour le mener vers un autre Enfer.
- C'est la liberté que je vous rends, répliqua le comte en s'approchant de quelques pas, de manière qui se voulait rassurante, je suis ici sur la demande de votre sœur, Sybille.
Le visage d'Hugues s'éclaira un instant à cette mention mais il retrouva rapidement son air méfiant comme si son imagination, maintes fois déçue se refusait à se laisser aller à accepter cette éventualité, signe d'une faiblesse qu'il ne pouvait accepter. Henri aurait pu s'agacer de cette hésitation mais il comprenait quel avait pu être le destin de ce jeune garçon qui avait été enfermé entre quatre murs, seulement occupé à guetter les arrivées et les départs de Thibaud IV par la petite fenestrelle par laquelle on ne pouvait passer qu'un regard et à compter les jours, représentés par des petits bâtons gravés dans la pierre près de sa paillasse. C'était là qu'il avait été emmuré vivant, là aussi où il avait pu entendre les cris de douleur de son père, totalement impuissant à le sauver ou à le soulager. Quelle aurait du être sa réaction en de telles circonstances ? Voilà qu'un inconnu se présentait à lui et promettait de le libérer et il aurait du le suivre sans protester, quitter ces murs froids et sombres mais qui était une cachette parfois commode face à la fureur de Thibaud IV ?

- Vous connaissez la condition de votre libération, vous n'avez qu'à donner Chaumont, poursuivit Henri en continuant à s'approcher pour le fixer droit dans les yeux, un simple mot et je vous fais sortir pour vous rendre à votre famille.
Le jeune homme baissa la tête, comme s'il hésitait mais quand il la releva, ce fut avec une détermination et un courage qui ne souffrait pas de contestation.
- Mon père est mort pour ce château, c'est notre bien, je ne peux pas le trahir en abandonnant ce qui nous appartient.
- Ce qui vous appartient ? Thibaud IV est allé brûler la forteresse après la mort de votre père, il l'a rasé de fond en comble, il ne reste plus rien. A quoi bon s'enterrer vivant pour des cendres ? Argumenta le comte de Champagne, cherchant une faille dans la carapace que le jeune garçon s'était forgé mais ce dernier demeurait aussi inébranlable qu'un roc, aussi inébranlable que le promontoire rocheux sur lequel était construit la citadelle où il avait vu le jour.
- Ce n'est pas une question de pierres, c'est une question d'honneur, affirma Hugues en levant le menton, dans un signe de défi qui était tout ce qu'il lui restait mais qui avait l'allure d'un geste de désespoir.
- Croyez-vous vraiment que votre famille sera fière de vous et de votre « honneur » quand elle vous mettra en terre et vous pleurera parce que vous serez mort pour un tas de ruines ? Protesta le comte avec véhémence, une lueur de colère dans le regard.
Hugues d'Amboise tressaillit mais ne répondit rien, l'argument ayant visiblement fait mouche.
- L'obstination de votre père lui a coûté la vie, je vous en prie, ne m'obligez pas à annoncer votre mort à votre sœur...
Pas encore, faillit-il rajouter mais il s'interrompit en voyant un signe de tête positif de la part du jeune homme et préféra se retourner vers le garde qui était parmi tous les hommes qui l'avaient suivi et avaient pénétré dans la cellule, guettant non sans inquiétude le résultat de la confrontation.
- Vous voyez ? Lança Henri, il vient de donner Chaumont...
- Je n'ai rien vu et un papier écrit et signé serait..., contesta le garde de Thibaud IV.
- Osez-vous dire que vous n'avez rien vu devant tous ces témoins ? Le coupa le comte d'une voix pleine de colère.
Joinville et Brienne se firent un plaisir d'abonder dans le sens de leur seigneur, plus par plaisir de contredire l'homme de Châteaudun que par honnêteté. Mais Henri n'en attendit pas davantage et fit passer le jeune garçon devant lui pour redescendre du donjon et retourner dans la cour où les chevaux les attendaient pour repartir aussi vite que leur fatigue le leur permettrait. Le château entier était en ébullition, tous, serviteurs comme gardes étaient venus pour dévisager le prisonnier. Ce dernier eut un peu de mal à se faire à la luminosité qui l'éblouit mais Henri glissa une main rassurante sur son épaule et lui désigna la monture qu'on lui avait réservé.
- Vous parviendrez à monter ?
Hugues hocha la tête sans répondre mais la faiblesse de ses membres le trahirent quand il tenta de mettre le pied à l'étrier, son pied glissa et il n'eut pas la force de se hisser sur sa selle. Ce fut au moment où Gauthier de Brienne se précipita pour l'aider de sa poigne ferme que le chef de la garde de Châteaudun intervint :
- Comte, vous ne pouvez pas partir aussi facilement, votre père le comte va être furieux ! Comment va-t-il réagir quand il apprendra que son fils a... ?
Mais déjà Henri n'écoutait plus la question et s'était retourné vers Hugues qui s'était brusquement interrompu dans son mouvement pour lui jeter un regard dégoûté. Il avait lâché le pommeau de la selle et sa silhouette amaigrie dont l'éclat du jour révélait les os saillants semblait soudainement avoir tout abandonné comme si l'espoir qu'il avait conçu en sortant enfin de sa cellule venait de se briser.
- Qui êtes-vous ? Vous êtes le fils du comte Thibaud ? Où m'emmenez-vous ? Quel est ce piège ?
Raide, il serrait les poings à s'en faire blanchir les paumes et tremblait violemment, reculant quand Henri tenta de l'apaiser en ayant un geste vers lui, attristé à défaut d'être étonné de sa réaction.
- Ce n'est pas un piège...
- Vous êtes tous des menteurs et vous ne savez ce qu'est une promesse chez les Blois ! Répliqua Hugues, ivre de colère, dites-moi ce que vous comptez faire de moi ! Est-ce là une forme toute particulière de torture que de me laisser goûter la saveur de la liberté ? Dites-moi !
- Je vous jure que je ne vous veux aucun mal, dit le comte de Champagne d'une voix calme et égale alors que tous les autres témoins de la scène se tenaient coi, je veux juste vous rendre à votre famille, je l'ai promis à votre sœur.
- Je refuse de vous suivre !
Voyant que la discussion s'éternisait et que les gardes commençaient à se rassembler autour d'eux pour en profiter, Henri décida de prendre les choses en main et s'approcha d'Hugues sans lui laisser le temps de s'enfuir. Il le saisit par la nuque et le regarda droit dans les yeux, les pupilles brunes rencontrant celles bleues du jeune garçon, si semblables à celles de Sybille, martelant chacun des mots qu'il prononça :
- Je suis peut-être le fils du comte de Blois mais je suis ici contre son ordre et je suis en train de le défier. Alors vous allez monter sur ce cheval avant qu'il ne revienne de son pèlerinage à Lagny et vous enferme à nouveau dans cette cellule dans laquelle vous avez déjà passé bien trop de temps. Je suis votre seule chance. La dernière peut-être.
La main de Henri se crispa un instant puis il s'écarta pour monter sur son propre cheval alors que Gauthier hissa Hugues à son tour. Le jeune comte eut la satisfaction de voir que le seigneur d'Amboise les suivait au trot, au cœur de la troupe de ses vassaux et fut soulagé de quitter enfin cette sombre et lugubre forteresse dans laquelle tant d'hommes avaient laissé leur vie et où planaient l'esprit tout comme les ordres de son père. Malgré la faible résistance physique d'Hugues qui était ballotté sur sa selle, ils galopèrent sur quelques lieux pour voir s'éloigner au maximum le donjon crénelé de Châteaudun avant de faire revenir leurs bêtes au pas quand ils furent assurés que l'on n'avait pas envoyé d'hommes à leur suite, dans un moment de regret.

Ils chevauchèrent de concert pendant une journée entière, faisant une pause chez un vassal du comte de Blois qui les accueillit pour la nuit sans poser davantage de question. Hugues d'Amboise garda obstinément le silence, semblant toujours douter de l'endroit où on le menait mais aucune plainte ne franchit ses lèvres même si la souffrance se lisait sur son visage et s'il se laissait parfois plus guider par son cheval que l'inverse. Il ne réagit aucunement aux plaisanteries des jeunes seigneurs champenois qui cherchaient à détendre l'atmosphère, se félicitant de la réussite de leur entreprise. Une seule fois cependant, alors que les tours du château d'Amboise se faisaient voir dans le lointain, il ouvrit la bouche pour poser une simple question, d'une voix si faible qu'Henri, qui avançait à ses côtés, craignant, sans le dire, une chute, l'entendit à peine, surtout sous les éclats de Gauthier de Brienne qui se demandait ouvertement quel château Thibaud IV allait vouloir raser pour se venger de cet affront et fut à peine calmé par la réponse froide de Joinville qui lui soulignait qu'à défaut, l'ancien comte allait sans doute vouloir étrangler celui qui avait ouvert la porte de la geôle :
- Comment vont ma mère et mes sœurs ?
- Fort bien pour ce que j'en sais, je ne les ai pas vues depuis un certain temps, répondit Henri, nous allons sans doute trouver votre mère à Amboise...
-... Et Sybille ? Comment va Sybille ? Vous la connaissez ?
Henri dut faire un effort pour conserver le sourire rassurant qui ne l'avait pas quitté depuis le début de la chevauchée vers Amboise. De fait, il connaissait fort bien Sybille de Déols et avait pu respecter sa promesse envers elle mais cela faisait plusieurs semaines qu'il ne l'avait pas vue. Ce n'était pas spécialement ce temps-là qui le peinait mais surtout le souvenir de leur dernière entrevue sur la terrasse d'Amboise.
- Sybille est devenue comtesse de Blois, elle a épousé mon frère, Thibaud.
Hugues parut blêmir et lança d'une petite voix qui n'appelait pas de réponse :
- Ce mariage... C'était pour me faire libérer ?
- Pour protéger ses terres de Châteauroux, répliqua Henri, d'un ton peu convaincu.
Leur discussion s'arrêta net lorsque Brienne se retourna vers son seigneur pour lui demander son avis sur la réaction de Thibaud IV (qu'Henri préférait ne pas avoir à imaginer) et le petit seigneur d'Amboise retomba dans son mutisme assez morose.

Hugues ne parut ne s'éveiller qu'en arrivant au pied de l'escarpement rocheux sur lequel était bâti le château d'Amboise qui semblait comme suspendu dans les airs. Henri n'était jamais venu en ces lieux sous les murailles desquels son père avait combattu, à l'époque pour la cause de Sulpice contre les comtes d'Anjou et il comprit mieux pourquoi la ville était réputée imprenable tant les constructeurs avaient réussi à utiliser les ressources naturelles qui s'offraient à eux pour élever la forteresse hors des jets d'éventuels attaquants, comme suspendue hors du temps. Soupçonnant qu'on ne les laisserait pas passer par la porte principale dont le pont-levis devait être levé à cette heure, Henri demanda à Hugues de leur indiquer le passage des gardes qui comprenait une rampe d'accès qui menait tout droit à la cour intérieure. Impatients d'en finir, les chevaliers lancèrent leurs montures au galop, sans ralentir un instant devant les gardes qui tentaient de leur barrer le passage avant de s'écarter à la dernière minute puis de les poursuivre, pique à la main avec un train de retard. Henri mit à un certain temps à calmer son cheval nerveux, conscient d'être parvenu au cœur de la citadelle de l'ennemi de leur famille puis sauta à terre, en observant les alentours, cherchant le corps de logis.
- Halte, halte ! Continuaient à hurler les gardes qui arrivaient, essoufflés.
- Où pourrait se trouver votre mère ? Demanda Henri au jeune garçon qui sans l'ombre d'une hésitation, un demi-sourire aux lèvres qui laissait apercevoir son bonheur de retrouver la demeure de son enfance, le mena à l'intérieur de la bâtisse alors que Brienne, Joinville et les autres s'expliquaient avec les hommes d'Amboise, persuadés d'avoir subi une attaque et d'avoir failli à leur tâche.
Hugues passa plusieurs pièces en saluant rapidement leurs occupants qui le reconnaissaient tous avec des sursauts et des cris de stupéfaction tandis que Henri restait à l'arrière. Devant une lourde porte fermée, le jeune garçon eut une hésitation et se tourna à demi vers le comte qui poussa le battant pour les laisser entrer dans une grande pièce de conseil, rendue lumineuse par ses multiples fenêtres qui donnaient sur la Loire, tandis que le haut plafond se terminait en arcatures.
- Comte, que faites-vous... ? Débuta Agnès de Donzy en se levant d'un siège sur lequel elle était installée, un livre à la main mais ses yeux se posèrent sur le deuxième homme. Un instant, son visage s'éclaira et un sourire écarta ses lèvres sévères tandis qu'à ses côtés, sa deuxième fille poussa un cri de joie qu'elle dissimula en plaquant sa main contre sa bouche.
Pour éviter de se mêler à d'éventuelles effusions, Henri détourna le regard et s'écarta pour observer les rives de la Loire qui serpentait aux pieds de l'antique forteresse. Il ne tenait aucunement à s'attarder, non seulement il avait rempli sa part du marché mais en plus, il ne tenait pas à vivre cette étrange situation qui consistant à être accueilli chez l'ancien prisonnier de son père. Sans compter que Thibaud IV n'allait pas tarder à être mis au courant.
- Comte, vous ne partez pas déjà ? L'interpella Agnès tandis qu'Hugues était serré dans les bras de sa sœur et qu'il tentait de s'éloigner, mes deux autres filles, Elisabeth et Sybille ne vont pas tarder à arriver, j'imagine, elles sont là également...
Henri releva brusquement la tête à la mention du nom de Sybille de Déols et son cœur se mit à battre furieusement dans sa poitrine. C'était justement ce qu'il avait essayé d'éviter, de lui imposer sa vue qui semblait tant lui déplaire. Au moment où il songea que c'était une raison de plus pour ne pas rester, il perçut des éclats de rire et ses traits se figèrent dans l'attente de la rencontre inéluctable.


Dernière édition par Henri de Champagne le Jeu 19 Sep - 13:27, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Sybille de Déols
Petite boudeuse <3
Sybille de Déols


Messages : 38
Date d'inscription : 23/05/2013

[Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" Empty
MessageSujet: Re: [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels"   [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" EmptyDim 7 Juil - 23:57

La Loire coulait paisiblement sous les hautes murailles d’Amboise comme sous les yeux de Sybille de Déols, imperturbable comme une grande dame que rien, ni les batailles sanglantes, ni les triomphes des seigneurs qui prétendaient vainement s’en rendre maîtres, ni les aléas bouleversant des grands évènements d’un siècle troublé, ne saurait détourner de son but. D’aussi loin qu’elle se souvenait, lorsqu’elle habitait encore l’imprenable citadelle, la jeune femme aujourd’hui devenue comtesse de Blois avait toujours assisté au spectacle serein de ces flots pourtant si traîtres, et elle ne comptait plus depuis bien longtemps le nombre de fois où son regard s’y était égaré comme il le faisait ce jour-là, à la recherche d’une inspiration, d’une issue ou d’un décor familier lui permettant, comme aujourd’hui, de laisser s’évader ses pensées. Alors qu’elle observait ces eaux troubles qui avaient bercé son enfance, Sybille ne put décider s’il était plutôt étrange ou rassurant d’avoir sous les yeux ce paysage immuable, le même depuis vingt et une années, quand tant de choses avaient changées par ailleurs. Elle était bien loin la petite fille à la chevelure blonde et ébouriffée qui se haussait sur la pointe des pieds pour pouvoir distinguer derrière les remparts, sur les berges de l’imperturbable fleuve, les silhouettes de son père et de ses hommes aux prises avec les troupes du comte d’Anjou dont certaines allaient chercher la paix et le repos éternel dans les flots noirs. Elle était presque tout aussi loin la demoiselle qui contemplait avec fascination l’une des rares furies de ces eaux à l’apparence si tranquille, furie attisée par une tempête mémorable dont elle ne gardait pourtant qu’un vague souvenir, en se demandant de quelle nouvelle bataille une telle colère pouvait se faire le messager. Elle avait disparu la jeune fiancée qui se tournait sur sa monture pour jeter un dernier regard au fleuve qui avait longtemps été son seul horizon, un regard de défi, alors qu’elle s’élançait sur les routes pour rejoindre son futur époux sans savoir quand ses pas retrouveraient le chemin de la citadelle dans laquelle elle avait vu le jour. Aujourd’hui, c’était encore une femme différente qui contemplait ces flots familiers, une femme devenue veuve, puis comtesse de Blois, qui n’imaginait pas quelques mois auparavant  quels évènements la conduiraient à cette même fenêtre ouverte dans les murs de la haute salle de conseil où l’on avait tant de fois vu Sulpice d’Amboise décider de ses inimitiés, mais qui ne put qu’esquisser un vague sourire à la vue du paysage inchangé qui semblait la ramener bien des années en arrière.

« Sybille, lança soudain la voix sévère d’Agnès de Donzy, comme tout droit sortie du songe éveillé auquel la jeune dame s’était laissée aller, tu rêvasses. »
La jeune comtesse détourna les yeux de la fenêtre et les posa sur sa mère, qui la dévisageait avec au visage un air réprobateur dont elle semblait ne jamais se départir lorsqu’elle était en présence de ses enfants et qui avait bien des fois fait baisser la tête à la fillette qu’elle n’était plus.
« Oui, je songeais qu’Amboise m’avait manqué, répondit-elle avec une moue lointaine.
- Allons bon, te voilà bien sentimentale, rétorqua sa terrible mère. Tu as Blois désormais, je me demande même ce qui te retient ici. »
Sybille se contenta de répondre qu’il y avait bien longtemps qu’elles ne s’étaient pas retrouvées, et abandonnant le livre sur lequel elle ne parvenait à se concentrer, alla s’enquérir de l’avancement de l’ouvrage que ses deux sœurs avaient entrepris de tisser toutes les deux pour ne pas évoquer le sujet délicat de Blois avec sa mère, dont elle ne souhaitait pas entendre parler alors qu’elle avait trouvé un semblant de paix à Amboise, le premier depuis son mariage avec le comte Thibaud. C’est uniquement pour cela qu’elle avait décidé de laisser son nouvel époux quelques jours et d’aller visiter sa mère en la citadelle qu’elle gardait d’une main de fer. Elle ignorait qu’Elisabeth et Anne, présentes au mariage, y avaient fait étape également mais c’est avec plaisir que les trois jeunes dames et leur mère – même si celle-ci n’en montrait rien – s’étaient retrouvées, savourant quelques jours comme hors du temps avant de reprendre le cours de leur existence respective. C’était bien là ce dont Sybille avait besoin, malgré l’absence de leur jeune frère Hugues, toujours retenu à Châteaudun par le beau-père de la comtesse, que les quatre femmes avaient veillé à ne pas évoquer – au plus grand plaisir de la dame de Déols qui savait bien de qui elle attendait la libération du jeune homme et ne souhaitait plus entendre parler d’Henri de Champagne depuis leur dernière entrevue la nuit même de ses noces. Elle n’était d’ailleurs pas mécontente d’avoir réussi à éviter le sujet malgré la curiosité de ses sœurs, et sentant qu’Agnès préparait une nouvelle pique, Sybille laissa Anne et Elisabeth à leur ouvrage, prétextant une nuit trop courte pour se retirer sans laisser l’occasion à qui que ce soit de la retenir. Avec l’aisance que confère l’habitude, elle se glissa dans les couloirs parfois mal éclairé de la forteresse, et se prit de nouveau à songer aux nuits où, refusant un sommeil qui avait désormais appris à la fuir, elle les avait parcouru pour gagner les pièces désertées du rez-de-chaussée et s’accrocher aux fenêtres sous lesquelles coulait, encore et toujours, la majestueuse Loire. Un sourire lui échappa lorsque par réflexe, elle s’arrêta devant une marche réputée pour grincer. Elle hésita un court instant, puis après avoir jeté un regard autour d’elle pour s’assurer qu’elle était seule, ramassa vaguement sa longue robe et sauta légèrement au-dessus de la planche de bois. Parvenue sur le palier qui menait à sa chambre, elle baissa les yeux et s’appliqua à éviter certains des carreaux qui couvraient le sol, dans un drôle de ballet bien réglé qui donnait à sa démarche des allures enfantines renforcées par la finesse de sa silhouette, et l’on put alors avoir un instant l’impression que l’ombre gracile qui s’éloignait dans le couloir était à celle de la fillette encore toute à ses jeux innocent, comme le fantôme de l’enfant qui avait longtemps hanté ces lieux et aujourd’hui, n’était plus.  

L’enfant avait grandi, en effet, et c’est une femme pleine de préoccupations trop adultes qui, après avoir défait la coiffe ouvragée qui retenait ses mèches blondes, se laissa tomber sur son lit tandis que ses traits se figeaient à nouveau, perdant l’air malicieux qui les avait un instant éclairé dans les couloirs. Les remontrances de sa mère lui avaient rappelé ce qu’elle fuyait en venant chercher refuge à Amboise, de sombres pensées qui ne devraient pas même lui effleurer l’esprit et un avenir qu’elle ne parvenait à envisager autrement qu’amer malgré les quelques semaines qui s’étaient déjà écoulées depuis ses noces et qui lui coûtait bien des nuits sans sommeil. Elle avait pourtant eu fort à faire pour endosser un rôle devant lequel elle ne pouvait plus reculer tout en gardant pour elle ses états d’âme qu’elle ne devait pas laisser paraître aux yeux curieux qui se posaient encore sur elle pour la dévisager de haut en bas et la jauger, car si personne n’ignorait que son consentement à ce mariage lui avait été arraché du bout des lèvres, il n’était pas pour autant question de donner à qui que ce soit l’impression de se laisser abattre. Ainsi, loin de s’enfermer dans une morosité qui, pourtant, ne la quittait pas, Sybille avait mis un point d’honneur à se montrer, à jouer le jeu de la cour et des vassaux qu’elle avait vu défiler, et n’avait finalement abandonné que pour un moment, lorsqu’une semaine plus tôt le besoin d’un instant de répit s’était fait sentir. Il y avait désormais trois jours qu’elle était à Amboise, et cette escale dans la forteresse de son enfance, bordée par la Loire et l’immense forêt du domaine semblait avoir l’effet escompté malgré les piques d’Agnès qui ne comprenait décidément pas les réticences de sa fille et tentait de lui faire voir d’une toute autre manière le mariage avec le comte de Blois, tout en en grommelant qu’elle ressemblait bien trop à son père, des mots qui n’étaient pas sans rappeler à Sybille ceux que lui avait lancés le comte de Champagne lorsqu’ils s’étaient malencontreusement retrouvés sur une petite terrasse du château de Blois la nuit du mariage. La jeune dame poussa un profond soupir à ce souvenir, et ferma les yeux, comme si elle pouvait ainsi effacer de sa vision et de sa mémoire les moindres détails de cette scène, et les traits figés ou furieux d’Henri desquels avait disparu le sourire chaleureux qui les illuminait ordinairement. Une image qui revenait sans cesse la hanter avec le souvenir des mots qu’elle avait prononcés et ce malgré tous ses efforts pour ôter de son esprit des instants qu’elle devrait déjà avoir oubliés alors qu’elle avait elle-même décrété qu’elle ne souhaitait plus le revoir, persuadée alors d’avoir raison. Pour une obscure raison, elle regrettait ces mots désormais, elle n’avait d’autre choix que de s’en rendre compte. Cette pensée lui tira un second soupir, mais malgré l’envie de s’occuper qui la tiraillait afin de ne plus songer au comte ou à leur dernière conversation, Sybille ne se leva pas et garda les yeux fermés. Et c’est ainsi que, lasse de ses rares ou courtes nuits de sommeil, elle s’endormit avec ce qui ressemblait à une moue contrariée aux lèvres. Elle ignorait alors qu’elle aurait l’occasion de revenir sur les mots trop durs prononcés lors de cette nuit, et ce bien plus tôt qu’elle ne pouvait l’imaginer.

« Sybille ! Sybille, réveille-toi ! »
C’est la voix d’Elisabeth qui tira la comtesse de Blois du demi-sommeil dans lequel elle s’était enfoncée, la poussant à se redresser vivement sur son lit pour faire face à sa plus jeune sœur qui arborait un sourire absolument ravi. Sybille repoussa quelques mèches de ses cheveux ébouriffés qui lui balayaient le visage et fronça les sourcils devant l’excitation visible d’Elisabeth.
« Que se passe-t-il ? interrogea-t-elle, la voix encore rauque.
- Des cavaliers viennent d’arriver, ils sont dans la cour ! Je les ai entendus depuis ma chambre, je crois que mère et Anne sont encore en bas.
- Quels cavaliers ?
- Je ne sais pas, je n’ai pas vu de bannière. Descendons, ils doivent être en bas ! »
La dame de Déols se redressa tout à fait, amusée par le grand sourire de sa sœur et piquée par la curiosité également, car Agnès de Donzy et ses filles n’attendaient personne, et encore moins un groupe de cavaliers sans armes. Sans perdre plus de temps, elle se leva et tout en écoutant les suppositions d’Elisabeth, réajusta sa toilette avant de poser rapidement un voile et un cerclet de bronze sur sa tête. Elle jeta également un regard par la fenêtre, mais ne put distinguer que quelques silhouettes indistinctes parmi lesquelles quelques gardes qu’elle reconnu aux couleurs qu’ils portaient.
« Je me demande ce que père aurait pensé s’il avait pu voir une telle intrusion, plaisantait Elisabeth alors qu’elles quittaient la chambre de l’aînée de la fratrie d’Amboise.
- Oh, je crois qu’ils n’auraient pas eu le temps d’entrer s’il avait été là, répliqua Sybille, non sans amusement.
- Dépêchons-nous, je suis curieuse ! Penses-tu qu’il s’agit d’un messager ?
- Un message bien important alors, et bien escorté.
- Oh qui sait, nous avons une comtesse parmi nous désormais. »
La comtesse en question jeta un regard en coin à sa jeune sœur, mais ne releva pas et tout en regagnant la grande salle dans laquelle Agnès de Donzy devait sans doute avoir accueilli les mystérieux visiteurs, les deux jeunes femmes continuèrent à lancer quelques idées et suppositions. Elles parvenaient devant la porte de la salle du conseil quand Elisabeth se pencha vers Sybille pour lui glisser une dernière plaisanterie.
« Je pense que j’ai deviné : ces hommes sont venus enlever notre mère, car leur chef est tombé fou amoureux d’elle en la croisant il y a quelques jours, elle inspire si bien l’amour… »
Toutes deux tentèrent bien de se retenir, mais ce fut plus fort qu’elles et à la suite de sa sœur, Sybille éclata soudain de rire, un rire clair et joyeux qu’on ne lui entendait que peu souvent tant l’idée lui sembla saugrenue. Elle en riait d’ailleurs toujours lorsqu’elle pénétra puis s’avança dans la grande et claire salle qu’elle avait quittée quelques heures plus tôt pour se retirer dans ses appartements, mais sa voix s’étrangla brusquement dans sa gorge lorsqu’elle ses yeux se posèrent sur l’un de ces fameux cavaliers. Le sourire qui étirait ses lèvres un instant plus tôt disparut dès l’instant où elle rencontra le regard d’Henri de Champagne et oubliant un instant la présence des divers témoins qui regardaient la scène, Sybille se figea comme frappée de stupeur. A ses côtés, elle sentit que sa sœur s’était arrêtée également, mais ne vit pas que ses yeux fixaient un tout autre visage tant les siens étaient occupés à dévisager le comte qu’elle ne s’attendait certainement pas à voir en ces lieux. L’espace d’un instant, d’un très court instant, elle sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine mais au souvenir des derniers mots qu’ils avaient échangé, la dame se reprit et ce furent alors ses traits qui se figèrent.
« Comte, en voilà une… »
Elle ne put aller plus loin. Alors qu’elle ouvrait la bouche, son regard fut attiré par une seconde silhouette dont le visage familier manqua de peu de lui tirer un cri de surprise. Au lieu de cela, lorsque malgré sa mine pâle, ses traits sombres et son air amaigri elle reconnut son jeune frère Hugues, la voix commença par lui manquer. Hugues, ici ! Elle mit un instant à comprendre ce que cela signifiait, et enfin, elle adressa un nouveau regard indéfinissable à Henri. Il avait tenu sa promesse. Lorsqu’elle en eut pleinement pris conscience, alors, un sourire inattendu illumina ses traits et tandis qu’Elisabeth et Anne contenaient difficilement leur joie derrière elle, Sybille fit quelques pas vers son frère.
« Hugues… commença-t-elle, mais tout son enthousiasme retomba brusquement lorsque le jeune seigneur s’écarta d’elle, et baissa les yeux.
- Bonjour, comtesse, lâcha-t-il platement. »
En un éclair, la jeune dame comprit de quoi il s’agissait, et se figea. C’est là seulement que celle qui avait été comme une seconde mère pour le plus jeune enfant de la famille réalisa dans quel état de faiblesse il semblait se trouver, et quelle lueur trop sombre brillait au fond de ses prunelles bleues. Un silence presque pesant s’était installé dans la grande salle, un silence que rien ne semblait pouvoir briser tandis que Sybille réalisait une fois de plus à quelle famille elle appartenait depuis qu’elle avait épousé le frère d’Henri. Elle retint difficilement une œillade dans sa direction, et son regard resta fixé sur son frère qui n’avait, quant à lui, toujours pas levé les yeux. Alors que son cœur se serrait, la comtesse cessa d’hésiter. Sans lui en laisser le choix, elle s’approcha de lui pour prendre son visage entre ses mains et le fixer avec douceur, se voulant rassurante. Enfin, elle le prit vivement dans ses bras, et son sourire s’étira à nouveau lorsqu’elle sentit qu’il lui rendait son étreinte.

« Bienvenue chez toi, souffla-t-elle en s’éloignant légèrement pour le laisser respirer. »
Elle leva encore les yeux vers le comte de Champagne, devant lequel elle ne sut quelle attitude adopter, mais le souvenir de leur conversation était encore si présent qu’elle ne put que se raidir légèrement en lui faisant face.
« Je… merci de l’avoir ramené, lâcha-t-elle froidement, faut de savoir que dire. »
Elle aurait voulu ajouter quelque chose, adoucir le ton qu’elle venait d’employer mais rien ne vint et surtout, elle sentit soudain Hugues faiblir et baissa vivement les yeux sur le jeune seigneur qui, malgré tous ses efforts pour résister, ne pouvait empêcher son regard de briller alors que ses trois sœurs l’entouraient. Même la sévère Agnès qui s’était mise légèrement à l’écart pour observer la scène et n’avait pas cessé de fixer Sybille finit par s’intéresser à son fils en lui intimant d’aller s’asseoir pour ne pas s’écrouler non sans avoir ordonné aux trois jeunes femmes de le lui laisser de l’air. Elisabeth, incapable de contenir sa joie plus longtemps, se précipita vers Hugues pour l’aider tandis qu’Anne donnait quelques ordres aux domestiques. La comtesse de Blois, quoique plus mesurée que sa benjamine, ne cachait pas son bonheur ou son soulagement non plus. Elle vit cependant du coin de l’œil sa mère s’adresser à Henri, sans doute pour lui proposer de rester quelques heures, mais le jeune homme déclina sans doute car il finit par sortir de la grande salle, laissant la famille enfin réunie à ses retrouvailles. Les gens d’Amboise, les jeunes dames et la régente des lieux s’activèrent autour du seigneur de retour, mais au bout d’un moment, Sybille, qui se trouvait près de lui, ne put s’empêcher de lancer un regard par la fenêtre qui donnait sur la cour. Là, elle vit les hommes du comte de Champagne sur le point de repartir et fut prise d’un regret. Elle hésita quelques secondes mais malgré tout ce qu’elle avait dit, malgré l’assurance qu’elle avait quelques heures plus tôt de ne pas vouloir revoir Henri, elle ne put se résoudre à le laisser partir ainsi et, ignorant le regard que sa mère faisait peser sur elle, serra un instant l’épaule de son frère en lui assurant qu’elle serait vite de retour avant de sortir à son tour pour gagner la cour. Dans celle-ci, les gardes aux armes d’Amboise semblaient toujours se demander ce qu’il convenait de faire face à une telle intrusion, et hésitaient à retourner à leur poste. Sybille les aida à trancher la question en les renvoyant d’un geste à la porte, s’attirant ainsi les regards de l’escorte du comte dans laquelle elle reconnut notamment ce Brienne qui l’accompagnait régulièrement et qui semblait chercher quelque chose. Elle s’arrêta à quelques pas d’Henri et de sa monture. Elle hésitait encore lorsqu’elle prit la parole, mais malgré tout ce dont elle avait tenté de se persuader, malgré tout ce qu’elle pouvait lui reprocher, elle ne pouvait se résoudre à laisser les choses se terminer ainsi.
« Avant que vous ne partiez, lança-t-elle enfin, voudriez-vous faire quelques pas ? »
Après tout, elle avait la sensation de lui devoir quelques excuses et de véritables remerciements pour leur avoir rendu Hugues. Et puis, pour une raison qu’elle voulait ignorer, elle ne pouvait supporter de laisser le spectre de leur dispute la hanter.
Revenir en haut Aller en bas
https://fabtest.forumactif.org
Henri de Champagne
Warrior ébouriffé (perv)
Henri de Champagne


Messages : 41
Date d'inscription : 23/06/2013

[Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" Empty
MessageSujet: Re: [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels"   [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" EmptyMer 10 Juil - 0:29

S'il y avait une personne qu'Henri de Champagne ne s'était pas attendu à revoir à Amboise, c'était bien Sybille de Déols ou plutôt Sybille de Blois comme on devait l'appeler maintenant qu'elle s'était unie au frère cadet du comte et que le prêtre qui les avait mariés avait glissé l'anneau au doigt de la jeune femme lors d'une journée qu'Henri revivait dès qu'il fermait les paupières et qui le tourmentait bien plus qu'il ne l'aurait fallu. C'était le souvenir de leur dernière rencontre, sur la terrasse qui surplombait la ville de Blois, qui avait donné lieu à une conversation dont les mots, autant ceux qu'il avait prononcés que ceux qui l'avaient frappé, continuaient à le hanter, au même titre que l'image de la jeune femme, emplie de colère et de rancœur qui lui crachait qu'elle ne voulait plus le revoir. Pour tenter de s'en débarrasser, il avait fini par se dire qu'il lui suffisait d'accomplir la promesse qu'il lui avait faite, comme si c'était là la meilleure façon d'éloigner le spectre de la dame qui continuait à lui souffler les mêmes paroles dures que sur la terrasse de Blois et dont il aurait pu citer chaque mot sans se tromper, cette dame qu'il avait cru à Blois, encore à partager la couche de son frère. Le jeune homme avait tout d'abord tenté de convaincre son père de libérer le jeune Hugues d'Amboise comme il l'avait fait à de nombreuses reprises depuis qu'il avait fait la connaissance de Sybille et qu'il avait eu l'idée de lui faire épouser son cadet, n'hésitant pas à solliciter l'aide de Bernard de Clairvaux qui maniait les menaces avec d'autant de force de conviction qu'il avait le droit de faire surgir le spectre de la damnation éternelle mais rien n'y avait fait. Thibaud IV avait beau être malade et se retirer de plus en plus souvent à l'abbaye de Lagny, il n'entendait pas à ce que l'on marche sur ses plates-bandes et comptait bien résoudre par lui-même ce qu'il avait mis en branle, d'autant qu'il n'avait jamais approuvé ce mariage qui ne plaçait les terres de Châteauroux que très hypothétiquement dans l'escarcelle des Blois puisque le fils aîné de Sybille était voué à reprendre la main, mariage auquel il ne s'était pas donné la peine d'assister tout comme son épouse, par ailleurs. Aussi, Henri avait décidé de passer à l'étape supérieure et de profiter d'une absence de son père pour se rendre directement à Châteaudun avec les plus fidèles de ses hommes. Il était loin le temps où il tremblait de peur devant les colères de son père, parfois si terribles que nul n'osait approcher et qu'il se mettait à détruire des pièces entières sous l'effet de la rage comme en ce jour où il avait appris que son frère cadet, Étienne, était allé se faire couronner roi d'Angleterre sans lui demander son avis. Non, il avait grandi le petit garçon facilement effrayé, il était désormais l'égal de son terrible père dont il portait désormais l'un des titres tout comme l'accolade qu'ils se donnaient le prouvait et ne craignait plus de lui faire des affronts. Le temps avait passé et c'était maintenant lui, le maître.

De toute façon, il était bien loin de penser à la fort probable colère de son père quand Agnès de Donzy lui annonça que ses dernières filles étaient sans doute sur le point d'arriver car à la mention du nom de Sybille, Henri s'était figé, bien conscient qu'il lui avait promis de ne plus jamais lui imposer sa vue. Sa dernière vision d'elle avait été celle d'une femme au visage furieux, simplement baignée par le clair de lune aussi fut-il désarçonné d'entendre des éclats de rire qui provenaient de la gorge de deux jeunes femmes qui approchaient. Le comte n'avait plus que faire de la scène touchante qu'il avait sous les yeux et malgré la conscience d'être fixé par la terrible dame des lieux, il gardait le regard arrêté sur l'entrée où Sybille de Déols n'allait pas tarder à apparaître pendant un temps qui lui parut être une éternité. La fine silhouette de la jeune femme pénétra enfin dans la salle du conseil, suivie par sa jeune sœur, encore secouée par un rire clair et joyeux qu'il ne lui connaissait pas et qui le surprit plus qu'il ne voulait l'admettre. Elle semblait si jeune et si insouciante en cet instant de grâce ! Comme si, enfin, elle montrait là son véritable visage, celui d'une demoiselle de vingt-et-un ans qui aimait à plaisanter. Mais l'instant en question ne dura pas car très vite, les prunelles bleues de Sybille se posèrent sur Henri, sans voir la personne qu'il avait ramené. Henri ressentit une amère déception en voyant les traits de la dame se figer et retrouver leur habituelle froideur, froideur qui lui sembla glaciale et qui montrait assez qu'elle n'avait rien oublié, tandis que le son de ce rire s'arrêta brusquement, se répercutant uniquement en écho dans la grande salle pendant quelques courtes secondes.
- Comte, en voilà une...
Henri ne chercha même pas à offrir une explication car elle avait enfin vu le nouvel arrivant et ce fut une immense surprise qui épousa son attitude. Tout resta un instant suspendu puis après avoir jeté un regard indéfinissable au comte qui comprit que ce serait là sa seule marque de reconnaissance, elle sembla s'illuminer de l'intérieur et s'avança vers son jeune frère, lequel, loin de lui sauter dans les bras, s'écarta comme dégoûté.
- Bonjour comtesse, murmura-t-il sans aucun enthousiasme.
Même si personne ne le regardait, Henri se sentit mal à l'aise. Évidemment, il se doutait bien que le jeune Hugues allait longtemps garder rancune à la famille de Blois mais pas au point de rejeter sa propre sœur et il aurait aimé aller défendre Sybille devant l'attitude du jeune garçon, aller lui expliquer qu'elle n'avait guère eu le choix et qu'elle n'avait rien à voir avec les décisions de celui qui était désormais son beau-père mais il s'en empêcha à la dernière minute. Tout ceci ne le regardait pas et il est certain que la jeune femme n'aurait pas apprécié cet instant chevaleresque. Fort heureusement, la dame de Déols parvint à approcher le jeune garçon et à le serrer dans ses bras.
- Je... Merci de l'avoir ramené, glissa-t-elle froidement au comte de Champagne vers lequel elle avait levé les yeux alors que celui-ci lui faisait un signe de tête, signe qu'ils se comprenaient.
Puis ce fut terminé, Sybille se désintéressa à nouveau de lui et Henri fut partagé entre le soulagement et la déception, sentiment qu'il rejeta bien vite car après tout, à quoi d'autre s'attendait-il ? Il était déjà bien d'avoir eu un remerciement car ce n'était pas assuré au vu de leur dernière conversation et du fait qu'il ne faisait là que remplir sa promesse. Le petit Hugues quant à lui choisit cet instant pour laisser se fendre son armure de guerrier invincible et même s'il était assez éloigné du petit groupe pour leur laisser de l'intimité, Henri le vit distinctement avoir une faiblesse. Ce fut ce qui le décida à quitter enfin les lieux. Maintenant que le jeune seigneur d'Amboise était entre les mains de sa famille, il n'avait plus rien à faire là d'autant qu'il allait devoir retrouver (et tenter de calmer) un Thibaud IV en furie. Devant lui, les sœurs d'Amboise serraient leur frère tour à tour et seule Agnès de Donzy ne semblait pas avoir oublié son existence car elle s'était tournée vers lui :
- Souhaitez-vous rester quelques heures le temps de vous reposer avec vos hommes, comte ? Nous pouvons vous accueillir sans problème avant que vous ne repreniez votre route.
- Je vous remercie, ma dame mais nous allons repartir immédiatement et vous laisser en famille, déclina poliment Henri, ce fut un plaisir que de vous revoir.

Après un dernier signe de tête en direction d'Agnès de Donzy, alors que les trois sœurs d'Amboise se démenaient auprès de leur frère enfin de retour et ne prêtaient aucune attention au Blésois qui se retrouvait en ces lieux, Henri de Champagne tourna les talons et sans un moment d'hésitation traversa la grande salle du château pour aller retrouver ses compagnons qui devaient toujours l'attendre à l'extérieur. Un instant seulement, juste avant de passer la porte, pris d'un regret, il se fit volte-face pour jeter un coup d’œil à Sybille, encore toute à sa joie d'avoir retrouvé son cadet et un sourire éclaira son visage quand il constata à quel point elle semblait heureuse. Agnès elle-même ayant reporté son attention sur ses enfants, Henri se sentit définitivement de trop, pièce rapportée dans ces retrouvailles qui ne le concernaient en aucune façon, irrémédiable étranger qui n'appartenait pas à la scène et dans l'indifférence générale, il disparut de nouveau dans les couloirs, dans un souffle d'air. Même les serviteurs du château, sur son passage, ne lui accordaient nul regard, trop occupés à se transmettre la rumeur du retour du fils de Sulpice mais il n'en avait cure tant il était plongé dans ses pensées, trop occupé à dénouer le fil de ses sentiments, trop confus. Il était rasséréné de savoir qu'il avait pu remplir sa promesse et rendre le jeune Hugues à sa famille tout comme il savourait encore l'expression de bonheur de Sybille quand elle avait revu son frère. Il préférait la quitter sur cette dernière vision et s'il ne devait donc plus la revoir, il ne serait au moins plus poursuivi par leur dispute mais l'éclat de son sourire. Certes, il n'espérait pas s'être racheté à ses yeux en ayant simplement fait ouvrir une geôle dans la forteresse de Châteaudun car elle lui avait assez dit quelles étaient les désillusions et les erreurs dont il s'était rendu coupable mais il espérait tout du moins qu'elle ne le haïssait plus avec la violence dont elle avait fait preuve lors de cette fameuse nuit. Au moment où il passait la porte principale pour  retrouver la cour intérieure de la forteresse en pleine ébullition, il se prit à songer qu'ils n'avaient pas pu se parler et donc qu'il ne le saurait probablement jamais avec certitude. Si son cœur sembla être soudain plus lourd à porter, il finit par se dire que ce n'était pas plus mal. Il devrait s'en contenter et oublier. Dans la cour en question, ses hommes n'avaient que faire des questions de leur seigneur et se disputaient toujours avec les gardes du château qui se demandaient encore comment ils étaient censés réagir face à cette attaque à laquelle ils ne s'attendaient pas. Si Joinville tentait de parlementer avec la patience qui le caractérisait (et que beaucoup appelait sa lenteur d'esprit), Brienne n'arrangeait guère les choses en se moquant ouvertement d'eux et en leur suggérant de manger davantage pour occuper à eux deux la largeur de la porte. Henri arriva sur ces entrefaites alors que l'un des gardes demandait à Joinville d'ouvrir ses sacoches pour savoir s'il avait de la nourriture avec lui et que le deuxième venait de se rappeler qu'ils avaient, du coup, laissé la fameuse porte sans surveillance.
- Votre petit seigneur, Hugues, est de retour, trancha le comte de Champagne en se dirigeant vers sa propre monture, coupant court à la conversation par son assurance et sa fermeté, vous avez failli l'empêcher de rentrer dans son propre château, à votre place, je ferais profil bas.
- Voilà qui est fait, monseigneur ? Demanda Joinville, visiblement soulagé, nous allons pouvoir repartir !
Sans répondre, légèrement rembruni, Henri hocha la tête et mit le pied à l'étrier quand il sentit un changement d'atmosphère dans son escorte. Au moment de se hisser sur sa selle, il tourna la tête en fronçant les sourcils pour apercevoir la silhouette de Sybille de Déols à la hauteur de la tête de son étalon, fixée par tous les vassaux d'Henri, excepté peut-être Brienne qui semblait avoir perdu quelque chose ou quelqu'un. Surpris de la voir là alors qu'elle venait de retrouver son frère, Henri resta muet et se contenta de lâcher son cheval pour lui faire face. Elle-même sembla hésiter sur la conduite à tenir mais comme si elle venait de s'apercevoir qu'ils étaient observés finit par lâcher :
- Avant que vous ne partiez, voudriez-vous faire quelques pas ?
Étonné par son attitude, le jeune homme acquiesça et au grand désespoir de Joinville qui s'était retourné pour se plaindre à Brienne qui ne l'écoutait plus, suivit Sybille qui les entraînait loin de la troupe à une allure raisonnable comme s'il ne s'agissait là que d'une promenade entre deux amis, ce qu'ils n'étaient définitivement plus.

Ils se retrouvèrent bientôt sur un des chemins de ronde d'une tour surplombant la Loire, assez haute pour que l'on puisse distinguer les arrivées de troupes à des centaines et des centaines de pas de là. Mais le véritable danger ne semblait pas être ces hypothétiques hommes-là mais bien le fleuve parfois calme, parfois rugissant, véritable muraille d'eau contre les Angevins lorsqu'ils leur prenaient l'envie de venir mettre des sièges. Aussi loin qu'il s'en souvenait, puisqu'il avait en grande partie grandi dans le château de Blois, Henri avait toujours vu son cours immuable et il lui semblait désormais étrange de penser que Sybille, enfant, pouvait elle aussi poser ses yeux sur l'eau dévalant à toute allure leurs campagnes et leur villes pour se jeter dans l'océan, qu'elle aussi avait pu rêver aux endroits merveilleux où le fleuve pouvait conduire ou simplement laisser glisser ses yeux sur le courant en quête d'une idée ou d'une inspiration. Sans jamais se connaître ou se rencontrer, ils avaient vécu une enfance à peu de distance l'un de l'autre et leurs regards s'étaient sans nul doute portés vers les mêmes paysages. La Loire semblait soudain pour Henri plus qu'un fleuve mais un lien de plus qu'il ne connaissait pas entre Sybille et lui, un lien dont il ne prenait conscience que maintenant mais qui les rattachait l'un à l'autre bien avant qu'ils ne fassent connaissance l'un de l'autre. Quittant enfin le fleuve des yeux, il jeta un regard en coin à Sybille qui semblait toujours assez indécise. Le vent s'amusait avec le voile qui recouvrait sa chevelure et plusieurs mèches s'étaient échappés de sa coiffe pour caresser sa joue. Pris d'une impulsion, Henri voulut approcher sa main pour les lui remettre derrière l'oreille mais il se retint à temps. Il ignorait ce qu'elle voulait bien lui dire et craignait d'entendre de nouveaux reproches. Il les aurait sans doute mérités pour avoir mis tant de temps à aller chercher Hugues mais ce n'était pas là ce qu'il souhaitait entendre et il n'avait nulle envie de revivre leur dernière dispute. A cette pensée, le jeune comte grimaça, car elle n'était pas la seule à avoir prononcé des paroles impardonnables et faisant fi du fait que ce fut elle qui l'ait invité à marcher en premier lieu, il stoppa au milieu du chemin de ronde tandis qu'un jeune garde faisait demi-tour à la demande de la jeune sœur du maître des lieux et se retourna vers elle. Il la dominait de toute sa hauteur et dut baisser la tête pour se plonger dans le bleu de ses yeux, aussi profonds et troublés que la Loire elle-même, malgré la forte impression de déjà-vu que cette situation lui causait. Mais il n'y avait ni la lune, ni tant de rancœurs, seule la bague que portait la jeune femme rappelait à Henri cette nuit-là et la raison qui l'avait mis tant en colère.
- Je suis heureux que votre frère ait pu retrouver sa famille, commença-t-il d'une voix ferme mais qui devint moins assurée au fur et à mesure de ses paroles, je vous promets qu'il n'a pas subi de mauvais traitements et il est certain que vous saurez prendre soin de lui pour le remettre sur pied.
Ce n'était là que paroles de circonstance mais Henri était sincère. Il poursuivit en laissant à nouveau son regard naviguer sur les flots de la Loire :
- Je n'attends nul remerciement, vraiment, je n'ai fait que respecter la promesse que je vous avais faite.
Il éluda l'idée que la seule récompense qu'il avait reçu le comblait aisément car il s'agissait du plaisir de Sybille et de la vue de son sourire. Après tout, c'était là une récompense inattendue. Mais il chassa cette pensée qui était fort peu appropriée pour songer à sa propre belle-sœur et tourna de nouveau la tête vers elle, la mine grave et il baissa les yeux, comme un enfant pris en faute :
- Je vous jure que j'ignorais que vous passiez quelques jours ici et si je l'avais su, j'aurais différé ma venue car j'ai l'intention de respecter votre demande et de ne plus vous imposer ma vue qui vous indispose et vous gêne. Maintenant que nous avons rempli nos obligations, cela sera sans doute plus facile. Je n'aurais sans doute plus jamais l'occasion de venir à Amboise... Espérons-le !

Le comte ne put empêcher son sourire d'écarter ses lèvres sur ces derniers mots car de fait, cela serait plutôt mauvais signe. Il songea un instant qu'il lui serait sans doute difficile de toujours échapper à Sybille puisqu'il serait amené à revoir son frère, ne serait-ce qu'à la cour mais étrangement, cela l'inquiétait moins que son souvenir qu'il emportait partout avec lui et qui pouvait remonter à sa mémoire à tout instant. Ils avancèrent encore de quelques pas, passant de l'autre côté de la tour ce qui permit à Henri, tourné du bon côté de distinguer ce qui se passait dans la cour. Au loin, Joinville lui adressa un signe tandis que Brienne, déjà remonté sur son cheval, semblait bouder. Pour une fois, car cela lui arrivait rarement, Henri de Champagne marqua un temps d'hésitation. Il aurait pu en rester là, abandonner la jeune dame sur ces quelques mots, sur cette pique d'humour, il aurait pu graver dans son esprit l'expression de ce visage, ces yeux bleus et ces quelques mèches rebelles de cheveux puis partir mais il fut pris d'un regret inexplicable.
- Ma dame, se lança-t-il soudain en la fixant, d'un ton plus pressant, je voulais aussi vous dire que je suis désolé pour tout ce que j'ai pu vous dire lors de notre dernière rencontre. Mes paroles n'ont jamais été dignes du chevalier que j'essaie d'être et toute mon attitude a été déplorable lors de cette journée, vous aviez entièrement raison, sur tout.
Il s'interrompit, troublé et un peu perdu car il ne savait pas exactement ce qu'il cherchait à lui dire et se mordit la lèvre inférieure comme s'il n'osait aller plus loin.
- Je regrette profondément, dit-il néanmoins, et je sais que vous ne pourriez me pardonner mais j'espère néanmoins que votre rigueur pourra s'affaiblir avec le temps et que vous serez charitable envers moi. Je serais déjà fort heureux que de ne plus être l'objet de votre courroux et peut-être pourrons-nous, un jour, redevenir amis...
Il prononça la suite si doucement que Sybille aurait pu ne pas l'entendre avec le vent qui rugissait à leurs oreilles et qui semblait se moquer d'eux et plus particulièrement du jeune chevalier :
- Après tout, nous sommes de la même famille désormais, vous êtes ma belle-sœur...
Henri tenta d'ignorer à quel point cette idée lui faisait mal puisqu'après tout, c'était encore là la vérité. De toute façon, suspendu aux lèvres de la dame, il attendait partagé entre l'impatience et la peur d'entendre les mots qui scelleraient leur destin.
Revenir en haut Aller en bas
Sybille de Déols
Petite boudeuse <3
Sybille de Déols


Messages : 38
Date d'inscription : 23/05/2013

[Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" Empty
MessageSujet: Re: [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels"   [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" EmptySam 13 Juil - 0:31

En un peu plus d’un an, dès le moment où la nouvelle de la captivité de son père et de son frère lui avait été annoncée, jamais Sybille de Déols ne s’était découragée, et avec les maigres moyens qu’elle avait à sa disposition, pas un moment elle n’avait cessé de se démener pour obtenir leur libération. Bien des fois elle avait opposé l’obstination du vieux comte Thibaud IV à garder ses prisonniers aux demandes et aux projets d’Henri de Champagne et n’avait cédé qu’une fois mise au pied du mur, à court d’échappatoire, dans un moment de faiblesse qu’elle se pardonnait encore difficilement lorsqu’il lui arrivait de songer à son père et à son calvaire entre les mains de celui qui était désormais son beau-père. Et là encore, même dans une position hautement précaire, elle avait mis comme condition à sa reddition le retour de son frère, arguant qu’on ne la ferait pas céder sur quoi que ce soit avant de lui avoir fait cette promesse. La dame de Déols n’avait pu sauver son père mais elle avait bien conscience, malgré la douleur et la colère que lui avait arraché cette mort, qu’il avait toute une vie de bataille derrière lui, une vie faite d’ennemis toujours plus nombreux et ainsi, qu’il avait d’une certaine façon choisi son sort, ou du moins l’avait rendu presque inéluctable. Mais pas Hugues, pas ce jeune garçon qui n’avait guère plus de quinze ans lorsque les ambitions de Sulpice pour ses terres comme pour son fils l’avaient mené tout droit dans une des geôles de la forteresse de Châteaudun, qui avait encore toute sa vie devant lui et dont Sybille avait maintes fois redouté entendre qu’il avait fini par subir le même sort que son père, car elle connaissait par cœur son petit frère et savait qu’il ne cèderait pas là où Sulpice s’était obstiné au point de sceller douloureusement son destin. Cette promesse qu’elle avait exigée du comte de Champagne, et de lui particulièrement, était d’autant plus pressante que ce frère auquel elle était si attachée était encore jeune, innocent des griefs que l’on pouvait imputer à leur père et qu’elle ne se serait sans doute jamais pardonné de l’avoir abandonné, même si elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour le faire libérer. Il était juste de dire que les enfants de Sulpice d’Amboise et de sa femme Agnès de Donzy étaient prêts à tout les uns pour les autres, et cela n’allait pas sans une grande affection et un lien qui avait eu plus que le temps de se construire, de se solidifier durant une enfance éternellement menacée par la guerre, mais il y avait quelque chose de plus encore entre Sybille et Hugues, le frère qu’elle avait pris son sous aile, s’érigeant en seconde mère sans doute plus aimante que la première, et pour lequel elle avait longtemps été un exemple. Agnès de Donzy elle-même avait fait en sorte que son aînée au caractère si décidé, si semblable à celui de Sulpice, si peu seyant à sa condition de femme accomplie, faute de pouvoir être totalement jugulé, déteigne sur le jeune garçon, créant ainsi consciemment cette relation particulière qui rendait aujourd’hui à Sybille insupportable l’idée de ne pouvoir absolument tout faire pour sauver son frère après avoir perdu son père. L’alliance qui brillait désormais à sa main gauche en témoignait assez, même si elle n’avait plus guère eu le choix de refuser ce mariage, et justifiait de la force avec laquelle elle avait encore exigé d’Henri qu’il fasse libérer Hugues en brandissant face à lui cette bague qu’elle abhorrait, comme pour lui prouver encore qu’elle avait tenu ses propres engagements, et qu’elle ne les avait tenu que pour qu’il ne manque pas aux siens.  

C’est parce qu’il avait été derrière la plupart des évènements qui s’étaient joués depuis peu, parce qu’il était celui qu’elle connaissait le mieux que Sybille s’était tournée vers le comte de Champagne plutôt que vers son frère Thibaud sur les terres duquel étaient pourtant retenus les deux captifs, mais également parce qu’au fond, elle savait qu’il était homme de parole et qu’il tiendrait sa promesse. Mais ce qui s’était passé lors de ses noces avec le jeune comte de Blois, son attitude,  la dispute qu’ils avaient eu la nuit même de cette union, les sentiments troubles et la colère qu’elle en avait tiré avaient sans doute entamé la maigre confiance de la jeune comtesse, car elle réalisa au moment où elle s’approcha de son frère pour le serrer dans ses bras qu’elle n’attendait plus ce moment, que l’amertume qui s’était saisie d’elle depuis quelques semaines avait presque eu raison de son obstination qui n’aurait pourtant jamais dû être plus forte car elle avait fini par céder et consentir au mariage avec Thibaud. L’espace d’un instant elle s’en voulut, et ce d’autant plus profondément que son frère recula devant elle et son étreinte, l’affublant de ce titre de comtesse dont elle n’avait jamais voulu et qui semblait la placer à ses yeux du côté de ceux qui étaient responsables de l’épreuve qu’il avait affrontée. Sybille aurait pu prendre acte de la mine dégoûtée du jeune seigneur puisqu’après tout, les faits parlaient : elle était bel et bien mariée, mais elle ne put se résoudre à le laisser la haïr pour un état qu’elle détestait et qu’elle se reprochait déjà bien assez elle-même, et même si pendant une courte seconde elle dut maintenir son visage entre ses deux mains pour l’empêcher de fuir, même si son cœur se serra à cette idée, elle sut lorsqu’il accepta enfin de lever les yeux pour la regarder et la laisser le serrer contre elle qu’il finirait par comprendre une faiblesse à laquelle certains pourraient dire qu’il s’était laissé tenter également, puisque s’il retrouvait finalement Amboise, c’était bien parce qu’il avait enfin accepté de céder là où Sulpice avait préférer s’obstiner jusqu’à son dernier souffle. Mais Sybille, tout comme Anne, Elisabeth et sans doute Agnès, quoi qu’elle se montrât plus réservée, n’avaient que faire des places et des forteresses qu’il serait bien temps de reprendre plus tard, et après avoir froidement remercié le comte de Champagne autour duquel planait toujours le spectre de leur dispute sur la terrasse du château de Blois, la jeune comtesse, qui était aujourd’hui une sœur comblée, put se laisser aller à la joie de ces retrouvailles inattendues mais tant espérées, au point d’en oublier un moment le chevalier qui tourna les talons et s’éclipsa discrètement après avoir décliné l’invitation d’Agnès de Donzy. Ce n’était d’ailleurs pas tant l’oubli qu’un certain malaise vis-à-vis du compte qui poussa d’abord la jeune femme à le laisser s’en aller sans lui adresser un mot ou un regard de plus. Elle était on ne pouvait plus heureuse du retour d’Hugues, et lui en était sans doute reconnaissante même s’il n’avait fait là que tenir la promesse qu’elle lui avait durement rappelée quelques semaines plus tôt, mais elle ignorait comment agir après les répliques cinglantes qu’ils s’étaient échangées dont certaines, qu’elle avait entendues ou prononcées, la blessaient toujours plus qu’il ne l’aurait fallu. Pendant un instant, alors que l’on entendait dans la cour le hennissement des chevaux qui sentaient le départ imminent, Sybille crut qu’elle pourrait s’en tenir à ses mots de cette-nuit là, cette dernière exigence qui était celle de ne plus rien avoir à faire avec lui, de ne plus avoir ne serait-ce qu’à le revoir mais tandis que Hugues essayait de répondre aux questions d’Elisabeth qui cherchait à savoir comment s’occuper de lui au mieux, la jeune comtesse de Blois fut prise d’un irrépressible regret. Et au lieu de s’obstiner à tenir une impossible promesse vouée à d’amers regrets, elle quitta la grande salle du conseil où l’on s’agitait autour de celui qui était enfin devenu seigneur d’Amboise et se lança sur les pas d’Henri, allant ainsi au devant d’évènements qu’elle ne pouvait pas même soupçonner.

Ce qui était loin d’être une décision mûrement réfléchie la laissa un instant indécise lorsqu’elle parvint jusqu’à la cour intérieure de la forteresse d’où l’escorte du comte de Champagne s’apprêtait à repartir, mais elle s’approcha néanmoins de l’étalon de ce dernier, non sans sentir les regards des quelques hommes avec lesquels il était venu se poser sur elle, regards qui la poussèrent à lui proposer de s’éloigner un moment. Elle craignit un instant qu’il ne refuse, ce qu’elle aurait compris, mais elle fut soulagée de le voir acquiescer et malgré l’impatience des autres cavaliers, le comte et celle qui était désormais sa belle-sœur quittèrent l’escorte pour se diriger vers une haute tour de garde qui dominait largement les environs. De là, on pouvait voir s’étendre la vaste forêt d’Amboise qui dormait au pied de la citadelle et dont les hautes cimes se perdaient à l’horizon, côtoyant les plaines parsemées de fermes et de villages que l’on avait bâti un peu en retrait des rives de la Loire pour ne pas avoir à subir de trop près les colères qui la faisaient déborder de son lit et engloutir les berges. L’endroit constituait un observatoire idéal, tant pour surveiller les environs que pour se laisser aller à quelques rêveries, mais la jeune dame qui avait grandi en ces lieux connaissait par cœur le paysage presque tout aussi immuable que le majestueux fleuve qui s’offrait à eux, et c’est vers le chevalier à ses côtés que se tournaient ses regards indécis et discrets pour l’observer à la dérobée tandis qu’elle cherchait où commencer une conversation qu’elle ne songeait pas même à provoquer quelques minutes auparavant et qu’elle ne savait où mener. Oubliant un instant le silence dans lequel ils étaient plongés, elle ne put s’empêcher de détailler à nouveau les traits familiers et songeurs d’Henri sur lesquels s’étiraient souvent de grands sourires qui venaient illuminer tout son visage et faire briller les yeux bruns qu’elle avait vus pleins de colère sous l’éclat traître de la lune quelques semaines plus tôt, avant de détourner rapidement le regard lorsqu’elle sentit qu’il s’apprêtait à se tourner vers elle. Sybille baissa d’abord les yeux, avant de les lever sur un garde qui les observait avec surprise, et auquel elle ordonna de quitter les lieux. Par réflexe, elle repoussa sous son voile quelques mèches blondes que le vent avait tirées de sa coiffe, ébouriffant également avec malice les cheveux du chevalier tandis que ses sifflements et ses rugissements sourds rendaient moins évidents le silence qui s’étaient installés entre les deux jeunes gens. Un silence que la comtesse de Blois ne parvenait à se résoudre à briser, sans doute parce que ce qu’elle avait à dire lui échappait encore et lui semblait bien déplacé compte tenu des dernières paroles qu’ils s’étaient adressé lors de cette dispute qu’elle ne cessait de revoir dans tous ses détails les plus sordides. Sans doute aurait-elle pu continuer à lui adresser des reproches, car si Hugues avait été libérée, elle était toujours pour sa part mariée à un homme dont elle ne voulait pas et qui ne souhaitait visiblement pas lui laisser tout la latitude qu’elle désirait sur ses terres de Châteauroux, enfermée dans un mariage qui n’était que le fruit de sa reddition, mais elle n’en avait plus envie et toute colère semblait s’être dissipée, pour ne laisser place qu’à une indécision dont elle n’avait guère l’habitude.

Finalement, ce ne fut pas même elle qui rompit le silence, mais Henri, qui se tourna vers elle après d’être arrêté au milieu du chemin de ronde, et se redressa devant elle pour plonger son regard dans le sien, tout comme il l’avait quelques semaines plus tôt. Mais cette fois, il ne brillait dans ses yeux aucune fureur, aucune déception, et Sybille s’en sentit étrangement soulagée.
« Je suis heureux que votre frère ait pu retrouver sa famille. Je vous promets qu’il n’a pas subi de mauvais traitements et il est certain que vous saurez prendre soin de lui pour le remettre sur pied. »
La jeune comtesse esquissa une moue indéfinissable, en songeant qu’au regard de ce qui était arrivé son père, elle n’avait pu en effet s’empêcher de chercher chez son frère de quelconques marques qui auraient rendu cette conversation bien moins apaisée qu’elle ne l’était.
« Je n’attends nul remerciement, vraiment, je n’ai fait que respecter la promesse que je vous avais faite. »
En d’autres circonstances sans doute, celle qui pouvait se montrer terriblement intraitable aurait approuvé ces paroles, et lui aurait même rappelé une seconde promesse, celle qui lui imposait de ne plus la voir mais au contraire, c’est avec douceur qu’elle prit enfin la parole.
« Je tiens à Hugues bien plus que je ne saurais le dire, confia-t-elle, vous l’avez ramené, vous êtes là… je ne peux que vous remercier. »
Elle tourna la tête vers lui à ces mots qui ne contenaient aucun reproche malgré ce que la situation pouvait laisser penser, mais elle craignit qu’il ne les ait pris comme tels lorsqu’elle le vit baisser les yeux, la mine sombre.
« Je vous jure que j’ignorais que vous passiez quelques jours ici et si je l’avais su, j’aurais différé ma venue car j’ai l’intention de respecter votre demande et de ne plus vous imposer ma vue qui vous indispose et vous gêne. Maintenant que nous avons rempli nos obligations, cela sera sans doute plus facile. Je n’aurais sans doute plus jamais l’occasion de revenir à Amboise… Espérons-le ! »
Sybille voulut parler, mais se contenta finalement de faire de nouveaux quelques pas à ses côtés, car elle ne savait que répondre, et lorsqu’elle posa sur lui son regard qui s’était à nouveau égaré sur les plaines en contrebas, elle le sourire qui étirait les lèvre d’Henri la rendit muette et lui fit regretter amèrement cette demande prononcée dans un instant de colère aveugle, uniquement dictée par l’amertume et l’incompréhension. Elle ignorait toujours ce qui l’avait rendu si sombre durant ces noces pour lesquelles il s’était démené, mais pour une raison qu’elle ne chercha pas à s’expliquer, n’en tirait plus la même colère.
« Je… commença-t-elle dans un souffle, si bien qu’il ne l’entendit pas et, après avoir jeté un regard vers la cour, le comte reprit la parole d’un ton plus pressant.
- Ma dame, je voulais aussi vous dire que je suis désolé pour tout ce que j’ai pu vous dire lors de notre dernière rencontre. Mes paroles n’ont jamais été dignes du chevalier que j’essaie d’être et toute mon attitude a été déplorable lors de cette journée, vous aviez entièrement raison, sur tout. »
A son tour, la comtesse baissa les yeux, car elle n’était pas plus fière de ses propres mots. Sans doute voulut-elle également dissimuler à quel point elle était soulagée du déroulement de la conversation puisque c’était bien là qu’elle avait voulu en venir sans toutefois réussir à se lancer.
« Je regrette profondément, et je sais que vous ne pourriez me pardonner mais j’espère néanmoins que votre rigueur pourra s’affaiblir avec le temps et que vous serez charitable envers moi. Je serais déjà fort heureux que de ne plus être l’objet de votre courroux et peut-être pourrons-nous, un jour, redevenir amis… Après tout, nous sommes de la même famille désormais, vous êtes ma belle-sœur… ajouta Henri. »
Il avait prononcé ces derniers mots dans un souffle à peine audible, et pourtant il sembla à Sybille qu’ils résonnèrent violemment, luttant contre les rugissements du vent pour mieux lui serrer le cœur. Elle voulut ignorer cette vive douleur qui n’avait pas sa place ici, et la dissimula derrière un petit rire nerveux, que l’on aurait aisément pu dire triste, alors que ses yeux se portaient à nouveau sur la Loire et ses berges comme pour fuir ceux du chevalier dont l’éclat ne faisait que raviver ce pincement que jamais elle n’aurait dû ressentir.
« En effet, il vaudrait mieux que nous puissions nous entendre, répondit-elle doucement, en s’accoudant au mur de pierre, un sourire sans joie aux lèvres. »

Elle resta un instant dans cette position, les traits figés dans cette même expression que l’on ne pouvait définir avant de tourner la tête vers Henri pour plonger son regard dans le sien. Une chose était certaine, au milieu de tous ces sentiments confus qu’elle ne parvenait pas à démêler : elle regrettait réellement ce qui s’était passé sur la terrasse de Blois, et ne souhaitait plus que ce souvenir n’impose entre eux le mur de glace qu’il lui avait semblé voir surgir lorsqu’elle l’avait vu au milieu de la grande salle du conseil quelques moments plus tôt.
« Je ne suis pas plus fière de mes propres paroles, avoua-t-elle enfin. J’ai été basse, et je regrette beaucoup de ce que je vous ai dit, je n’aurais pas dû céder à la colère… J’espère que vous accepterez mes excuses et que vous ne m’en tiendrez pas rigueur, pas plus que je ne vous en voudrai à vous. »
Elle se redressa pour se tourner vers lui tout à fait, et lui faire face, en ignorant les silhouettes des cavaliers qu’elle voyait s’agiter dans la cour. A quoi bon s’aveugler et s’obstiner dans une fureur dont il ne pouvait rien sortir de bon quand tout en elle lui soufflait qu’elle ne pouvait en vouloir plus longtemps au comte, ou du moins pas avec la même violence que durant les semaines qui venaient de s’écouler, et ce malgré sa situation dont il était presque entièrement responsable. Sans doute aurait-elle pu s’alarmer de cette soudaine indulgence, elle qui pouvait se montrer si rancunière, si opiniâtre dans ses inimitiés ou même celles qu’elle héritait de sa famille, mais la lucidité lui manqua et c’est sourire mince mais sincère qui étira ses lèvres.
« J’ai été dure, et mes mots ont de loin dépassé ma pensée… Sachez que votre vue ne m’indispose pas, au contraire, et je serais heureuse que nous puissions nous revoir, de temps en temps. »
Peut-être auraient-ils l’occasion de se croiser à Paris ou à Blois puisqu’Aymeric étant envoyé en Champagne, Henri n’aurait plus à faire de longs détours par Châteauroux pour voir son filleul (ou pour y défendre ses projets contre d’éventuels prétendants à ce qui avait été la place d’Abo, puisque ceux-ci s’étaient réalisés). Sybille songea que s’ils se revoyaient désormais, il n’y aurait plus entre les lourds contentieux et sujets de dispute qu’ils avaient eu depuis des mois : elle ne pouvait revenir sur son mariage et son jeune frère, Hugues, était enfin de retour, ainsi peut-être pourrait-elle finir par oublier toutes ses rancœurs à son égard et le considérer réellement comme un ami, ce qu’elle n’avait jamais pu faire jusque là à cause des arrières pensées qui hantaient chacune de leur rencontres. Elle ignorait alors, ou voulait ignorer, que ses rancœurs fondaient bien vite face au jeune comte et qu’elle ne songeait au terme « ami » que parce que le penser comme son beau-frère la troublait bien plus qu’il ne l’aurait fallu. Le regard de Sybille se porta à nouveau sur la cour intérieure de la forteresse, fuyant discrètement celui d’Henri, pour y voir les vassaux de ce dernier qui semblaient fixer la tour, dans l’espoir sans doute que leur seigneur mette fin à sa conversation.
« Vos hommes s’impatientent, il me semble, lança-t-elle en désignant le groupe que le jeune garde qu’elle avait renvoyé un peu plus tôt et qui s’était mis à l’écart semblait dévisager avec circonspection. Je suis navrée de vous avoir retenu, mais je voulais m’excuser, et revenir sur ces paroles que je regrette désormais. Mais vous avez une longue route, et je me dois de retrouver mon frère, je lui dois bien quelques explications également… »
Elle se rembrunit à peine en se souvenant du geste de recul qu’avait eu Hugues en lui faisant face, mais l’ombre qui passa sur son visage se dissipa bien vite lorsqu’elle leva à nouveau les yeux vers Henri.
« Merci de nous l’avoir rendu, et d’être venu jusqu’ici. »
C’était là le premier remerciement sincère, et réel qu’elle lui adressait depuis qu’il était arrivé, et elle y ajouta un sourire, comme pour balayer tout ce qu’il restait des mots amers qu’ils avaient échangés à Blois, des mots ne devaient que laisser place à une grande confusion dont Sybille n’avait pas encore totalement conscience. Pour l’heure elle se contentait d’être heureuse de savoir que Hugues l’attendait dans la grande salle comme d’avoir réussi à dissiper tout ce qu’il pouvait rester de colère.[/color][/color]
Revenir en haut Aller en bas
https://fabtest.forumactif.org
Henri de Champagne
Warrior ébouriffé (perv)
Henri de Champagne


Messages : 41
Date d'inscription : 23/06/2013

[Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" Empty
MessageSujet: Re: [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels"   [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" EmptyMer 17 Juil - 17:22

Henri de Champagne était resté suspendu aux lèvres de la dame de Déols, attendant non sans inquiétude les mots qui pourraient le soulager ou bien le condamner davantage. Avec le temps qui avait passé depuis leur dernière rencontre qui l'avait poursuivi quoi qu'il fasse, dans son sommeil comme à son éveil, il avait mesuré à quel point il avait été injuste et mauvais avec la jeune femme, à quel point elle n'avait pas mérité la dureté dont il avait fait preuve à son égard. Au pied du mur, contrainte à un mariage qu'elle n'avait jamais désiré et qu'elle avait toujours repoussé à chaque fois qu'il lui avait présenté, elle s'était montrée amère mais comment avait-il pu penser qu'il pouvait le lui reprocher ? Elle s'était montrée parfaitement honnête avec lui, ne cherchant qu'à lui mettre sous les yeux ce qu'il avait accompli car après tout, il se disait que seule la vérité pouvait blesser autant. Et dès l'instant où il avait posé son regard sur elle, lorsque cet éclat de rire enfantin s'était évanoui, il avait bien compris qu'il ne lui en voulait pas, la seule personne qu'il blâmait, c'était lui-même. Et il continuait à s'en vouloir, autant parce qu'il était parvenu à se faire assez haïr de Sybille pour qu'elle puisse ne plus avoir envie de le revoir que parce qu'il désirait, lui, pouvoir continuer à poser ses yeux sur sa fine silhouette. Il avait un instant pensé que le retour d'Hugues l'aiderait à se débarrasser de ces pensées mais pouvoir lui reparler sur ce chemin de ronde, même si elle gardait presque totalement le silence, alors qu'elle avait elle-même provoqué la discussion, avait ravivé ses espoirs et ses désirs. Aussi continuait-il à épier ses réactions, tout en se demandant quelle était la raison qui l'avait poussée à quitter son frère pour venir le voir sans pour autant lui parler. Ce n'était pas plus mal après tout, il avait réussi à lui présenter ses excuses, en craignant à chaque instant, qu'elle ne se détourne et ne s'écarte de lui en plissant le front pour ne pas avoir à l'écouter, ce qui lui aurait brisé le cœur, de nouveau. Mais Sybille n'avait plus rien à voir avec la furieuse créature de la nuit qu'il avait cherché à blesser et il semblait à Henri qu'il reconnaissait derrière ce visage la jeune femme qu'il avait connu à Châteauroux et avec laquelle il avait cru parvenir à s'entendre. Elle n'eut pas d'immédiate réaction aux dernières paroles de son interlocuteur mais un petit rire sortit de ses lèvres avant que ses yeux bleus ne se perdent sur les flots de la Loire.
- En effet, il vaudrait mieux que nous puissions nous entendre, dit-elle avec douceur, en ébauchant un mince sourire qu'Henri, s'il se rendit bien compte qu'il n'était guère joyeux, n'aurait su interpréter sinon peut-être le voir comme un signe de paix.
Le jeune homme mit un certain temps avant de comprendre ce qu'impliquait réellement ce qu'elle venait de dire et il baissa un instant la tête car c'était là des paroles d'acceptation de la situation, des paroles qu'il désirait autant qu'il redoutait. Il chercha une réponse satisfaisante mais il ne la trouva pas. Heureusement, la jeune femme n'attendit pas sa réaction pour poursuivre, à la grande surprise du jeune homme :
- Je ne suis pas plus fière de mes propres paroles. J’ai été basse, et je regrette beaucoup de ce que je vous ai dit, je n’aurais pas dû céder à la colère… J’espère que vous accepterez mes excuses et que vous ne m’en tiendrez pas rigueur, pas plus que je ne vous en voudrais à vous.
Henri ne s'était pas attendu à une telle réplique car pendant les semaines où il avait ruminé la dispute, il avait été clair dans son esprit qu'il était l'entier coupable. Évidemment, elle l'avait blessé mais c'était lui qui ne s'était pas montré à la hauteur et qu'il avait fallu punir. Il en resta coi alors qu'elle semblait chercher dans son regard un véritable pardon. Elle était enfin redevenue la Sybille, dame de Déols, sans gêne aucune, qui lui faisait face sans reculer, sans montrer le moindre signe de peur ou d'inquiétude, cette lionne qui se battait pour ses enfants et son honneur sans se laisser impressionner la moindre seconde. L'aveu qu'elle venait de lui faire avait dû terriblement lui coûter mais pourtant elle n'en était pas honteuse.
- Vous n'avez pas à vous en vouloir, répondit-il tout de suite, sans vraiment réfléchir, et je vous promets que je ne vous en veux pas, soyez tranquille.

Sans doute aurait-il pu lui montrer plus de rancœur – ou du moins faire mine d'hésiter avant de répliquer – mais il était trop heureux de constater qu'elle semblait envisager de lui pardonner pour cela. La jeune femme lui adressa un sourire qui illumina son visage :
- J'ai été dure et mes mots ont de loin dépassé ma pensée... Sachez que votre vue ne m'indispose pas, au contraire, et je serais heureuse que nous puissions nous revoir de temps en temps.
Cette fois-ci, ce furent les lèvres de Henri qui s'écartèrent et il laissa échapper un petit rire joyeux, bien incapable de dissimuler la joie qui l'étreignait et le réconfortait. Il avait été tellement persuadé qu'il ne pourrait plus apparaître à ses yeux, qu'il l'indisposait comme s'il n'était qu'un indésirable dans son existence qu'il avait contribué à gâcher que la voir affirmer le contraire ne put que le remplir d'allégresse. Une seconde, il songea que ce n'était là peut-être que paroles hypocrites et qu'elle ne cherchait à enterrer la hache de guerre parce qu'on le lui avait demandé, parce que Thibaud peut-être avait souhaité voir sa femme et son frère s'entendre. Mais si elle était habile à mentir, si ses traits impassibles dissimulaient ses pensées sans que quiconque ne puisse avoir l'espoir de les déchiffrer, Henri rejeta cette idée bien trop douloureuse. A quoi bon se complaire dans cette souffrance alors qu'elle semblait prête à faire des efforts pour passer outre ce qu'il lui avait dit et qu'il regrettait à chaque instant ? Ce fut donc avec ce même et unique sourire aux lèvres qu'il lui répondit :
- Vous m'en verrez heureux également, ma dame, alors. Je ne craindrais plus d'apparaître à votre vue si je sais que je pourrais être un ami pour vous. Je vous promets que vous aurez très régulièrement des nouvelles d'Aymeric lorsqu'il sera en Champagne et que vous pourrez le revoir. Cela sera mieux pour lui si nous nous entendons, après tout. Je prendrais soin de lui comme un père, je vous le promets et jamais, je ne vous laisserai à l'écart.
Il chercha à épier sa réaction, à nouveau, mais elle avait retrouvé son visage impassible, désormais tourné vers la cour où la petite troupe du comte s'impatientait. Sans vraiment écouter ce qu'elle lui disait, il admira son profil, s'amusant de ces mèches rebelles qu'elle avait glissé derrière son oreille mais qui n'étaient pas décidées à lui obéir.
- Je suis navrée de vous avoir retenu, mais je voulais m'excuser et revenir sur ces paroles que je regrette désormais. Mais vous avez une longue route et je me dois de retrouver mon frère, je lui dois bien quelques explications également... Merci de nous l'avoir rendu et d'être venu jusqu'ici.
Henri se contenta de lui adresser un signe de tête et ils se dirigèrent vers le reste du petit groupe au grand soulagement de Joinville qui regardait du coin de l’œil un garde un peu trop entreprenant. Heureusement pour le comte, personne ne parut s'apercevoir que son attitude avait entièrement changé et qu'un sourire s'était épanoui sur ses lèvres. Sans l'ombre d'une hésitation, il se hissa sur sa selle et se retourna vers Sybille de Déols qui avait interrompu son pas dans la direction de la grande salle du château.
- C'est vous que je remercie, ma dame, pour votre accueil et... Pour tout ce que vous venez de dire, lança-t-il sous le regard pénétrant de Joinville qui ne comprenait pas ce qui se passait pour autant, je ne souhaite pas différer davantage vos retrouvailles avec votre frère, je l'ai déjà bien assez fait. Nous nous reverrons alors, nous en aurons sans doute l'occasion bientôt...
Je m'en réjouis par avance, aurait-il voulu ajouter mais il préféra se taire et lui adressa un dernier salut avant d'éperonner son étalon qui partit dans un trot qui résonna dans toute la cour. Les gardes parurent soulagés de voir s'éloigner le groupe. Henri fut tenté de se retourner pour voir si Sybille continuait à les observer mais il s'abstint et ce fut le cœur léger qu'il sortit enfin de la forteresse, l'esprit encore empli des paroles que l'on venait d'y échanger.

La petite troupe chevauchait de concert, dans une atmosphère légère et insouciante depuis à peine quelques heures lorsqu'un messager sur son coursier, visiblement affolé, la rattrapa pour leur signifier que le vieux comte avait exigé de voir son fils aîné à Châteaudun au plus vite. Cette exigence, si elle créa de l'inquiétude chez ses vassaux, n'étonna pas une seule seconde le jeune  homme qui s'y était attendu, peut-être pas aussi rapidement cependant. Henri hésita un instant à se rendre à cette sommation qui lui semblait être celle d'un seigneur sur son vassal, poussé à désobéir par Brienne et Joinville qui n'en menaient soudain pas large mais il n'avait aucune honte de ce qu'il avait fait et était prêt à assumer la portée de ses actes devant celui qu'il avait ouvertement trahi. D'autant plus que le messager, devant lui, tremblait à l'idée de retourner sur ses pas sans le comte de Champagne et de subir alors la foudre de Thibaud IV à la place de son fils, ce qui n'aurait guère été chevaleresque de la part du jeune homme. Un instant, avant de lancer son étalon au galop à la suite du coursier, le jeune comte se retourna sur la forteresse d'Amboise qui étendait ses tours dans le lointain, comme pour leur faire atteindre le ciel et il imagina les gardes sur le même chemin de ronde où il avait pu échanger quelques mots avec Sybille de Déols en train de les épier, eux, les cavaliers sur le chemin. Mais ces paroles qu'ils y avaient prononcé n'étaient pas de ces rumeurs qui voyagent plus vite que les chevaux ni de ces colères qui frappent et qui blessent, c'était des paroles d'apaisement et Henri eut la forte impression que derrière cette citadelle de pierres qui patientait en attendant les sièges, les rancœurs et les haines étaient apaisées. Un Blois lui avait ôté son seigneur, un autre le lui avait rendu et si on ne pouvait jamais totalement oublier les trahisons, ils étaient désormais quittes. Un sourire s'ébaucha sur les lèvres d'Henri lorsqu'il songea qu'au moment même où il tournait ses yeux vers Amboise, Sybille était sans doute en train de s'occuper de son jeune frère, de le soigner, de le rassurer ou de le serrer dans ses bras et que le bonheur qu'elle ressentait à cet instant précis, il y avait, un tout petit peu, contribué. Personne ne dut réellement comprendre la raison pour laquelle Henri souriait largement quand il s'apprêta à aller faire face à son terrible père mais nul n'osa poser de questions. Le jeune comte avait, lui, la certitude que ce qu'il avait fait en valait la peine. Après une journée de marche pendant laquelle ses vassaux se perdirent en conjonctures (et Brienne tenta de le convaincre qu'il n'avait pas besoin de lui pour aller retrouver Thibaud IV – Henri se contenta de lever les yeux au ciel), ils parvinrent enfin jusqu'au donjon de Châteaudun, dressé sur les bords du Loir. Si les cavaliers avaient trouvé là, à la première arrivée, une forteresse endormie, assez surprise pour se laisser envahir, tout avait désormais changé et des gardes couraient d'un point à l'autre dans un désordre bien réglé par une voix terrifiante qui résonnait dans toute la cour intérieure du château et que le jeune homme reconnut immédiatement. Le bourreau avait vu s'échapper sa proie parce que l'un de ses propres hommes avait ouvert la porte de la cage et comme s'il n'était pas rassasié, il entendait bien faire une victime tout de même. Dans la forteresse lugubre, alors qu'au loin résonnaient les bruits de chaîne de prisonniers qui espéraient eux aussi leur libération, le cri de Thibaud IV ressemblait à une malédiction. Au hurlement d'une âme damnée.

Puisqu'il était là désormais, Henri n'avait plus le choix et il fit signe à un Brienne et à un Joinville résignés de le suivre jusqu'à la source de la voix, sous les regards inquiets et parfois accusateurs des habitants de la forteresse. Ils pénétrèrent jusqu'au cœur du logis, dans une pièce sombre, seulement éclairée par des fines fenêtres qui donnaient sur la cour et qui avaient l'allure de meurtrières, diffusant une luminosité poussiéreuse et grise.
- Ah toi ! S'exclama le vieux comte en se retournant brusquement sur son fils, comme mû d'un sixième sens, alors qu'il faisait les cent pas dans cette grande salle qui avait du servir à rendre la justice, tu as de la chance d'être mon fils sinon je t'aurais étranglé de mes propres mains ! Traître ! N'as-tu donc aucun honneur, aucun intérêt pour ta famille ?
Il était toujours impressionnant de voir à quel point l'énergie que déployait le vieux Thibaud contrastait avec son apparence frêle et sa petite taille qui l'obligeait à lever les yeux pour fixer son fils aîné. C'était d'autant plus impressionnant que le comte était censé être malade voire mourant dans son abbaye de Lagny. Mais Henri ne se laissa pas tromper par cette apparence de vitalité. C'était là les derniers feux qui rongeaient son père et le faisaient tenir debout, la dernière bataille qu'il aurait à mener avant de s'effondrer tout à fait et de laisser s'exhaler son ultime souffle de vie. Il aurait pu être touché par la déception évidente de ce père exigeant auquel il avait tant cherché à plaire pendant tant d'années mais il se sentait étrangement absent, comme étranger à la rage de Thibaud qui ne cessait de faire des allers-retours en se servant d'un garde placé là, comme défouloir. Dans un recoin de la pièce, Henri distingua la silhouette blanche de l'abbé de Clairvaux qui observait la scène sans dire mot, comme s'il attendait lui aussi que la fièvre retombe pour recueillir l'âme souffrante du vieux comte et l'apaiser.
- Tu ne mérites rien de ce que j'ai fait pour toi, des sacrifices que nous avons tous accompli pour faire de toi un comte puissant et respecté, tu n'es qu'un faible et incapable comme tous tes frères, tu ne vaux pas mieux qu'eux ! Et je te faisais confiance... Je te faisais confiance, répéta le vieux père déçu, en fixant désormais son enfant, mais il ne faut jamais faire confiance à personne car même ton frère ou ton fils est prêt à te planter une épée dans le dos !
- Il suffit, tonna la voix de Bernard de Clairvaux, coupant Thibaud dans son élan, lequel, de frustration, envoya son poing dans l'épaule du garde qui n'osait toujours pas protester.
Pendant tout ce petit discours, Henri était resté impassible et n'avait pas baissé une seule fois les yeux, prêt à tout assumer, faisant face à ce petit être nerveux en songeant que ce dernier avait sacrifié le bonheur d'une famille et les jeunes années d'un garçon pour satisfaire son ambition personnelle. Henri regardait ce visage déformé par la fureur mais ne le voyait pas. Son esprit était très loin de Châteaudun, dans une forteresse du bord de Loire, à observer le sourire d'une dame blonde, ses traits apaisés, illuminés par un éclat intérieur qui semblait au chevalier l'essence même de la délicatesse et du bonheur. Une image propre à écarter le voile gris qu'on voulait lui mettre sous les yeux, à rendre futiles colère et souffrance. S'il avait été raisonnable, sans doute aurait-il pu se dire que Sybille de Déols ne se devait pas d'occuper ses pensées mais son cœur gonflé d'allégresse n'avait que faire de cette conscience rabat-joie.

- Ce n'est pas la faute de votre fils, c'est lui qui a ouvert la porte, s'écria soudain le garde, visiblement lassé d'être pris pour cible, en désignant Brienne de son index, lequel était resté près de la porte, comme prêt à suivre et qui se ratatina lorsqu'il fut soudain le centre de l'attention.
Thibaud IV allait s'avancer vers le pauvre Gauthier qui tentait de protester, totalement affolé quand Henri se planta devant lui :
- Cela suffit, père, dit-il fermement.
- Écarte toi de mon chemin, traître ! Rugit le vieux comte, en levant la main vers son fils qui recula d'un pas, en attendant le coup qui n'allait pas tarder à venir.
- Thibaud ! Tonna de nouveau Bernard en se redressant, calme-toi immédiatement.
Un silence suivit ces paroles, le temps que le vieil homme puisse considérer les options qui s'offraient à lui mais il dut considérer qu'il était dangereux de s'opposer de manière frontale à l'abbé de Clairvaux car il baissa sa paume avant d'avoir un geste malheureux envers son aîné et se détourna, non sans jeter un regard noir en direction de Brienne dont la tête indiquait assez qu'il aurait tout donné pour se retrouver ailleurs.
- Ton traître de fils a peut-être libéré un gamin de sa geôle, expliqua froidement Henri, mais il a réussi à récupérer Chaumont, n'était-ce pas là l'objectif que tu as toujours cherché à atteindre ? Tu as pourtant prouvé que tu n'avais que faire des moyens pour y parvenir, pourquoi celui que j'ai employé ne t'agréerait-il pas ? Nous avons gagné malgré tes meurtres mais songe que lorsque tu ne seras plus là, ce sera à nous d'assumer tes erreurs et tes péchés.
- Henri, je t'en prie, intervint Bernard en s'avançant à son tour vers eux, rejoins ton comté et laisse moi avec ton père.
Le jeune homme détourna à peine le regard sur l'abbé, cherchant une lueur, une expression sur le visage de Thibaud mais celui-ci demeurait buté même s'il ne chercha pas à reprendre la parole.
- Je m'en vais alors, répondit-il, mais père, tu devrais t'inquiéter du jugement divin et te repentir car cette fois-ci, même tes béliers et tes arbalètes ne te sauveront pas. Un jour, on m'a dit qu'il ne fallait jamais sacrifier ni son bonheur ni la survie de son âme à ses intérêts car on finirait toujours par le regretter... Tu finiras par le regretter.
Un instant, les yeux de Henri rencontrèrent ceux de Bernard qui lui avait dit cette phrase mais l'abbé ne dit rien malgré sa mine désapprobatrice. Tout le monde s'était figé dans la pièce, dans l'attente d'un éclat du vieil homme qui ne vint pas. Or Henri n'avait que faire de patienter pour avoir l'avis de son père sur la question. Après un dernier salut froid, il se détourna pour repartir. La Champagne l'attendait, il avait accompli sa promesse et il avait la conscience tranquille. Il crut voir la main de Thibaud IV s'avancer, la même main avec laquelle il avait failli le frapper, se tendre pour l'arrêter, comme par espoir mais il ne stoppa pas, et, suivi de ses fidèles, il retourna dans la cour pour grimper sur son étalon, prêt à repartir sur le champ. C'était sans doute la première fois qu'il défiait aussi ouvertement son père mais il était sûr d'avoir accompli ce qu'il devait faire et ce fut donc le cœur léger qu'il s'élança pour quitter enfin cette forteresse qui le répugnait. Au cours de son trajet qui le mena jusqu'à ses possessions de Champagne, le souvenir de cette dispute s'effaça petit à petit comme un mauvais rêve dont il venait de se réveiller, rejoignant celle qu'il avait eu avec Sybille sur la terrasse de Blois. Alors qu'il était bercé par le pas tranquille de son cheval, il lui sembla que seul ce pardon qu'ils s'étaient accordés était réel, le reste n'étant que chimère. Ce pardon et la certitude qu'il la reverrait.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





[Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" Empty
MessageSujet: Re: [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels"   [Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels" Empty

Revenir en haut Aller en bas
 
[Avril 1152] "Enfin me voilà revenu près de mes Lares paternels"
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» [Mars 1152] La colère repose de l'amertume.
» [Fin août 1152] Aux amours échoués de s'être trop aimés.
» [Fin mai 1152] Dans toutes les existences, on note une date où bifurque la destinée.
» [Mai 1152] "Ce qui importe, ce n'est pas le voyage, c'est celui avec lequel on voyage."

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
FAB TEST  :: Amboise-
Sauter vers: